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1res Assises Françaises de Sexologie
et de Santé Sexuelle

 

1er partie

DE LA VIOLENCE À LA PERVERSION

 

LE VIOL ENTRE ÉPOUX
Par Paul BENSUSSAN



L’existence du lien matrimonial ne fait pas disparaître l’obligation de respecter l’intimité et le corps de l’autre. Chacun est libre de disposer de son corps et, fort heureusement, le fait d’être marié ne change rien à cela. Même pour l’accomplissement du désuet «devoir conjugal», la célèbre phrase de Jules Renard peut s’appliquer : «L’homme propose, la femme dispose». Dans une certaine mesure toutefois car ne l’oublions pas : le mariage non consommé, qui est loin d’être une rareté ou une relique de musée
1, est une cause de divorce et même, pour les pratiquants, d’annulation du mariage...

Le consentement est aujourd’hui nécessaire, même pour les rapports de couple. Ce qui semble tomber sous le sens était hier encore loin d’être une évidence. Longtemps, l’idée –le postulat- a prévalu : le mariage impliquait un consentement mutuel des époux aux relations sexuelles. Le conjoint était donc présumé de bonne foi et en tout cas son comportement licite sinon légitime lorsqu’il les imposait à une épouse récalcitrante. La notion de viol entre époux, impossible par définition pour un coït vaginal «classique», n’était définie que dans trois hypothèses : celle où le type de rapports sexuels imposés était d’une autre nature qu’un coït classique (le mariage ne pouvant justifier ni cautionner une sexualité «hors norme») et celles où il y avait séparation ou instance de divorce.

Les tribunaux ont opéré sur ce thème un net revirement de jurisprudence. Prenant ainsi en considération l’évolution des mœurs et surtout des esprits, qui tolèrent de moins en moins qu’un mari puisse imposer ou faire subir à sa femme, par une contrainte physique ou morale (chantage au divorce, chantage affectif, menace d’aller «voir ailleurs »…) des relations sexuelles dont elle ne voulait pas (ou plus) avec l’alibi du très peu érotique mais néanmoins légal «devoir conjugal». Il faut reconnaître qu’en ces termes, la «chose» ne fait guère rêver. A fortiori sous la contrainte.

C’est ainsi que la Cour de cassation a reconnu pour la première fois en 1990 le crime de viol entre époux. La reconnaissance de cette notion n’ayant «d’autre fin que de protéger la liberté de chacun», puisque, comme l’indiquait la Cour de cassation, le crime de viol «n’exclut pas de ses prévisions les actes de pénétration sexuelle entre personnes unies par les liens du mariage»
2. Dans une décision du 11 juin 1992, elle a confirmé cette jurisprudence en affirmant clairement que «la présomption de consentement des époux aux actes sexuels ne vaut que jusqu’à preuve contraire». Ce point de vue est d’ailleurs celui adopté par la Cour européenne des droits de l’homme3.

La situation juridique est donc désormais assez claire, du moins en apparence : la personne qui peut prouver la contrainte, l’absence de consentement et le caractère imposé d’une relation sexuelle est bien, aux yeux de la loi, victime de viol. Fût-il conjugal et régulièrement consommé depuis vingt années d’une vie conjugale et sexuelle misérables : quand on ne veut plus (ou qu’on n’en peut plus) de relations imposées, aussi aversives que peu gratifiantes, la voie de la plainte pénale est ouverte. Ce qui préfigure ou constitue le point de départ de la rupture, ne serait-ce qu’en raison des peines encourues par celui que l’on accuse.

«Mais, en définitive, qui le sait ? Bien trop de gens sont persuadés que tout est permis au sein du couple, y compris l’indicible»
4. La notion de dégoût, si importante en sexologie, est ici lisible en filigrane dans les intentions et les propos du législateur. Il n’est plus tolérable qu’une femme «se laisse faire», simplement parce qu’elle ignore qu’une loi la protège. Voilà pourquoi il a semblé salutaire et nécessaire au législateur, dans un but dissuasif et éducatif, d’inscrire dans notre code pénal l’incrimination du viol conjugal.

La loi du 4 avril 2006
5 est donc venue donner un statut légal et une force de dissuasion supplémentaire à la répression du viol entre époux. Prenant à contre-pied la pratique des tribunaux pour lesquels le statut de conjoint entraînait implicitement une forme d’indulgence6, le législateur a même été jusqu’à qualifier de circonstance aggravante le fait que le viol est commis par le conjoint7.

Par voie de conséquence, il est désormais beaucoup plus grave, au moins sous l’angle de la loi, d’être violé par son conjoint que par un inconnu dans une ruelle obscure
8… La peine encourue par l’époux brutal et sourd (au refus) est de 20 ans de réclusion criminelle au lieu de 15 ans. Cette aggravation de la sanction fut justifiée en ces termes à l’Assemblée nationale par Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité : «Tout comme une dispute ne rend pas les violences entre conjoints admissibles, l’existence de relations sexuelles passées et régulières ne rend pas le viol admissible. Dans les deux cas, la qualification doit être aggravée car outre l’atteinte portée à la victime, les viols et les violences constituent une rupture de confiance et de respect mutuel»9.

À l’heure où des enquêtes révèlent que plus de 47 % des viols sont perpétrés par le conjoint ou l’exconjoint10, les raisons qui ont présidé à une accentuation aussi drastique de la répression du viol conjugal apparaissent plus clairement. Il n’en demeure pas moins que le problème de la preuve, si difficile à rapporter en matière de viol
11, apparaît ici à l’évidence des plus délicats. Les rapports sexuels entre époux étant présumés licites, l’absence de consentement sera d’autant plus difficile à établir par l’épouse plaignante12.

Le risque de dérive, partant d’erreur judiciaire, est désormais considérable. Il tient en particulier au fait que la parole d’une plaignante, considérée et désignée comme victime dès le début de l’affaire, et celle de celui qui est mis en cause ne pèsent pas le même poids. Il est impératif que les avocats, les juges ou les experts chargés de tels dossiers se gardent de confondre absence de désir et absence de consentement, comme le revendiquent, avec véhémence parfois, les féministes les plus radicales
13. À l’échelle d’une vie conjugale, le nombre de relations subies sans désir ni plaisir, pour réguler les tensions ou éviter la mauvaise humeur, obligerait, à n’en pas douter, à recruter des juges. Et à construire des prisons. Destinées à une fraction non négligeable de la population...

C’est pourquoi je propose de substituer, dans certains cas, le terme de «sexualité imposée» à celui de viol : sans nier l’existence du traumatisme imposé à la victime, ce terme me paraît davantage refléter la réalité de ces situations, dans lesquelles, bien souvent, le dégoût l’emporte sur la violence et le crime
.

 

Références
 

  1 - Il concernerait 2 à 4% de la population française âgée de 18 à 58 ans ... soit un million de couples !
  2 - Cass. crim., 5 septembre 1990.
  3 - CEDH, 22 novembre 1995, CR et SW c/Royaume-Uni.
  4 - Propos de M. Roland Courteau tenus au Sénat lors de la discussion en séance publique du 29 mars 2005.
  5 - Loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.
  6 - En termes juridiques : atténuation de responsabilité
  7 - la règle vaut également pour les concubins et les couples pacsés.
  8 - Si les deux pratiques sont inacceptables, il faut cependant reconnaître que la nature et la gravité des séquelles psychologiques sont fondamentalement différentes selon les situations. Les –rares- rescapées du violeur et tueur en série Guy Georges ne nous contrediront pas : ce qu’elles ont vécu est assez différent d’un rapport sexuel subi sous la contrainte –et le poids- d’un époux que l’on n’aime plus. L’amalgame sous le même vocable (et chef d’inculpation) de deux situations aussi différentes, dont l’une entraîne, en premier lieu, le sentiment ou la crainte de mort imminente et l’autre n’inspire généralement que du dégoût, pose selon nous un sérieux problème sémantique. Le mot «viol» peut-il, à lui seul, rendre compte de l’ensemble des situations qui en relèvent ? Nous ne le pensons pas : un nouveau terme reste donc à inventer ...
  9 - Séance de discussion du 13 décembre 2005.
10 - Rapport d’information n° 229 du sénateur Jean-Guy Branger daté du 9 mars 2005.
11 - Lire à ce sujet la “situation” Sur le viol et le consentement
12 - Sauf témoignages, violence physique, instance de séparation ...
13 - N.-C. Mathieu, “Quand céder n’est pas consentir » in L’arraisonnement des femmes. Essais en anthropologie des sexes, 1985, p. 169-245
 


DE LA FANTAISIE AU DELIT.


EN FAIRE LA PREUVE.



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