40 ans de SFSC

 
 

LE PROJET SEXOLOGIQUE
 

  "Ils avaient des inflexions étranges, et le français dans leur bouche devenait ce langage qui filtre à travers les haut-parleurs des aéroports internationaux. D'ailleurs tout était mirage, tout était dépourvu de la moindre réalité dans ce pays. On était à l'écart de la souffrance du monde. Il n'y avait plus qu'à se laisser submerger par cette léthargie que je m'obstinais à appeler: la Suisse du cœur."

dimanche 29 juin 2014


Comment est né le projet d’une société de sexologie? J’avais été choqué, un jour en 1970, alors que je recevais au Centre Psychiatrique d’Orientation et d’Accueil à l’entrée de Sainte-Anne, un couple qui vivait des difficultés psychosexuelles, qu’une assistante sociale du service me dise qu’il fallait peut-être faire appel à une conseillère conjugale compétente en matière de sexualité. En ce temps-là il n’existait aucun traitement convenable des troubles sexuels. J’ai soudain compris que dans cet univers de psychiatres et de psychanalystes le sexe était tabou! Horresco referens! Je retrouvais le Dr Charles Gellman à Sainte-Anne et sur le boulevard Saint-Germain entre 1970 et 1973 et l'idée d'une société d'étude sexologique est aussitôt née dans nos esprits. La création de la SFSC s’est faite autour des personnages que vous connaissez tous: Charles Gellman, Gérard Valles, Robert Gellman, Gilbert Tordjman, Michel Meignant, Waynberg, Michel Guenkine et Ludwig Fineltain. Nous nous sommes présenté les uns aux autres à la Coupole en février 1974 pour constituer la SFSC. Comme tous nos noms avaient une consonance exotique très particulière il y eut un grand éclat de rire! Puis ensuite les événements se déroulèrent très vite.

La psychanalyse constituait certainement une culture commune. Bien entendu nous possédions tous en commun une culture sexologique de base dont les travaux les plus notables étaient ceux d’Alfred Kinsey et Pomeroy en 1949 et puis ceux, merveilleux, de William Masters et Virginia Johnson en 1966! Ces deux derniers ont acquis une célébrité mondiale confirmée en 1991 par l’affichage dans le prestigieux St. Louis Walk of Fame Inductees. Mais nous étions aussi influencés par les techniques issues de Palo-Alto. Nous avions reconnu le sérieux du National Sex Forum. Nous donnions de l’importance aux somatothérapies et surtout à la bioénergie qui s’inspirait des écrits de Wilhelm Reich. La naissance de la SFSC, c’est-à-dire de la sexologie française, a suscité ici à Paris entre 1972 et 1975 une grande effervescence. Je veux dire que nous avons porté, à 4 ou 5, la sexologie clinique sur les fonts baptismaux dans une atmosphère d’effervescence. Le petit groupe des fondateurs confia à notre secrétaire d'alors, Mme Green, le soin de déposer les statuts officiels de l'association à la Préfecture de Paris.

Le Laboratoire Roussel nous a rendus célèbre.
L'histoire de la sexologie en France va dès lors se confondre entre 1974 et 2001 avec l'histoire de la Société Française de Sexologie Clinique ou SFSC. Des événements clefs que vous connaissez tous nous ont rendus célèbres. En 1974 à Paris le 1er Congrès International de Sexologie au cours duquel le Pr Netter demandait au sexologue une formation pluridisciplinaire. "Au gynécologue, disait-il, de se doter d'une bonne connaissance de l'endocrinologie testiculaire et surtout de la psychogenèse sexuelle, au psychiatre d'une connaissance de la gynécologie et de l'andrologie. Cette discipline, ajoutait-il est au carrefour de la gynécologie, de l'andrologie, de la psychiatrie, de la morale et de la sociologie".
C’est surtout le scandale de la réunion du 13 juin 1974 dans le bel immeuble du Laboratoire Roussel, boulevard des Invalides, qui a fait la célébrité et la notoriété de la SFSC. La conférence s’est transformée en un tohu-bohu qui dégénéra assez vite en émeute! Il s’agissait d’une des premières grandes réunions de la SFSC. Je ne me souviens plus du thème. Une troupe nombreuse de jeunes gens avaient envahi la salle portant des pancartes et hurlant des slogans comme «à bas les glapisseurs du sexe», «à bas les sexoflics». C’était des militants d’un mouvement dénommé FHAR ou Front homosexuel d’Action Révolutionnaire. L’article du Monde le lendemain a contribué à nous faire connaître. Par la suite nos réunions à la Faculté de Pharmacie furent protégées par quelques vigiles assez costauds.

Ganem aussitôt nommé vers 1991 avait fait la tournée des popotes pour demander de l’aide. Il est venu chez moi et je lui ai dit que je souhaitais désormais me retirer pour me consacrer un peu plus à la psychopathologie. La plupart d’entre nous souhaitaient passer la main à nos jeunes collègues. Et puis la maturité de la sexologie s'est affirmée à l'occasion du Congrès Mondial de juin 2001 qui fut un triomphe. J'ai pu observer comme aussi les sexologues s’arrimaient fort bien aux outils de la modernité. Les organisateurs du congrès m'avaient confié le colloque "Sexologie et Internet". J'ai vu devant moi dans l'amphithéâtre une impressionnante forêt d'ordinateurs connectés avec WIFI et rétroprojecteurs pour exposer sur grand écran les sites des sexologues du monde entier. J’ai mesuré ce jour-là le chemin parcouru par la SFSC!

La vie de la SFSC
Nous mettions en œuvre une série de conférences puis un enseignement qui débouchera tôt ou tard dans l’organisation des supervisions. D’autre part la confrontation quotidienne entre les différentes formes d’applications concrètes des thérapies caractérise l’originalité de la sexologie clinique.
Il se trouve que nous avions très tôt formé une commission d'éthique qu'on m'a demandé de diriger. Je me suis chargé de la rédaction du code d'éthique des sexologues. Celle-ci fut vraiment laborieuse. Il y eut une quinzaine de réunions chez moi, de vives disputes, des projets de texte et enfin un texte définitif en janvier 1989 que j’ai proposé à la SFSC. Chaque mot était pesé. J’ai consacré quelques trois années à ce texte qui s’est révélé assez consensuel puisqu’il a été adopté par presque toutes les sociétés de sexologie en Europe. Dans ce code, le plus difficile fut de préciser les conditions de la formation, de l’habilitation et surtout la requête de la formation psychanalytique minimale. J’ai tenu à nommer cela "la maïeutique" en rameutant mes souvenirs de grec classique que je n’ai jamais délaissé. Bref nous étions agités par des réflexions permanentes qui ont fait la richesse de cette SFSC. C’est pourquoi je pense que toutes les supervisions effectuées à la SFSC doivent être prises en compte par la Commission Accoyer concernant les psychothérapeutes.
La sexologie croise les chemins de l'éthique et de la liberté. Le sexe comme le psychisme sont des condensés d'organique, de psychique et d'éthique. Les pays de dictatures méprisent les hommes, les transforment en serviteurs et en instruments d'une idéologie. Nous connaissons bien ces dictatures orientales sordides qui martyrisent les êtres, les hommes et surtout les femmes. Là vous ne pourrez pas faire de la sexologie. Là, on ne peut pas non plus y faire de psychiatrie et de la psychanalyse. Là où règne la barbarie notre science est bien fragile.

Les fondements de la sexologie
La sexologie accède à la modernité à partir de 1949 avec le rapport Kinsey, Martin et Pomeroy. Puis ensuite le travail sensationnel de Masters et Johnson a suscité d’innombrables travaux dans les pays occidentaux. Il est intéressant de constater que les plus grands progrès furent observés dans les pays de culture protestante. En 1999 la mise au point de l'inhibiteur de la phosphodiestérase c'est à dire le sildénafil est un moment important dans l’histoire de la sexologie. Les tendances scientifiques des différentes écoles doivent être précisées. Les américains de Palo Alto et de l’Université de Saint Louis ont été très pragmatiques privilégiant l'expérimentation, la statistique et le béhaviorisme. L'école de la SFSC a été plus volontiers synthétique. Le rapprochement en France des techniques de Masters et de la psychanalyse en est un exemple éloquent. On en voit l'exemple dans les deux ou trois conceptions de la «sexothérapie analytique». Nous sommes donc en France devenus partisans des doctrines mêlées. On a souvent dit que la cosexothérapie de couple était antipsychanalytique. Ce n'est que partiellement vrai. On a dit aussi qu'elle était simpliste. Or le behaviorisme exprimait et exprime encore de nos jours la puissance de la méthode expérimentale! Il faut dire aussi que dans le monde des psychothérapeutes nous nous intéressions beaucoup aux thérapies brèves. Mais, que la thérapie soit longue ou brève, on souhaite un thérapeute capable de tenir le coup dans la longue durée si la souffrance est tenace et durable !

Les moments conceptuels majeurs de la sexologie
Le carrefour des disciplines.- La sexologie réunit des compétences variées des psychiatres, des médecins généralistes, des gynécologues, des endocrinologues et des urologues, des psychologues cliniciens, des conseillers conjugaux et des psychanalystes. La sexologie convoque d'emblée toutes les idées émises à propos de la psychogenèse et de l'organogenèse. Le sexologue mêle dans sa pratique les psychothérapies, les thérapies comportementales et les traitements médicaux. Le futur de la sexologie est donc conditionné par l'échange des idées entre différentes disciplines scientifiques.
L’ubiquité du sexologue le fait évoluer dans des spécialités variées. Un glissement progressif s'est opéré de Freud à Kinsey puis à Masters. Le premier était neuropsychiatre et psychanalyste, le second biologiste et le troisième gynécologue. Le quatrième sera psychiatre sexologue et le cinquième sera sans doute urologue.
L'importance des pratiques langagières a été une des grandes vertus des sexologues. Cette discipline ne se contente pas seulement de concilier plusieurs spécialités médicales. Le sexologue manie un langage sexuel adapté et de ce fait il inspire confiance aux consultants.
L'agitation des esprits a été une richesse de cette discipline. J'ai aimé cette sorte d'agitation intellectuelle suscitée par l'avènement de la sexologie. Un collègue psychanalyste en 1974 apprenant la création de la sexologie m'a dit d'un ton sévère: "Mais de quel droit t'intéresses-tu à la sexualité des gens?". Nous étions en butte à la fatuité et au «caporalisme» de certaines des sociétés psychanalytiques. Beaucoup de sociétés médicales et psychanalytiques étaient en 1974 figées dans des postures surannées. L'effondrement des idées figées a été bénéfique pour nous tous. Vous pouvez faire l'analyse spectrale des idées d'autrefois au bruit que fait leur chute! Le sexologue aime au contraire la confrontation des idées. En principe il n'aime pas le dogmatisme et la langue de bois. Eviter le dogmatisme c'est bien. Encore faut-il tâcher d'éviter "le tout anatomopathologique" et sa réponse uniquement biochimique ou "le tout psychique" avec son paquet cadeau la psychanalyse. C'est ainsi que la pensée scientifique raisonnable est advenue aux sexologues.

Peut-on dessiner une sexologie du futur ?
Existe-t-il un label France de la sexologie ?   Des mots clefs ont caractérisé la sexologie française depuis 1974 et ce sont l’encyclopédisme et la métasexologie. Nous voulions assimiler beaucoup de savoirs. Mais aussi nous avons tous été des aventuriers de la clinique !  Cet esprit de novation des premières années de la SFSC de jadis se voit encore de nos jours. Nos travaux ont profondément modifié les discours sur les comportements sexuels aussi bien parmi les scientifiques que chez les profanes. La sexologie voulait aussi aider les gens à penser le sexe de façon plus libre.
L’héritage de la SFSC est riche de son éclectisme. L'avènement de la sexologie en France a produit une ébullition des esprits qui m'apparaît avec le recul du temps comme une véritable bénédiction. C’est la véritable leçon que je retire de l’aventure de la sexologie: l'esprit de novation et la jubilation intellectuelle
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Paris le 5 juillet 2014
Ludwig Fineltain
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Cofondateur de la SFSC
 

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