Mai    2011

 

Sexologos   #  01


TRAVESTISSEMENT
 

Le travestissement (transvestisme, travestisme, éonisme, cross dressing) consiste en s’habiller et se comporter comme appartenant à l’autre sexe : la femme s’habille comme un homme, l’homme s’habille comme une femme. La fréquence et la durée de l’habillement chez les travestis sont variables, le plus souvent épisodiques. Dans le comportement de travestissement, on peut distinguer deux approches. L’une accentue les aspects érotiques et sexuels. L’autre accentue plutôt les aspects d’appartenance à l’autre genre, et un certain malaise dans le genre d’origine. Dans ce cas, le travestissement peut être considéré comme un trouble de la genralité ou une dysphorie de genre. La genralité est le sentiment d’appartenir à une identité masculine ou féminine, ce sentiment n’étant pas forcément lié à l’identité anatomique.
Il arrive souvent que le transvestisme soit confondu avec l’homosexualité ou avec d’autres variations sexuelles. Les travestis peuvent avoir des tendances homosexuelles aussi bien que hétérosexuelles ou asexuelles (en fonction de leur orientation psychologique). L’orientation sexuelle est en général indépendante de l’identité de genre.
 
PORTRAITS
 
Le travestissement occasionnel ou utilitaire : carnaval, soirées festives
 
C’est le cas le plus fréquent, à caractère ludique lors de fêtes, carnavals, manifestations culturelles, sportives comme le marathon du Médoc qui réunit 8 000 participants et où l’on remarque des gaillards musclés courant en tutu rose de ballerine.
L’option utilitaire est illustrée par le film « Madame Doubtfire ». Daniel Hillard (Robin Williams) adore ses 3 enfants. Aussi quand sa femme demande le divorce et obtient leur garde, le déchirement est terrible. Pour se rapprocher d’eux, il décide de se métamorphoser en une respectable nounou anglaise, Madame Doubtfire, et se fait embaucher par son ex-femme.
 
Le travesti homosexuel ou lesbien
 
Ce travesti masculin, s’affiche en femme avec maniérisme pour satisfaire son homosexualité.
C’est une situation fréquente et qui contribue à entretenir la confusion entre travestissement et homosexualité. «La Cage aux folles» est une boîte de nuit qui présente un spectacle de travestis, dont la vedette est Zaza (de son nom Albin).
Il forme avec Renato un vieux couple homosexuel.
Dialogue : Renato : «Essaye de marcher comme John Wayne». Albin s’exécute, dans une démarche plus chaloupée que jamais. Renato, désespéré par le résultat «Ça, c’est John Wayne jeune fille»...
Le travesti lesbien est en général marié, souvent père de famille, son orientation est hétérosexuelle,
il adore les femmes d’où le terme de «saphien» créé par Charles Fourier et reprit comme «lesbien» par Paul Eluard. Il se travestit de façon épisodique en serveuse, infirmière ou pute. L’épouse est au courant et accepte la situation.
«Le terme français de lesbien [caractérise] complètement un profil sexuel et affectif masculin bien précis. (...) Le profil lesbien comporte tout un ensemble de traits associés et interdépendants :
- Image de la femme vécue comme complice, égale et active, féminisme,
- Antijalousie, générosité naturelle et altruisme,
- Pratiques amoureuses lesbiennes (complicité amoureuse totale, recherche et réalisation des désirs de l’autre et de son plaisir, don réciproque et double découverte, amour-communication/échange),
- Amitié amoureuse qui ne dissocie pas la communication culturelle et affective de la tendresse physique : donc rejet du dualisme judéo- chrétien,
- Attirance d’abord pour la personnalité et donc vécu sensuel d’anatomies non dissociées de toute la personne et non systématiquement conformes aux canons officiels,
- Et donc comme chez nombre de féministes, rejet fréquent des accessoires «féminin» associés au modèle machiste de la femme qu’on consomme dans un emballage de luxe ritualisé,
- Tendresse et grande sensibilité physique et morale souvent fragilisante,
- Refus des valeurs et attitudes de rivalité/domination,
- Et culture de l’amitié totale, généreuse.
Il s’agit en fait de l’existence intégrée dans un individu de sexe masculin et hétérosexuel d’un ensemble de valeurs féminines qui le conduisent à avoir aux femmes, bien qu’homme, une relation analogue à celle des lesbiennes…

Le profil lesbien se définit ainsi en totale opposition aux valeurs machistes. Il ne «prend» pas une femme, une amie qui se «donnerait» ou lui «accorderait ses faveurs». Il aime et ne consomme pas l’autre. Il aime une autre égale, semblable et différente, il l’aime heureuse, dans ses désirs, même pour d’autres».
 
Le travesti transsexuel, le transgenre, le queer
 
Le transsexuel a le sentiment irrésistible d’appartenir à l’autre sexe, adapte son comportement, son habillement à cet autre sexe, et quête inlassablement une assistance médicochirurgicale qui lui permettra de retrouver ce qu’il croit être sa vraie nature.
James Morris décrit un cas de transsexualité : le sien («L’Énigme», Gallimard). Dès l’âge de 4 ans, James Morris a la certitude d’être une fille dans un corps de garçon. (...) Aucun transsexuel n’a jamais été guéri par des thérapeutiques psychiatriques.
La recherche médicale la plus récente offrait une solution : faute de pouvoir modifier l’esprit, modifier le corps, par un traitement aux hormones, d’abord, suivi d’une intervention chirurgicale.
Le transgendériste, le 3e sexe, va encore plus loin dans la complexité, et accepte un mélange de genres sur sa personne physique. Ainsi un homme biologique vit en femme, féminisé par les vêtements et l’hormonothérapie, tout en conservant son pénis ; une femmes biologique ayant subi une mastectomie (ablation des seins) sans traitement hormonal, androgynisant son corps sans le viriliser vraiment ; ou encore une personne gardant son sexe anatomique féminin et pouvant s’en servir pour le plaisir, tout en se sentant masculin, et voulant vivre au masculin ; intéressé par la modification de son corps dans le sens de la virilisation, mais non par la phalloplastie.
Au départ, le terme «queer» (pédé bizarre) était une insulte homophobe. Le courant queer a repris par dérision l’appellation à son compte et regroupe celles et ceux qu’on a étiquetés de perversion, de déviance, les parias, les inclassables qui vivent dans les marges de l’identité sexuelle et de la normalité. On y retrouve des transsexuels, des bisexuels, des adeptes du SM, du fétichisme, du piercing, de l’automutilation.
Le chanteur queer Marylin Manson «eonist» avec implants mammaires et pénis tatoué, est un des champions de la provocation, de l’affrontement contre les normes sexuelles et morales sur un mode anarchiste. Il glorifie la pornographie dans son clip vidéo récent «Mobscene» et dans «Gâteau et sodomie». Extrait : «Beaucoup trop de défécations orales / Merdes blanches, agenouillez-vous / C’est l’heure des gâteaux et de la sodomie / Je suis le dieu de la baise »
(
www.mansonlegion.com)
 
Le travesti fétichiste
 
Le travesti fétichiste, se travesti pour ressentir une excitation érotique. Les vêtements féminins (vinyle, dentelles, petites culottes, strings, jarretelles, collants) sont autant de stimulants de l’érection et de masturbations. Un exemple
brillant et sulfureux est celui de Pierre Molinier, l’androgyne ténébreux du surréalisme, ami d’André Breton, photographe érotique qui se mettait en scène lui-même pour se représenter en guêpière, bas noirs ou résilles, et qui aura donné à l’érotisme fétichiste une dimension artistique.
«Notre mission sur la terre est de transformer le monde en un immense bordel.»
 
Le travesti prostitué
 
Annonce : «Travesti soumis, reçoit H/couple. Fétichiste SM, fessée, scato, boit urine et sperme. S’exhibe rasé, portes jarretelles, escarpins. Possibilité de vous travestir.»
Dans ce domaine les travestis brésiliens «les brésiliennes» ont acquis une notoriété internationale.
Dans le film de Beatriz Flores Silva : «Putain de vie/En la puta vida» Elisa prostituée prend conscience de son état d’exploitée. Une guerre de territoire s’est déclenchée entre les «Uruguayens» et leurs concurrents travestis brésiliens. Le meurtre d’un travesti brésilien fait basculer les choses. Elisa décide de dénoncer Placido son proxénète, et les autres maquereaux, qui sont lourdement condamnés.

Histoire belge : Pourquoi les français ont-ils vraiment des raisons d’être fiers d’être champions du monde de foot ?
- Parce que c’est bien la première fois qu’ils arrivent à baiser les Brésiliens ailleurs qu’au bois de Boulogne.
 
Drag Queens, les « Reines »
 
Un drag queen est un acteur masculin habillé d’une façon extrêmement provocante : robes multicolores, chaussures hautes comme des échelles, perruques figées et exubérants bijoux de pacotille.
Les drag imitent et parodient sur scène, au cabaret, au théâtre, des icônes comme Marilyn, Marlène Dietrich, Judy Garland…
 
Le transvestisme féminin, féministe et politique
 
L’habit ferait-il le mari ? L’exemple d’un female husband, James Allen (1787-1829) qui fut pendant 21 ans le mari d’Abigail, mourut à la suite d’un accident du travail. C’est à cette époque que les médecins découvrirent qu’Allen était une femme. De nombreux journaux britanniques en parlèrent.
La liste est longue des saintes, soldates, ouvrières, voyageuses, artistes, amantes, qui ont, à travers les siècles, endossé un habit masculin interdit et sont ainsi sorties, de plein gré ou non, de l’enfermement d’un destin sexué univoque.
Dans le film western de Maggie Greenwald sorti en 1993, The Ballad of Little Jo, l’héroïne a le choix entre deux modes de vie, mère de famille ou putain. Mais elle choisit une troisième voie, la plus intrépide : être un homme, dont elle prend l’allure et les habits, alors qu’elle est «femme» et qu’elle le redeviendra, à la fin de l’histoire, pour l’amour d’un immigré, Chinois et persécuté.
Les femmes travesties, font parfois rire. Valérie Lemercier dans sa comédie, Le Derrière (1999), incarne un jeune gay. On rit de ses mésaventures de femme (de «pisseuse» en l’occurrence) travestie et de l’image caricaturale de l’homosexualité
masculine.
À chacune/chacun, son image de la fille en garçon, et le look vestimentaire qui va avec : complet trois pièces avec gilet, salopette, cuirasse, strass, smoking, perfecto, pourpoint, monocle, chevelures rases, musculatures gonflées...
Le transvestisme féminin fut d’abord un moyen de survie : déguisement des persécutées et des amoureuses, habillement commode des pauvresses et des patriotes. Il leur permit aussi de rendre visibles des revendications de liberté physique, d’égalité économique et de dépassement du cadre binaire des relations de sexe. Images de subversion politique et/ou d’affirmation d’une identité sexuelle non conforme.
Le transvestisme féminin connaît lui aussi des références historiques, des personnages célèbres. Le chevalier d’Eon, (d’où la dénomination d’éonisme) par exemple. C’est en 1728 que naquit Charles Geneviève Louis d’Eon de Beaumont.
La confusion des prénoms était prémonitoire d’une vie marquée tout entière par l’ambiguïté. Mais ses talents et sa bonne mine le firent bientôt remarquer du Roi Louis XV qui l’embrigade dans ses services de diplomatie parallèle (le «Secret du Roi»), afin d’approcher la Tsarine Elisabeth de Russie, d’Eon se métamorphose en Melle Lia de Beaumont.
George Sand, Colette portaient des habits d’homme, s’assimilant ainsi à la frange littéraire et subversive de l’époque. Marlène Dietrich joua de l’ambiguïté en frac et en chapeau claque.
De nos jours il est courant pour une femme de s’habiller en pantalon, en homme, voire de porter des accessoires masculins plus ou moins féminisés (cravates, pataugas, gros godillots).
Depuis l’émancipation des femmes, résultat des mouvements féministes et des garçonnes des années 1920, qui coupèrent leurs cheveux, fumèrent le cigare, arboraient le frac, la masculinisation de l’allure des femmes est devenue banale. Modèle de l’uniformisation du «look» unisexe : le trio incontournable du jean – T-shirt – baskets. S’il est permis pour les femmes de porter un habit masculin, les femmes exagérément masculines («butch» : «camionneuses»), subissent parfois de la discrimination.
 
PSYCHOLOGIE  DU  TRAVESTISSEMENT
 
Un thème aussi complexe recouvrant des comportements infiniment variés, ne peut s’expliquer simplement. Nous nous contenterons des théories de deux grands penseurs, Szondi et Lacan. Pour Léopold Szondi, psychiatre, la figure d’identité, comme être sexuel complet, est celle de l’androgynie : «L’Etre-complet, l’être-total, c’est l’être double hermaphrodite. Tout puissant est l’être qui possède les deux organes sexuels ; il est tout puissant parce qu’il n’a pas besoin d’un autre être pour accéder à la complétude».
« Tout homme, dit Szondi, a été cet être double dans la phase la plus ancienne de son ontogenèse, comme cellule sexuelle primaire (ovocyte ou spermatocyte), avant que s’opère la partition en deux cellules sexuelles (ovule et spermatozoïde), de la réunion desquelles naît l’individu». «Cet être-double est naturellement anérotique puisque l’attraction érotique est l’apanage des êtres unisexués, lesquels aspirent précisément à la complétude par le biais de l’accouplement avec un autre être unisexué. La partition de la cellule primaire fait perdre à l’individu son intégrité, il devient un «demi-être».
De cette condition de «demi-être» naît naturellement l’aspiration à l’être complet et la tendance à attendre la complétude de la part du partenaire de l’autre sexe. Cette aspiration, Platon la baptise Eros. Une personne peut être définie comme normale dans la mesure où il lui suffit de pratiquer le coït avec un partenaire pour trouver la complétude.
Si ce moyen ne réussit pas, il y a un trouble du « besoin de complétude».
Le transvestisme serait ainsi un retour symbolique à l’être-double androgyne, tout puissant.
Pour Jacques Lacan, psychanalyste «ie transvestiste… est quelqu’un qui s’identifie à la mère phallique en tant que d’autre part elle voile ce manque de phallus. Car aussi bien n’avons-nous pas attendu Freud pour aborder la psychologie des vêtements : dans tout usage du vêtement il y a quelque chose qui participe de la fonction du transvestisme, et si l’appréhension immédiate, courante, commune de la fonction du vêtement est de cacher les pudeurs (pudenda ?). Les vêtements ne sont pas seulement faits pour cacher ce qu’on en a au sens d’en avoir ou pas, mais aussi précisément de ce qu’on n’en a pas. L’une et l’autre fonction sont essentielles.
Il ne s’agit pas essentiellement et toujours de cacher l’objet, mais aussi bien de cacher le manque d’objet».
Alors somme nous tous des travestis ?

 

BIBLIOGRAPHIE
01 - Femmes travesties : un « mauvais » genre de Christine Bard et Nicole
Pellegrin. Revue CLIO - oct. 1999,
02 - Le voile, l’objet manqué de Jacques LACAN. Séminaire du 6 février 1957.,
03 - Molinier de Pierre MOLINIER - 1969.,
04 - L’Énigme de James MORRIS Gallimard,
05 - Paul Éluard a cent ans de Gérard VERROUST
 Colloque International de Nice - janvier 1996,

Dr Charles Gellman (Paris)
Neuropsychiatre Sexologue
Article paru dans « Le dictionnaire de la pornographie » PUF Ed. 2005
 

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