Janvier       2013

 

Sexologos   #  04


Le mariage pour tous
 


Il y a quelques semaines, l’idée du mariage pour les homosexuels semblait faire l’objet d’un consensus, car on y voyait un moyen de sécuriser l’avenir des membres du couple (de même que certains hétéros «régularisent» leurs couples en s’épousant pour protéger le plus exposé des deux). Un moyen aussi de rendre légitime le couple des parents-éducateurs afin que ses enfants ne soient plus stigmatisés. Ce qui semblait aller de soi.
Le brusque sursaut des opposants, et la virulence de leurs attaques, l’envahissement médiatique qui en a découlé, entraînent une remise en cause des idées considérées comme reçues, et poussent à effectuer une analyse systématique des arguments en présence.
La documentation abonde. Les articles et les blogs des journaux Le Monde, La Croix, Le Figaro, Le Nouvel Observateur et Le plus du Nouvel Observateur, Slate, Liberté politique (.com), notamment, pour ce qui est d’Internet, complétés par un dossier de Valeurs Actuelles portant sur « le mariage pour tous : pourquoi ils disent non » (n° 3961 du 25 octobre 2012), au-delà des habituelles insultes et attaques personnelles, donnent une bonne idée des thèses en présence.

Nous présenterons le projet de loi. Il change la définition du mariage, ce qui provoque le premier blocage, ainsi que les propositions d’utiliser une autre appellation : mais ces réactions restent fondées sur les définitions idéologiques du
mariage. Les problèmes de filiation restent mal argumentés, rendus confus par l’absence de précision des termes. Les problèmes d’adoption distinguent mal les différents cas concernés. La génération par AMP ou mère porteuse soulève des questions d’un autre ordre, qui embrouillent les discussions. Et surtout l’homophobie latente ou explicite rend difficile une approche sereine du débat. Mais quelques points peuvent être clarifiés et constituer la base commune nécessaire à toute élaboration d’un compromis acceptable pour tous.

 

Pourquoi cette demande aujourd’hui ?
 
Une réflexion préalable s’impose, afin de comprendre pourquoi des homosexuels demandent aujourd’hui à se marier et à pouvoir adopter, comme à pouvoir bénéficier de l’Aide Médicale à la Procréation (AMP), alors qu’il y a peu, par exemple, aucun couple d’homosexuels hommes ne cherchait à élever des enfants. Mais la société a profondément changé dans la seconde moitié du XXe siècle :
« la famille ne se conforme plus à un modèle unique, ni même dominant : moins de la moitié des couples français sont légaux, mariés ou pacsés. Le mariage lui-même n’obéit plus guère aux motifs traditionnels du lignage ou de la religion [70% des mariages à l’église peuvent être considérés comme nuls au regard des critères de validité du sacrement, disent des prêtres], mais bien davantage aux exigences et aux choix de la vie affective, similaires entre personnes de même sexe ou de sexes différents » (Le Monde).
l’égalité de droits et de responsabilités entre le mari et l’épouse gomme la différence des rôles dans les couples : il n’y a plus pour la loi un père et une mère avec des rôles différents, mais des parents égaux en tout.
l’enfant a pris une place très grande, et les adultes d’aujourd’hui, hommes ou femmes, estiment important d’élever un enfant : ils en font un projet de vie. Que ces adultes soient homosexuels ou pas. Et les pères s’occupant activement de leur bébé ou de leur enfant se généralisent.
le statut du parent social, du «beau parent» (dans les couples recomposés ou homosexuels), n’est pas clarifié, entre demande de se comporter en père ou mère envers l’enfant conçu par d’autres, et absence de droits reconnus.
Ce sont ces changements qui expliquent le surgissement de demandes inédites.
 
Premier point : le mariage
 
Texte : Le projet de loi du gouvernement crée un nouvel article du Code civil, qui institue un mariage contracté «entre deux personnes de sexe différent ou de même sexe».

Arguments contre
«Le mariage c’est l’union d’un homme et d’une femme s’engageant à fonder une famille». Si l’on supprime la notion d’hommes et de femmes, et la fondation d’une famille, il ne reste plus rien. (Xavier Lacroix, Le Monde ; La Croix, Dossier : les arguments de l’Église catholique)
«Le mariage assure le renouvellement des générations».
Pour la loi civile, le mariage sert à stabiliser la famille, condition pour transmettre la vie et l’éducation de futurs citoyens.
La loi sera alors non conforme au réel. (Valeurs Actuelles)
C’est une évidence de la nature qu’il faut un homme et une femme pour faire un enfant.

Discussion
Que les enfants naissent de l’union d’un homme et d’une femme n’implique pas en toute logique que le mariage soit exclusivement un lien entre un homme et une femme. Le raisonnement implicite est :
   1-Les enfants naissent de l’union d’un homme et d’une femme.
   2-Le mariage sert à la génération des enfants.
   3-Donc le mariage nécessite l’union d’un homme et d’une femme.
Ce type de raisonnement n’est valide que s’il y a une équivalence stricte entre les deux termes des deux affirmations, naissance et union d’un homme et d’une femme pour la première, mariage et génération pour la seconde. Or déjà les naissances peuvent venir de fécondations médicales sans union. Et surtout, si le mariage vise bien la génération, il n’est qu’une des formes d’union de deux personnes de sexes différents dans un but procréatif. Les faits le démontrent à l’évidence : le nombre de mariages diminue régulièrement (de 300 000 à 240 000, de 2000 à 2011), le nombre de Pacs a décuplé (de 22 000 à 210 000), et les unions libres sont passées de 320 000 à 450 000). La majorité des enfants naissent ainsi hors mariage. Donc, dans notre société, le mariage ne sert pas à créer le lieu où accueillir et élever un enfant, car ceci peut se faire dans d’autres lieux, et les droits et obligations envers les enfants y sont identiques, quel que soit le lien entre les parents. La spécificité du mariage porte sur un autre point, le traitement du patrimoine du couple. Ce qui a d’ailleurs toujours été le cas : dans l’Antiquité gréco-romaine, «le mariage est un arrangement économique fondé sur des considérations de fortune et de lignée, afin de permettre la reconnaissance de paternité légitime qui fait des fils des héritiers et des filles des mariées porteuses
de dot». Donc, pour ceux qui n’ont pas de bien, il n’existe pas. Jusqu’au XVIe s., le simple fait de cohabiter fonde le couple, la cérémonie publique de mariage à l’église n’étant habituelle que pour les puissants. L’Église catholique va petit à petit imposer le consentement devant un prêtre comme règle générale : ce qui se mettra progressivement en place au XVIIe s., rendant de plus en plus visible la cérémonie officielle comme l’acte qui rend légitime un couple. Mais le mariage sans cérémonie officielle sera long à être disqualifié.

La République va laïciser la cérémonie, la liant à un engagement réciproque de devoirs, ainsi qu’à des règles de répartition des biens. Aujourd’hui, c’est la façon de traiter les biens qui différencie les types de couples, et non d’abord leur rapport
aux enfants. La procréation n’est pas première dans la définition du mariage.
L’Église catholique en a pris acte en 1983, définissant le mariage non plus par la procréation et l’éducation des enfants comme fin première, ce qui était en vigueur jusqu’alors, mais d’abord comme «une alliance par laquelle l’homme et la femme constituent une communauté de toute la vie, ordonnée au bien des conjoints», avant de parler de la procréation et de l’éducation des enfants. Par ailleurs, en voulant faire du mariage un sacrement, l’Église catholique a insisté sur le consentement des futurs conjoints, renforçant le caractère personnel du mariage au détriment de la composante de lignage, et donc favorisant l’évolution vers le mariage pour raisons affectives qui triomphe au XXe siècle.

On est ainsi raisonnablement en droit de penser que le mariage de couples de même sexe ne concerne pas l’essence du mariage, qui reste la redistribution des biens. Et que la revendication de personnes homosexuelles voulant vivre en couple avec les mêmes droits que les hétérosexuels n’est pas injustifiée. De plus, le mariage se fondant aujourd’hui sur l’amour, les homosexuels qui s’aiment estiment remplir les conditions pour se marier.

D’autres, parmi les députés de droite, sensibles à la revendication d’égalité (avoir les mêmes avantages économiques et de protection) proposent une union civile (promesse de Nicolas Sarkozy en 2007), qui laisserait le terme «mariage» pour l’union d’une femme et d’un homme. Mais pourquoi deux types de contrat pour des contenus identiques ? Et maintenir une discrimination ne perpétuerait-il pas les problèmes de stigmatisation ? La réflexion s’impose entre rassurer les tenants du mariage comme liant exclusivement un homme et une femme et rassurer ceux qui craignent que la moindre différence continue à nourrir les préjugés homophobes. Historiquement, si deux Romains voulaient vivre ensemble en partageant leurs biens et en se faisant mutuellement héritiers l’un de l’autre, ils concluaient un pacte privé de «fraternité». Les chrétiens en ont gardé le principe, avec des cérémonies à l’église, selon les mêmes rites que le mariage et devant un prêtre, mais sans le nom de mariage.

Et cela jusqu’au XXe s. dans le monde orthodoxe, comme pendant un millénaire (IVe - XIIIe s.) en Occident, la focalisation sur le mariage aboutissant progressivement à disqualifier l’homosexualité et à installer une hétérosexualité normative et exclusive (XIIIe - XIXe s.)
(Voir une étude des unions de même sexe en Europe sur le site : http://emma.hypotheses.org/1659).

Aujourd’hui, des catholiques prônent des bénédictions à l’église, devant la communauté, pour les couples qui désirent s’engager publiquement, homosexuels ou hétérosexuels comme divorcés remariés, et d’être en revanche plus strict sur le mariage, le don mutuel du sacrement du mariage devant être réservé à ceux qui ont une démarche de foi et remplissent les conditions traditionnelles.
Certains curés semblent déjà agir ainsi.

 

Deuxième point : la différence sexuelle
 

Texte : La loi aboutira à ce que les deux parents de l’enfant seront soit une femme et un homme, soit deux femmes, soit deux hommes.
Pour être clairs, nous allons laisser de côté dans un premier temps le problème des enfants adoptés et celui de l’AMP.
Donc nous ne parlons, pour l’instant, que des enfants que des homosexuels élèvent en couple homosexuel, mais qu’ils ont eus après des rapports hétérosexuels. Ce qui est le cas général.

Arguments contre
«Inscrire dans la loi que l’on peut être parents sans être un homme et une femme risque de déstructurer la société».
«Ce serait déformer les réalités humaines, comme l’amour, la famille, l’arrivée au monde». (Valeurs Actuelles)
Toute société est fondée sur le rapport entre hommes et femmes. (Valeurs Actuelles)
Cacher la parenté biologique est un mensonge pour l’enfant. (Valeurs Actuelles)
On ne peut faire l’économie de la naissance et de l’engendrement.
L’enfant doit accéder à la différence des sexes parentale. (Valeurs Actuelles)
C’est une injustice que de priver certains enfants d’un père et d’une mère.
Deux pères ou deux mères, c’est impossible.
«Si la loi venait à affirmer que l’enfant a deux pères ou deux mères, elle remettrait en question, pour tous, la définition de la famille et de la filiation ». (La Croix)
L’environnement familial classique est le plus sécurisé pour le développement de l’enfant. (Valeurs Actuelles)
«Des milliers d’enfants seront privés des biens élémentaires que sont un père et une mère». (Xavier Lacroix, Le Monde)

Discussion
La majorité des objections semble découler d’un fantasme, à savoir que les homosexuels dénieraient avoir eu un enfant avec un partenaire de l’autre sexe, et feraient croire à leurs enfants qu’ils sont le fruit de leur union avec leur partenaire de même sexe. Ce qui est de la pure fantaisie (de la calomnie ?). Les enfants des homosexuels sont issus de rapports hétérosexuels. La différence sexuelle n’est pas abolie, ni niée. Brandir alors un «deux pères» ou «deux mères» comme preuve de l’absurdité du projet de loi est une escroquerie : la loi parlera de deux parents, comme elle parle d’ailleurs déjà de parents à égalité pour les couples mariés actuels, et elle ne niera d’aucune façon la réalité biologique.

Les enfants concernés ont un père et une mère biologiques, et sont élevés par un des deux ainsi que par l’adulte qui cohabite. Ils sont dans un cas semblable à celui des enfants d’un couple divorcé vivant avec un de leurs parents et le nouveau partenaire de ce parent : ils sont donc élevés par un homme et une femme dont l’un est le parent biologique, l’autre, le parent éducateur. Ils n’ont pas deux pères ou deux mères biologiques, ni même deux pères ET deux mères biologiques si leurs deux parents ont reformé chacun un nouveau couple. Même s’ils ont trois ou quatre adultes qui participent à leur éducation !

Dans ces conditions, l’enfant, connaissant l’existence de ses deux parents biologiques, a accès «à la différence des sexes parentale», a des référents paternels et maternels, sa vie sociale et celle de ses parents lui permettent de ne pas être coupé des références homme-femme (frères et sœurs des parents, grands-parents, amis de la famille…).

Pour l’éducation, rien ne prouve une quelconque infériorité éducative du couple homosexuel par rapport au couple hétérosexuel. Les études sur ce sujet semblent partielles et partiales, offrant peu de garanties de scientificité, d’un côté comme de l’autre. Le seul élément négatif notable vient du regard et du comportement des autres (camarades d’école, adultes, éducateurs) qui peut stigmatiser : l’égalité des droits rendra le couple homosexuel totalement légitime et devrait contribuer à faire diminuer toutes les préventions actuelles.

Et pour calmer les esprits, la ministre Madame Christiane Taubira, affirme : «On n’abolit pas le mariage hétérosexuel. Les livrets de famille ne changeront pas pour les couples hétérosexuels qui resteront père et mère. Les couples homosexuels pourront être «parents». Ce qui paraît purement formel car, nous l’avons noté, la parentalité par égalité des droits et devoirs de la mère et du père est devenue la règle.

 

Troisième point : l’adoption

 

Texte : «Les dispositions relatives à l’adoption sont inchangées. Les couples de même sexe mariés bénéficieront donc automatiquement, du fait du mariage, de la possibilité d’adopter un enfant abandonné. Chaque membre du couple peut également adopter l’enfant de son conjoint».
Adopter un enfant abandonné sera de fait extrêmement rare («trop peu d’enfants adoptables, multiples embûches» constatent les homosexuels eux-mêmes). Sans compter les refus de confier un enfant à un couple homosexuel dans la quasi-totalité des pays étrangers, comme d’après les critères des Conseils généraux et les volontés des parents qui donnent leurs enfants à l’adoption.

Les adoptions concerneront donc presque exclusivement l’enfant du conjoint, quand celui-ci n’a pas d’autre parent biologique (par exemple, enfant conçu avec AMP par donneur anonyme).

Un parent social «n’a aucun droit sur l’enfant qu’il élève, ne peut pas lui transmettre son patrimoine, n’est pas autorisé à prendre de décision médicale en cas d’urgence, ou à devenir représentant de parents d’élève. Il vit dans l’inquiétude devant les risques de séparation, accident, décès…», et c’est pour cela qu’il désire le mariage, qui lui ouvrira le droit à l’adoption.


Arguments contre
«L’adoption est un traumatisme, et l’être par des homosexuels rendrait les choses encore plus compliquées».
«Peut-on assurer que le sexe des parents n’a aucun impact sur les enfants ?»
«L’adoption priverait des milliers d’enfants de trois biens élémentaires :
   1-La différence sexuée de leurs parents.
   2-L’analogie entre le couple procréateur et le couple éducateur.
   3-Une généalogie claire et cohérente, lisible ». (La Croix)
L’État ne peut faire croire que ces enfants sont nés de ces parents. (La Croix)
«Paternité et maternité sont remplacés par «parentalité», père et mère sont remplacés par parent. Qui sera le parent 1 ou le parent 2 ?» (Xavier Lacroix, Le Monde ; La Croix)


Discussion
Pour l’adoption d’un enfant abandonné, l’option n’est pas entre être adopté par un couple hétérosexuel ou par un couple homosexuel. C’est être adopté par un couple homosexuel, ou bien rester en foyer d’accueil ou en orphelinat. Quel est l’intérêt de l’enfant ?
Les célibataires peuvent adopter, et cette mesure n’a pas suscité en son temps beaucoup de controverses : peut-on dire qu’il est pire pour un enfant d’être élevé par deux femmes au lieu d’une, par deux hommes au lieu d’un ? Notamment au vu des difficultés des mères célibataires ?
Sans compter que le système est hypocrite, amenant les personnes à cacher leur homosexualité ou leur vie de couple afin de se présenter en célibataires et pouvoir adopter.
Les démarches d’adoption sont tellement longues et difficiles que les couples qui projettent d’adopter, hétérosexuels ou homosexuels, doivent avoir beaucoup réfléchi et se montrer particulièrement persévérants : leur désir d’enfant, leur projet d’élever un enfant, a donc été longuement mûri. Peut-on en dire autant de toutes les naissances des couples hétérosexuels ?
L’interdiction en France pousse à aller chercher en Belgique ou en Espagne ce qui est refusé, créant des circuits parallèles accessibles aux plus dégourdis ou aux plus riches qui ne sont pas une solution et entraînent une discrimination.
Pour l’adoption de l’enfant du conjoint, l’absence de lien juridique avec l’enfant que l’on élève laisse beaucoup de problèmes sans solution.
La situation est semblable à celle des beaux-parents des familles recomposées (notamment, quels droits quand l’enfant a déjà deux parents biologiques ?), et mériterait une réflexion globale sur la parentalité, réflexion que le gouvernement a repoussée afin de ne s’engager que sur le minimum, le mariage. Mais les adversaires ont attaqué sur «le sort des enfants». De mémoire, déjà deux ministres précédents ont reculé devant la difficulté de légiférer sur le droit des «beaux-parents» (ou «parents sociaux») : faut-il en conclure que la loi ne peut tout résoudre et qu’il vaut mieux laisser les individus régler au cas par cas les problèmes qui surgissent, comme ils le font déjà, par des accords tacites ou explicites ?

Cela suppose la bonne volonté des personnes concernées, qui n’est pas toujours acquise, et qui ne met pas à l’abri d’une contestation ou d’une plainte. Surtout, cela n’enlève rien à l’inquiétude devant l’avenir du lien créé, en cas d’accident ou de décès.

 

Quatrième point : l’Aide Médicale à la Procréation

 

Elle est réclamée par les associations homosexuelles, divise la gauche et est rejetée à droite et par les religions. Actuellement, l’AMP est légalement réservée aux couples hétérosexuels stériles.

Discussion

Les questions :

1- À partir du moment où la science permet une nouvelle façon d’agir, au nom de quoi limiter l’usage de cette possibilité ? Ainsi des couples hétérosexuels, ayant depuis des années une vie sexuelle épanouie, mais excluant la pénétration vaginale, ont demandé à bénéficier de l’AMP prétextant qu’il n’était pas question pour eux de recourir à la pénétration. Cette revendication est-elle raisonnable, ou, pour des raisons financières comme de priorités (garder les moyens en priorité pour les couples qui ne peuvent faire autrement), l’État peut-il ou même doit-il la rejeter ? En somme, il s’agit de la nécessité d’une réflexion éthique sur l’utilisation de la médecine pour des raisons de convenance personnelle.

2- Les couples de femmes doivent-ils se voir refuser le recours à l’AMP parce que la demandeuse n’est pas stérile et pourrait donc recourir au rapport sexuel ? Dans l’état actuel des choses, ces couples ne peuvent pas en droit être reconnus stériles par nature ou de fait, puisque la loi s’appuie sur une définition médicale de la stérilité, et donc ne peuvent se voir ouvert ce recours.

Les réponses concrètes :

Les femmes des couples homosexuels sont elles-mêmes partagées.
Les unes veulent un père que leurs enfants pourront rencontrer, et choisissent un homme avec qui elles auront des rapports, ou un donneur qu’elles connaissent. Le risque est que cet homme peut toujours changer d’avis et revendiquer ses droits sur l’enfant, intervenir en tiers entre le couple et l’enfant.
D’autres pensent que « cette histoire est leur histoire, que si elles ont voulu un enfant, c’est par amour : on allait le faire à deux, pas à trois ou à quatre». Donc, avec un donneur anonyme. Certaines craignaient que la tierce personne vienne leur demander des comptes : «comment les hétérosexuels, dans leur couple, vivraient-ils d’être à trois ?» (Cette réflexion se référant à un couple hétérosexuel stérile recourant à un donneur : ce couple choisit de préférence l’anonymat afin que le donneur ne puisse intervenir dans la relation du couple avec l’enfant, ce qui pourrait se produire en cas de donneur non anonyme, ou d’amant procréateur quand le mari est stérile).
Mais ne pas vouloir d’homme mêlé à leur couple n’entraîne pas la négation du rôle d’un homme : «dès qu’elles ont grandi, on leur a dit qu’elles venaient d’une petite graine de maman et d’une petite graine qu’a donnée un monsieur, car un enfant ne peut naître de deux femmes». Et les hommes de leurs familles et de leurs cerclesd’amis sont là pour les référents masculins.
Dans tous les cas, «ces enfants sont issus d’un projet parental largement réfléchi». «Quel que soit leur choix final, elles ont toutes beaucoup réfléchi».

Les hommes ont recours à une femme connue, qui sera la mère légale. Ou à une mère porteuse, qui renoncerait à ses droits sur l’enfant.

 

Cinquième point : le droit des enfants
 

Arguments
«Peut-on faire porter aux enfants le choix de certains adultes ?» (La Croix)
«On créerait une discrimination entre enfants, certains auraient droit à un père et une mère, d’autres non.» (La Croix)
«On imposerait une injustice à l’enfant par rapport à son copain de classe.»
Chaque enfant a droit à «la vérité biologique». (La Croix)
«Comment s’articule la priorité reconnue à l’intérêt de l’enfant et la définition de la filiation, de l’adoption ou de la PMA ?»

Discussion
Homosexuels ou hétérosexuels, ce sont les adultes qui choisissent de faire ou d’adopter un enfant, sans lui demander son avis, et pour cause.
L’enfant aurait-il le droit de contester les circonstances dans lesquelles on l’aurait fait naître, la richesse insuffisante de ses parents, leur métier peu valorisant ou provoquant leur absence répétée, leur défaut de beauté ou de caractère, le manque de piscine dans la villa ? Oui, de fait, les enfants portent le choix des adultes qui les engendrent ou adoptent.
Les discriminations entre enfants sont extrêmement nombreuses, et d’avoir des adultes qui vous ont voulu, qui ont combattu pour vous avoir, et qui vous aiment, est une chance par rapport à beaucoup de copains de classe.
Nous avons vu que la réalité biologique n’est niée dans aucun des cas de figures.
Par rapport à la filiation et à la PMA, l’intérêt de l’enfant est qu’il existe, car, sinon, il ne viendrait pas au monde. Pour l’adoption, nous avons vu qu’elle avait comme autre terme de l’alternative le maintien en orphelinat ou en famille d’accueil, et que c’est de l’intérêt de l’enfant que d’être choisi par des adultes qui lui offrent leur amour et un foyer.
Nous ne pouvons nous empêcher de noter que, curieusement, le droit de l’enfant n’est brandi que lorsqu’il s’agit de contrecarrer le droit que l’on ne veut pas reconnaître à certains adultes (droit à l’avortement pour les femmes, et droit à la vie des fœtus-enfants). Et ce droit est totalement passé sous silence quand il s’oppose aux religions (droit à «l’intégrité physique» et circoncision, droit à «la liberté de pensée, de conscience et de religion» et endoctrinement).
(«Convention internationale des droits de l’enfant» du 20 novembre 1989 : «le droit à la dignité, qui implique la protection de l’intégrité physique et mentale. Ces droits sont en plus spécifiques, tenant compte du caractère vulnérable de l’enfant : l’enfant doit être protégé contre toute forme de maltraitance, ainsi que contre toute manipulation parce qu’un enfant ne peut donner un consentement éclairé. Ces droits de l’enfant sont supérieurs aux droits des parents. » En France, l’article 222-1 du code pénal punit les violences ayant entraîné notamment des mutilations. L’article 16-1 du Code civil concerne l’indisponibilité du corps humain notamment lorsque la personne ne peut donner son consentement.
Enfin l’article 24 de la Convention sur les droits de l’enfant proscrit les interventions médicales qui n’auraient pas de visée thérapeutique. Quant à l’article 14 de cette convention, il stipule «le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion» : le droit et le devoir des parents consistent, eux, «à guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné…» À guider dans sa liberté de
choix, pas à endoctriner).

 

Sixième point : l’homophobie
 

Elle est sous-jacente à beaucoup d’arguments, comme le reconnaît explicitement le dossier du journal La Croix, page 6 : «il est vrai que la position de l’Église sur (l’homosexualité) intervient en toile de fond (du débat sur le mariage)… Position reprise en 1992 par le Catéchisme de l’Église catholique, selon lequel (les actes d’homosexualité) sont des actes intrinsèquement désordonnés, contraires à la loi naturelle, qui ferment l’acte sexuel au don de la vie, qui ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable et ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas.» On ne peut être plus clair.

Cette homophobie se fonde sur un jugement négatif de la sexualité homosexuelle, qui reste pour certains un comportement anormal, contre nature, voire une dépravation. Les chrétiens s’appuient sur la Bible pour justifier leur rejet. Or celui-ci est plus profond : comme la seule sexualité sans péché est celle du couple hétérosexuel dans un but procréatif, la sexualité avant mariage, celle des célibataires, et aussi celle des homosexuels, sont disqualifiées d’office. (La Croix).

Comment confier des enfants à éduquer à des êtres foncièrement dépravés ?
Musulmans et juifs partagent cette vision de la sexualité, et portent le même jugement négatif sur l’homosexualité.
Voici quelques exemples de remarques homophobes et d’insinuations déplaisantes :
Députés : «Je dis qu’ils sont inférieurs moralement». «Et pourquoi pas des unions avec des animaux ?» Sarkozy : «Les gays n’aiment pas la France» (19 février 2007).
C’est la différence sexuelle qui donne sens à la sexualité.
«La société a-t-elle besoin de l’amour homosexuel de couples homosexuels solidaires. Peut-être, mais j’en doute». (Xavier Lacroix, Le Monde)
«Les duos homosexuels minoritaires qui ont des conduites certes respectables, mais qui posent des questions ». (Xavier Lacroix, Le Monde) (On aimerait savoir lesquelles !)
La «tolérance» demandée pour toutes les orientations sexuelles ne serait qu’un «cheval de Troie dans leur combat contre l’hétérosexualité» (Gilles Bernheim, grand rabbin, Le Monde)

Discussion

Il faut donc toujours revenir sur cet abus de langage qui confond les deux sens actuels du mot «sexualité».

La sexualité humaine, c’est la reproduction de l’espèce, à laquelle nous consacrons très peu de temps dans toute une vie, et très peu d’actes sexuels. Car la sexualité humaine consiste aussi et surtout dans le jeu avec l’excitation, le plaisir et la jouissance, ce à quoi nous consacrons beaucoup plus de temps, et qui concerne la quasi-totalité de nos actes et comportements sexuels. C’est cette sexualité de plaisir que pratiquent les homosexuels, et leur sexualité est donc parfaitement humaine, conforme à la nature humaine. Les homosexuels seraient-ils anormaux parce que certains refusent de vivre aussi la sexualité de reproduction ? Mais alors qu’en est-il de tous les hétérosexuels qui ne pratiquent pas non plus de sexualité reproductrice, laïcs ou religieux ? Toutes nos activités, tous nos actes de recherche de plaisir, ne seraient acceptables que s’ils étaient «ouverts à la vie» ? Après tout, d’après les critères catholiques, la sexualité homosexuelle est seulement ni plus ni
moins légitime que celle des célibataires ou des couples pas encore mariés, ni plus ni moins procréative que celle des couples stériles, des femmes ménopausées, ou celle des couples hétérosexuels la plupart du temps !

Quant à la Bible, l’épisode de Sodome n’a jamais été compris comme traitant de l’homosexualité par les contemporains, et le premier qui l’a fait, au XIe siècle, a manipulé le texte de la même façon que celui qui au XVIIe siècle a voulu disqualifier la masturbation en la référant à Onan. Seul le Lévitique condamne l’homosexualité, mais ce livre d’interdits rituels ne concerne pas les chrétiens depuis une décision des apôtres au temps de Pierre et de Paul ! Les références aux écrits de Paul, elles, se fondent sur des erreurs de traduction ou de lecture (pour une étude détaillée, voir le site sexodoc.fr).

Historiquement, nos sociétés se mettent à avoir une attitude négative envers l’homosexualité au XIIIe siècle, alors que celle-ci ne posait pas jusqu’alors de problèmes particuliers. Cette attitude se dégradera progressivement, et aboutit à un rejet total au XXe siècle par suite de la prédominance accordée au couple hétérosexuel qui devient le seul conforme à la nature. L’affaiblissement du modèle unique hétérosexuel à la fin du XXe siècle permet de redonner sa place dans la société à l’homosexualité.

L’homophobie est bien un comportement irrationnel, fondé sur des préjugés.
De plus, elle est un délit.

 


CONCLUSION
 
Il ne semble pas y avoir vraiment de problème pour le constat des changements profonds qui se sont opérés progressivement au sein de notre société :
La généralisation du mariage d’amour, qui place au premier plan le lien affectif.
L’importance attribuée à l’enfant pour la réussite de la vie d’un homme ou d’une
femme.
L’égalité parentale mise en place par le droit, qui n’assigne plus à des fonctions de père et de mère.

Les conclusions à en tirer demeurent cependant diverses.

Les arguments échangés mettent en valeur quelques questions qui restent en suspens :
L’utilisation du terme mariage est-elle judicieuse, et nécessaire ?
L’AMP doit-elle être étendue ?
La place du conjoint du parent biologique doit-elle être encadrée par la loi ?
Mais certaines de ces questions dépassent le sujet du mariage pour les couples homosexuels et demandent une réflexion éthique globale, ou une prise en compte de situations plus générales.
 
 


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