Septembre       2012

 

Sexologos   #  03


UTÉRUS, FÉMINITÉ & SEXUALITÉ
 

 
Lieu de procréation, organe féminin unique et indispensable à la survie de l’humanité suscite depuis des siècles bien des controverses. Au cours des siècles, on a pensé que les pathologies utérines avaient un retentissement sur la santé physique, mais aussi psychologique des femmes. L’utérus est perçu comme étant doté d’un pouvoir migrateur dans l’organisme responsable de différentes plaintes somatiques. Les civilisations égyptiennes, grecques et romaines perpétuent la force de cet imaginaire jusqu’à servir d’appellation pour regrouper un cortège de manifestations psychologiques sous le terme d’hystérie.
Freud, sexualité prégénitale est un «continent noir», avec son déni du vagin et de l’utérus… de la figure maternelle, objet d’amour primaire, au ventre rempli d’autres enfants existants ou fantasmés (pénis), avec le désir, pour la petite fille, d’exploration et d’attaque (M Klein), sa violence avec l’angoisse et la culpabilité qui s’ensuit, à la figure paternelle, objet convoité en rivalité avec la mère. L’envie du «pénis» paternel pour combler la faille de la castration (narcissique archaïque).
Retranscrit par Lacan : «l’homme est confronté à la castration, la femme à la privation».
Plus tard, l’utérus, aide à combler ce vide (porter l’enfant du désir oedipien), autorisant fécondation et reproduction. La question du désir d’enfant est toujours importante même s’il est ambivalent ou contre-investi (désir refoulé maintenu).
L’utérus autorise la fécondation et la reproduction, il assure la fonction de menstruation, symbole du manque (Lacan) : l’hémorragie «de privation» signant la vacuité utérine, n’en est pas moins un élément constitutif de l’identité féminine, signant pour certaines une purification périodique (mauvais sang qui doit sortir...), qui contribue au maintien de la santé…

 

HYSTÉRECTOMIE
 
La technique
 
L’hystérectomie est un acte chirurgical qui consiste à enlever tout ou une partie de l’utérus.
On parle d’hystérectomie totale si elle comprend le corps et le col utérins, subtotale si on laisse en place le col utérin, conservatrice ou interannexielle si les ovaires et les trompes sont laissés en place. Plusieurs techniques chirurgicales sont proposées : par voie abdominale, laparotomie, par voie laparoscopique (LAVH), par voie vaginale, l’utérus étant extrait par les voies naturelles.
 
La fréquence
 
En 2000 : 86 000 /an.
En 2008 : 72 000 /an.
Taux d’hystérectomie vaginale : 49%
Taux d’hystérectomie par laparotomie : 39 %
Taux d’hystérectomie coelioscopique : 5 %
P. Descamps / P. Magdalenat 2010.
 
Les indications
 
Les symptômes peuvent être les suivants : hémorragies (règles abondantes, saignements en dehors des règles), douleurs pelviennes (douleurs moment des règles, en dehors), incontinence (glissements), compression des organes de voisinage.
Les pathologies sont généralement bénignes avec : fibrome, endometriose/adenomyose, prolapsus et parfois cancer, peu symptomatique (col, endomètre, ovaire…).
 
Les données sociodémographiques
 
• Variations de la fréquence selon les pays
• Explications scientifiques :
Consensus sur les indications,
Formation du médecin, son expérience,
Patient : dépend de l’indication, son avis…
• D’autres facteurs :
Système de remboursement,
niveau d’éducation des femmes,
de leurs revenus…
(Surveillance de l’hystérectomie, États-Unis, 1980-1993, Lisa Lépine, M.D).

 

ATTEINTE SYMBOLIQUE
 
L’annonce de l’intervention.
 
Anxiété rarement formulée par le patient, ni envisagée par les cliniciens (Royaume-Uni et États-Unis : Mokate T. 2006 Dec. Review). Elle mobilise un certain nombre d’angoisses :
• L’anesthésie générale : Du sommeil à la mort, Passif et dépendant pendant l’anesthésie.
• L’acte chirurgical : Ouvrir et pénétrer, enlever, l’utérus….
 
Le dialogue possible.
 
FEMME : Inquiète ? Faite comment ? Pressée par les symptômes ? Savoir au moment d’enlever, comment ? Le temps d’en parler pourrait être plus long ? D’accepter la perte ? Quelles conséquences attendues sur sa féminité, qu’elle n’ose poser…

CHIRURGIEN : Calme, homme ? Sait, peux supprimer le problème par l’hystérectomie, son choix technique logique… Le temps de parler limité par les consultations, hors désir d’enfant ? Simple pour lui….
 
Utérus, Règles, Ovaires
 
UTERUS : pas indispensable à la vie... Indispensable pour donner la vie… Serait indispensable à sa féminité ? Sa sexualité ?
RÈGLES : rythment la vie d’une femme, normalité du tout possible, féminité, maternité, jeunesse > l’aménorrhée des nouvelles contraceptions est vécue différemment, l’absence de règles lui rappelle son intervention, la perte... ?

QUELLES ALTERNATIVES APRÈS HYSTÉRECTOMIE ?
• Perte de la menstruation égale pertes de la féminité, ou disparition des douleurs et des hémorragies.
• Perte des possibilités de la maternité ou disparition des craintes de la grossesse (ROUSSIS 2004 -126 femmes- 25% de dégradation de l’image corporelle, 10% de sensation de perte de féminité).

OVAIRES : Atteinte symbolique : on enlève tout, plus sensible que la conservation du col ou non. Atteinte physiologique associée : syndrome de privation oestrogénique brutale avec son cortège de bouffées de chaleur, de sueurs nocturnes, de sécheresse et d’atrophie vaginale...
Syndrome de privation androgénique pouvant associer une diminution du désir, des satisfactions sexuelles, de leur sensation de bien-être..
 
LA FONCTION SEXUELLE
 
Consultation préopératoire
 
L’impact sur l’image corporelle, après la décision chirurgicale, doit être abordé en consultation pré opératoire. (3190 femmes : Donnez O. BJOG. 2009.)
Les partenaires des femmes opérées : ne s’inquièteraient pas du risque de l’apparition de dysfonction sexuelle tant avant, qu’après l’intervention (111couples : Lonnée-Hoffmann RA. 2006.)

Selon l’indication :
Bénignes (les plus fréquentes), souvent des femmes de plus de 40 ans, gênées par des symptômes, l’exérèse pour mieux vivre.
Cancer : Plus angoisse de la mort que de privation d’un organe symbolique, au début…
Femmes jeunes souvent dans les cancers du col, double deuil à vivre : l’exérèse pour survivre, l’abandon de la procréation (surtout si nullipare).
Selon la technique :
Choix technique : Hystérectomie vaginale (gold standard) : pas de cicatrice - moins de complications – convalescence courte LAVH : Hystérectomie par voie mixte (laparoscopique et vaginale), moins de douleur postopératoire, moins d’analgésiques, 2% de complications majeures versus 06% H. vaginale….
Mais parfois impossible…
Hystérectomie abdominale (sous ou supra), gros fibromes (bénins), cancer, endométriose sévère, maladie inflammatoire pelvienne, hémorragies incontrôlées, formation du chirurgien, nouvelles techniques non acquises.
 
Post opératoire
 
L’hystérectomie améliore la fonction sexuelle, de nombreuses études le montrent :
Seffah JD. Int J Gynaecol Obstet. 2008 DEC. (93 patientes : diminue la dyspareunie).
Graesslin O. Gynecol Obstet Fertil. 2002 Jun (534 patientes : 83% d’amélioration de la qualité de vie, 30% de la sexualité).
Peterson ZD.J Sex Res. 2010 Nov. (65 patientes)
Hartmann KE. Obstet Gynecol. 2004 Oct. (1249 femmes : moins de dépression, de douleurs pelviennes, dyspareunies…)
Kuzel D. Ceska Gynekol. 2009 Apr. (87 Femmes sans plaintes subjectives, ½H vaginale assistée par laparoscopie, ½hystérectomie laparoscopique totale).
Rabinerson D. Harefuah. 2008 Mar. Review. Szeverényi P. Orv Hetil. 2008 Mar. Review.
Roovers JP. BMJ. 2003 Oct. Review. Mokate T. J Br Menopause Soc. 2006 DEC. Review.

Confirmé par la Directive clinique validée par la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (janvier 2010).
«Les femmes qui envisagent une hystérectomie vaginale, laparoscopique ou abdominale pour la prise en charge d’une pathologie utérine bénigne devraient être avisées du fait que l’hystérectomie est habituellement associée à une amélioration de la qualité de vie, y compris une amélioration de la fonction sexuelle.»

Dans le cas où on enlève le col
Nombreuses études :
Kuzel D.Ceska Gynekol. 2009 Apr. (87 Femmes sans plaintes subjectives, ½H vaginale assistée par laparoscopie, ½hystérectomie laparoscopique totale.)
Rabinerson D. Harefuah. 2008 Mar. Review.
Szeverényi P. Orv Hetil. 2008 Mar. Review.
Roovers JP. BMJ. 2003 Oct. Mokate T.J Br
Menopause Soc. 2006 Dec. Review.

On peut dire que le mode chirurgical n’a pas d’influence significative sur la fréquence en matière de satisfaction sexuelle, le mode d’excitation, l’intensité et la durée de l’orgasme, cela serait dû à l’amélioration des symptômes qui ont un effet négatif sur la fonction sexuelle.
(Yazbeck C; Gyn Obst Fert 2004 : 21 études colligées, 10 avec évaluation prospective avec deux thèmes : libido et orgasme.)

Des exceptions !
Image de soi est moins bonne dans l’hystérectomie sous cervicale (totale), avec un avantage dans l’impression de qualité de vie pour la seconde : Gorlero F. Arch Gynecol Obstet. 2008 Nov. (105 femmes)
La réalité d’un orgasme chez la femme paraplégique, via le nerf vague, grâce à la stimulation du col de l’utérus est à prendre en compte avant d’enlever le col. (Komisaruk B, université Rutgers, New Jersey)

Vraie perception pour certaines ? Conserver le col dans le doute, si la demande est faite.

Si cela est possible…
Hystérectomie, avec ou sans ovaires :
Femmes plus préoccupées de leur sexualité que les autres (anxiété de la perdre)
Schaffir J. J Sex Med. 2010 Feb.
Si cette ovariectomie parait justifiée pour la patiente (de l’inquiétude au choix partagé avec le médecin), peu d’effets secondaires grâce au traitement substitutif avec l’indication, ou non, d’un traitement hormonal male associé (intrinsa*)

Conserver les ovaires en préménopause selon le risque… cancer secondaire de l’ovaire, lui accorder le choix après information.
 
Plaintes
 

Hystérectomie et difficultés sexuelles
Les lésions bénignes
Les modifications anatomiques locales favorisées par l’hystérectomie restent mal connues, tant nerveuses que vasculaires, qui peuvent gêner la fonction sexuelle. (Mokate T. J Br Menopause Soc. 2006 Dec. Review.)
En cas de difficultés sexuelles, les symptômes sont surtout : dyspareunie et anorgasmie.
(Peterson ZD.J Sex Res. 2010 Nov. 65 femmes).
Impact négatif avec une baisse de la libido, de l’excitation, de la capacité orgasmique (Tozo IM.Rev Bras Ginecol Obstet. 2009 Oct. 33 femmes)

Les Lésions malignes
Détérioration de la fonction sexuelle, quel que
soit l’approche chirurgicale…
Excitation, orgasme. (Serati M. J Sex Med. 2009 Sep. 38 patients pour 35 femmes témoins saines, FSFI)
Souvent sujets jeunes : grande vulnérabilité, la fonction sexuelle reflète les défis rencontrés.
(Carter J. Gynecol Oncol. 2010 Nov.Etude prospective de 2 ans : n = 71).
La sècheresse vaginale associée (ovariectomie), le raccourcissement du vagin, à l’origine de la dyspareunie en postopératoire ? (Serati M.J Sex Med. 2009 Sep.) (Vrzackova P.Expert Rev Anticancer Ther. 2010 Jul. Review.)
Reste la peur, la radiothérapie, chimiothérapie…
 
Le type de plaintes
 
(En cas de lésions bénignes)… Exprimées par la patiente et attribuées à l’hystérectomie (Theobald P. In : techniques chirurgicales en gynécologie. Masson, Paris, 1998.)
Manifestations anxieuses à type de fatigue, vertiges, oppression thoracique, palpitations, troubles gastro-intestinaux. Crises d’angoisse. Désir de maternité réactivée. Diminution de la libido. Dyspareunie pouvant aller jusqu’à une phobie de la pénétration.
Plaintes sous évaluées par le chirurgien : ce sont des plaintes non organiques, pas son rôle. Ne pouvant les attribuer au geste chirurgical et à ses suites, tendance à les négliger. Il reste centré sur l’organe malade responsable de la symptomatologie morbide. L’étiologie est autre…
 
Les facteurs prédictifs des plaintes
 
Une dysfonction sexuelle
Un état psychologique problématique : sont les prédicteurs significatifs d’une dépression et d’une dysfonction sexuelle postopératoire. La nature de ces dysfonctions avant l’opération ont été mal étudiées dans les études : imperfections méthodologiques. ( Maas CP. Annu Rev Sex Res. 2003.Review.)

Jeune âge (féminin ou masculin).
Conjugopathie
Dysfonction sexuelle masculine (Rodríguez MC.J Obstet Gynaecol. 2012 Feb. facteurs liés à la baisse les scores individuels (FSFI.) 100 femmes, 15 jours avant et 1 an après.
Donc, contrairement aux idées reçues, ces études récentes soutiennent l’idée que l’hystérectomie elle-même n’est pas un acte inducteur de troubles psychiatriques, mais qu’elle peut s’adresser à une population vulnérable psychologiquement.
(Cooper PJ. Psychother Psychosom. 1983. Carlson KJ. Clin Obstet Gynecol. 1997 Dec. Review)

Les femmes qui ont une fragilité psychologique antérieure à l’intervention pourront plus facilement développer un trouble que les autres femmes. (Martin RL. Psychiatrie status after hysterec¬tomy. JAMA 1980.)
Parmi les femmes avec indication d’hystérectomie, on retrouve plus souvent des troubles de la personnalité de type histrionique, ou trouble de l’humeur de type dépressif. (Ballinger CB. Psychiatrie morbidity and the ménopause. Br Med J1975.)

Relation entre le traitement chirurgical des ménorragies (surestimation des pertes de sang menstruel) et les troubles psychiatriques.
L’hystérectomie dans ces cas semble atténuer les troubles psychologiques. (Iles S.Clin Obstet Gynaecol. 1989 Jun. Review).
Tendance des hystériques à solliciter une telle intervention en recherchant inconsciemment des bénéfices secondaires qui entretiennent la névrose. (lemperiere T. Hystérectomie et troubles psychiatriques. Ann MédPsy-chol 1973.)
 

EN CONCLUSION
 
Les études prospectives récentes, rigoureuses, montrent que l’hystérectomie elle-même n’altère pas la fonction sexuelle. Dans la majorité des cas, la fonction sexuelle et la qualité de vie profitent de ces interventions chirurgicales.
Toutefois, il est essentiel que les médecins puissent comprendre que ce n’est pas toujours le cas. Les femmes qui connaissent une dysfonction sexuelle avant l’intervention ont une diminution du désir sexuel au décours. L’hystérectomie elle-même n’est pas un acte inducteur de troubles psychologiques, mais elle peut s’adresser à une population vulnérable psychologiquement. Si des problèmes psychologiques et sexuels succèdent à l’hystérectomie : ils ont leurs racines dans l’histoire de la patiente (insécurité, psychotraumatismes…) et le vécu préopératoire.
(Pauls RN. Int J Impot Res. 2010 Mar. Review.).
 
OPPORTUNITÉ POUR LES FEMMES
 
Le chirurgien :
En plus de prendre le temps de RENSEIGNER sur l’intervention qu’une femme doit subir, ce qu’on va lui enlever, pourquoi l’intervention est nécessaire, les conséquences de l’opération sur le plan endocrinien et sexuel, et lui dise les moyens d’y remédier.
Doit lui donner le temps (quand cela est possible et cela est très souvent possible)
D’accepter de perdre sa capacité procréatrice pour celles qui n’auraient pas déjà choisi de ne pas avoir d’enfant ou de ne plus en avoir.
De prendre la décision, pour soi, d’accepter l’opération recommandée et de «donner son utérus».
Il est nécessaire d’avoir écouté, avant l’intervention, les patientes et leurs conjoints, pour dépister et prendre en charge toute pathologie psychologique avant d’opérer.
Les sujets qui subissent une aggravation devraient subir une évaluation approfondie au début de la période postopératoire afin d’atténuer les symptômes. (Psychologues, psychiatres, sexologues*)
Aucune hystérectomie ne devrait échapper à la question du médecin :
• Comment allez-vous physiquement depuis l’opération ?
• Psychologiquement ?
• Avez-vous repris votre activité sexuelle ?
• Est-elle satisfaisante ?

 


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