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Secrétaire Général

 

De la plainte au diagnostic

Ce patient après 6 années de vie conjugale consulte pour savoir si son éjaculation survenant moins d’une minute après la pénétration est ou non «une maladie» comme lui a dit un ami. Celui-ci a également précisé qu’il y avait d’ailleurs des médicaments pour la soigner. Lui-même et sa compagne s’estiment tout à fait satisfaits de leur sexualité actuelle.
Désireux de prolonger ses vacances (et les vôtres par la même occasion en évitant un cas clinique complexe), je l'ai informé qu’il n’était pas «malade» et qu’il n’avait pas «à prendre de traitement».

L’utilisation du DSM IV est malaisée pour ce patient car le critère A pour le diagnostic d’éjaculation prématurée (EP) ne semble pas adapté puisque, si le patient éjacule effectivement peu de temps après la pénétration, cela ne se produit pas avant qu’il ne le souhaite (le sujet n’est pas concerné). En ce qui concerne le critère B, il ne décrit ni souffrance ni difficultés interpersonnelles. Il vient consulter comme on vient consulter pour contrôler sa TA. Le diagnostic d’EP doit donc être exclu pour ce patient. Prenons maintenant la définition de l’AUA, elle reprend peu ou prou la même définition, précisant que cet état «cause une détresse pour l’un ou l’autre partenaire». Il est remarquable d’ailleurs que la plainte isolée de la partenaire permette de poser le diagnostic d’une affection chez son conjoint alors même que cette dite «affection» n’entraîne pas chez celui-ci de souffrance et n’a pas de répercussion pour sa santé (à l’inverse d’une hypertension, par exemple, qui peut ne pas être ressentie par le sujet mais avoir des conséquences délétères sur sa santé).
Quoiqu’il en soit, il nous faut donc bien admettre que pour poser le diagnostic d’EP, il faut qu’il y ait une plainte, que ce soit de la part du sujet ou de celle de sa partenaire.

Dès lors que nous admettons cela, nous devons aussi admettre que tout critère de temps est absurde puisqu’il peut y avoir, comme pour ce patient, un délai court sans plainte, et qu’une durée brève n’est en aucune manière un facteur de risque pour la santé de l’individu.

Les études ont montré également qu’il existe un chevauchement très important de l’IELT (Intravaginal ejaculatory latency time) entre les personnes qui se plaignent d’EP et celles qui ne s’en plaignent pas. Ainsi le critère de temps minimal en dessous duquel on parle d’EP est très discutable. Cela fait ressortir une ambiguïté manifestement entretenue : la seule brièveté du coït intravaginal largement assimilée à une «affection». On pourrait aussi chercher à définir un critère de temps maximal au-delà duquel on pourrait exclure une EP. Cette question se pose par exemple lorsque la plainte relève d’attentes liées à la performance. Quel est alors le rôle du sexologue ? Libérer le patient ou l’enliser dans sa dynamique psychique ?

Dès lors ce qu’il convient de prendre en charge est bien la plainte, quelle que soit la durée. D’ailleurs quel autre critère que la satisfaction du patient (ou de sa partenaire) est-il possible de retenir pour juger de la «guérison» ? Nous savons pour la plupart que la «durée» obtenue en fin de prise en charge n’est généralement ni celle «rêvée» par le patient en début de thérapie, ni celle imaginée par le «sexologue». Seul le patient détermine le moment où il s’estime satisfait, c’est à dire le moment où il obtient les moyens psychiques d’un compromis entre le contrôle acquis et le renoncement à une maîtrise plus importante.

Il convient donc de déterminer précisément la nature de la plainte dans une EP. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faille pas, dans la prise en charge, exclure les moyens de prolonger l’excitation sexuelle. Cela veut dire qu’il faut précisément savoir au service de qui nous utilisons nos thérapies (médicamenteuses, cognitivo-comportementales ou autres) lors des prises en charges de l’EP. La recherche des causes à l’origine des variations dans la réponse sexuelle garde cependant son intérêt pour disposer d’outils plus performants pour agir sur le facteur temps. Tout d’abord parce rien ne nous permet d’exclure des excitabilités «physiologiquement» programmées pour des réponses «très rapides» inaccessibles aux thérapies traditionnelles.
D’autre part parce que cela peut aboutir à des agents médicamenteux dont l’usage pourra être précieux comme celui des IPDE5 dans les dysfonctions érectiles psychogènes. Cela pourrait s’avérer de formidables moyens de réassurance, d’affaiblissement des tensions conjugales, de possibilités d’apprentissage… à condition de ne pas oublier que, le plus souvent, nous serons au service de la nature de la plainte et non de ses exigences. Nos échecs se chargent de nous le rappeler.

J’espère que vous avez passé des moments passionnant lors de ce dernier congrès de la SFSC où, à côté de brillantes sessions, la confrontation a pu être enflammée. Seule notre persistance dans une approche scientifique nous permettra d’éviter des égarements. Mais nos intuitions cliniques sont tout aussi importantes car ce sont bien elles qui sont le terreau de nos découvertes scientifiques. Bonne lecture et à bientôt.

 

Arnaud SEVENE
Directeur d’enseignement au
DIU de sexologie de Necker.
Secrétaire Général
de la Société Française
de Sexologie Clinique

 

 

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Sexologos N°29

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