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Publications | |||||
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RÉSUMÉ | |||||
Le syndrome d’aliénation parentale (SAP), qui désigne l’ensemble des
manifestations psychopathologiques observées
chez les enfants soumis à des séparations
parentales très conflictuelles, en premier
lieu le rejet injustifié ou inexplicable d’un
parent par un enfant, suscite polémiques
et controverses. Certain(e)s vont jusqu’à
nier l’existence même du phénomène, au
motif qu’il ne figure pas encore dans les
classifications internationales des troubles
psychiatriques (européenne ou américaine). Il importe de faire la part, dans le
rejet ou le déni dont cette pathologie fait
l’objet, des faiblesses du concept scientifique et de la dimension
purement passionnelle, incluant les polémiques sexistes. Se fondant sur une expérience de 15 années de psychiatrie légale et l’étude de plus de 800 séparations parentales très conflictuelles, l’auteur, psychiatre, expert agréé par la Cour de cassation, spécialiste et membre d’une Commission à la Chancellerie sur les fausses allégations d’abus sexuels lors des séparations parentales, définira dans ce travail le syndrome d’aliénation parentale comme le rejet injustifié et inexplicable d’un parent par un enfant. Il exposera la difficulté, pour le juge comme pour l’expert psychiatre, d’évaluer la qualité antérieure de la relation et de proposer des solutions adaptées, tant est étroite la marge de manœuvre dont disposent les intervenants devant des enfants ou adolescents aussi déterminés.
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INTRODUCTION | |||||
Le syndrome d’aliénation parentale (SAP),
qui désigne l’ensemble des manifestations
psychopathologiques observées chez les
enfants soumis à des séparations parentales
très conflictuelles, suscite polémiques
et controverses : son existence même est
contestée. Tout juge aux Affaires Familiales,
tout expert régulièrement désigné en
matière de séparation parentale [4], s’est
pourtant trouvé confronté à ce type de
situations complexes, dans lesquelles un
enfant rejette de façon soudaine ou
progressive
l’un de ses parents, chacun des
protagonistes ressentant de la souffrance
et chaque professionnel, y compris les
magistrats, un sentiment d’impuissance. Il
est donc temps que cesse le déni. L’objectif premier d’auteurs intéressés par ce sujet, en vue duquel vient de se tenir à Florence une rencontre de plusieurs spécialistes européens, est donc l’inscription de cette pathologie dans les classifications internationales – DSM V et ICD 11. Les réactions négatives ou suspicieuses suscitées par le terme d’aliénation sont en partie liées à son double sens : le sens étymologique désigne la perte ou la rupture du lien, le « a » étant alors privatif ; le sens le plus couramment compris du terme aliénation est plus inquiétant et suscite davantage de résistances : il renvoie en effet à l’univers de la folie. Nous proposerons donc l’utilisation de termes différents en fonction de la sévérité des manifestations psychopathologiques : si dans les stades légers ou modérés du syndrome, c’est bien d’une «désaffection» qu’il s’agit. il est incontestable que, dans les stades sévères, les distorsions cognitives et les croyances erronées concernant le passé ou le parent rejeté, allant jusqu’à l’effacement progressif des bons souvenirs sont bien proches du délire : conviction inébranlable d’une réalité fantasmée et d’un passé remanié. La métaphore informatique s’impose d’elle-même : c’est d’un «reformatage» du disque dur de la mémoire et de l’affectivité dont il s’agit. Il faut néanmoins, parmi les définitions actuelles, préférer la plus simple. D’une part parce qu’elle n’inclut pas la cause ou l’auteur du désordre -le parent «préféré», supposé manipulateur- d’autre part, parce qu’elle est comprise de tous et n’exclut aucun stade, y compris les plus légers. Pour nous distancier, le temps de cette réflexion, des polémiques les plus passionnelles, l’auteur définira donc le syndrome d’aliénation parentale comme le rejet injustifié et inexplicable d’un parent par un enfant. Toute la difficulté étant, pour le juge comme pour l’expert psychiatre, d’évaluer la qualité antérieure de la relation – souvent niée, tant par le parent rejeté, dit parent aliéné, que par le parent «favori» et idéalisé, dit parent aliénant. Proposer des solutions adaptées n’est pas non plus une mince affaire, tant est étroite la marge de manœuvre dont disposent les intervenants devant des enfants ou adolescents aussi déterminés : l’aveu d’impuissance, de la part de l’expert comme du juge, est hélas fréquent. Le fait qu’une proportion croissante de séparations parentales soit suivie de tensions majeures au sujet de la garde des enfants ou de l’exercice du droit de visite et d’hébergement doit être interprété. Non que la violence des conflits à l’origine ou suivant la séparation ait augmenté en intensité : mais il semble que la nature même de ces conflits ait changé, du fait de l’importance attachée aujourd’hui au bien-être de l’enfant et à la prise en compte, parfois au-delà du raisonnable, de ses désirs ou de ses exigences. Nous entendons donc démontrer que les conditions sont aujourd’hui réunies pour une inscription du syndrome d’aliénation parentale dans les nosographies internationales. Nous proposons de surcroît d’enrichir la terminologie pour ne plus amalgamer sous un seul vocable des situations aussi différentes que la perte progressive de complicité ou de proximité entre un parent et un enfant et la démesure dans laquelle est parfois exprimée une hostilité bien proche de la haine par un enfant transformé en enfant-soldat, voué non seulement à la destruction du lien, mais aussi à celle du parent rejeté. Cette pathologie ne menace donc pas que le parent rejeté : elle sape le fondement même de l’identité et de la personnalité de l’enfant, compromettant même, lorsque le stade de sévérité va jusqu’à la rupture durable, son «droit élémentaire d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents», droit qui lui est normalement garanti par l’article 9 de la Convention internationale des Droits de l’Enfant, entrée en vigueur le 2 septembre 1990.
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L’ALIÉNATION PARENTALE EXISTE-T-ELLE ? | |||||
Les juges aux affaires familiales se trouvent
de plus en plus souvent confrontés
à cette problématique particulière, aisément
repérable par des stéréotypes comportementaux
: des enfants de parents
séparés expriment avec force une hostilité
vis-à-vis de l’un de leurs parents, la
plupart du temps le parent non gardien. Cette hostilité est telle qu’elle peut empêcher le parent rejeté d’exercer son droit de visite, le parent « favori » (la plupart du temps le parent gardien) se bornant à faire constater, par un psychiatre ou par un avocat d’enfant, le malaise psychologique et la volonté apparente de l’enfant, qui apparaît déstabilisé par les week-ends ou les vacances chez « l’autre » parent. La détermination de ces enfants est saisissante : demandant souvent à être entendus par le juge voire par un expert, la force du rejet qu’ils expriment emporte généralement la conviction du professionnel ou génère chez lui un sentiment d’impuissance, ce qui revient à peu près au même : aucune solution simple ou dénuée de risques n’apparaît alors. Le danger est l’interprétation «à la lettre» de la parole de ces enfants : le décryptage de leur volonté apparente n’est pas toujours effectué, y compris lorsque cette attitude tranche singulièrement avec la qualité antérieure de la relation. Il est pourtant indispensable de savoir si c’est bien leur propre volonté que ces enfants expriment et s’ils ont pleinement conservé leur libre-arbitre. Cette analyse est nécessaire pour guider la décision de justice et répondre à la question la plus délicate : faut-il ou non respecter leur volonté apparente ? Un juge peut-il ou doit-il contraindre un enfant à maintenir le lien avec ses deux parents, à rendre visite au parent rejeté, lorsqu’il exprime avec une détermination parfois glaçante son désir de ne plus avoir de contact avec lui ? Le problème est que le fait de reconnaître une pathologie suppose… sa connaissance. Mais est-il raisonnable d’attendre de l’expert psychiatre ou du psychothérapeute, a fortiori du juge aux affaires familiales, de poser sans coup férir un diagnostic aussi difficile… alors même que les classifications en vigueur n’en font pas mention ? Pourtant, bien avant que Richard Gardner, pédopsychiatre américain, Professeur à l’Université de Columbia, ne définisse cette entité morbide [9], de nombreux psychiatres et psychologues avaient publié sur ce sujet et étudié les conséquences dévastatrices des séparations parentales très conflictuelles [18], parmi lesquelles la perte, parfois définitive, du lien entre un enfant ou toute une fratrie et l’un des parents est évidemment la plus spectaculaire, mais aussi la plus imparable. Nous allons donc tenter de donner une lecture des principales définitions possibles de cette pathologie, d’identifier ses complications évolutives en l’absence d’intervention psycho-juridique efficace et de cerner les raisons des résistances à son apparition dans la nosographie actuelle.
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LE SYNDROME D’ALIÉNATION PARENTALE : DÉFINITIONS ET CONTROVERSES,
PRÉVALENCE ET PRINCIPALES MANIFESTATIONS | |||||
Définitions et controverses | |||||
L’ensemble des controverses qu’il suscite
a été magistralement décrit [14]. La première concerne... son existence même. Le syndrome d’aliénation parentale ne figure en effet toujours pas dans la classification internationale des maladies (classification européenne CIM-10), pas plus que dans la classification américaine (DSM IV-R de l’American Psychiatric Association). C’est officiellement de ce fait que son existence est contestée, mais l’argument est fragile : le terme de syndrome d’aliénation parentale a été utilisé pour la première fois en 1992 aux Etats-Unis par le Professeur Richard Gardner, pédopsychiatre : ce qui ne laissait aucune chance à l’entité qu’il nommait et décrivait d’être intégrée par l’American Psychiatric Association au DSM IV, dont l’édition date de 1994. De nombreux auteurs pensent en revanche que son intégration au DSM V (dont la parution est prévue avant 2012) est possible voire probable et clôturera le débat plus passionnel que technique sur l’existence de cette entité. Certains milieux associatifs, notamment les collectifs féministes les plus radicaux, vont en effet jusqu’à affirmer qu’il s’agit d’une invention masculine, uniquement destinée à servir la cause des pères. Pédophiles cela va sans dire. L’amalgame entre le SAP et l’inceste est criant, alors qu’on sait que le premier ne vient compliquer une allégation d’inceste que dans environ 10 % des cas. Citons Hélène Palma, féministe radicale et Professeur en études anglophones, sur le site de l’association Sisyphe en avril 2005 : «Richard Gardner est l’inventeur d’un concept parfaitement irrecevable tant sur le plan scientifique que juridique (le SAP) qui consiste à invalider toute plainte d’inceste formulée par des enfants. Suicidé de plusieurs coups de couteau dans le ventre en 2003, Gardner continue pourtant à faire des ravages puisque son discours est largement repris et diffusé par des psychologues ou psychiatres tels que Ralph Underwager aux Etats-Unis, Hubert Van Gijseghem au Canada et en France ou encore Paul Ben Sussan en France.» On aura noté l’excès du propos : émettre des doutes sur la fiabilité de certains dévoilements d’inceste, notamment lors de séparations très conflictuelles, reviendrait en somme à «invalider toute plainte d’inceste formulée par des enfants». La même professeur d’Anglais qui écrivait, de façon tout aussi nuancée et sur le même site féministe, peu après la sortie du Désir criminel en 2004 : « Autrement dit, dans le monde de Ben Sussan, les violeurs d'enfants ne sont jamais coupables, juste systématiquement victimes de « fausses allégations »... » Il n’importe. Le terme «syndrome d’aliénation parentale» inquiète : « aliénation » renvoie en effet à l’univers de la folie et de la maladie mentale, sans que l’on sache bien si la folie en question concerne l’enfant ou les parents. Pour bien le comprendre, il faut pourtant privilégier son sens étymologique : « a-liéner » revenant en fait à priver du lien (« a » privatif), à « rendre étranger -ou hostile » (un parent à un enfant). La définition élémentaire de l’aliénation parentale est «toute situation dans laquelle un enfant rejette l’un de ses parents de façon injustifiée –à tout le moins non explicable par la qualité antérieure de la relation». Si l’on se fonde sur cette définition, rares sont les professionnels (juges, experts, thérapeutes familiaux...) qui n’ont pas été confrontés à des situations de ce type. D’autres définitions existent néanmoins. Certaines se veulent simplement descriptives et ne font aucune allusion à la cause du désordre. Le SAP désigne alors toute situation dans laquelle «un enfant exprime librement et de façon persistante des sentiments et des croyances déraisonnables (rage, haine, rejet, crainte) envers un parent [12]. Ces sentiments et/ou croyances sont significativement disproportionnés par rapport à l’expérience réelle qu’a vécu l’enfant avec le parent rejeté». On voit donc que ces auteurs excluent la notion de cause de la définition, ce qui est scientifiquement rigoureux… et politiquement plus simple, la notion de manipulation, qui peut aller jusqu’au lavage de cerveau, d’un enfant par un parent étant en effet difficilement admise. Mais la majorité des auteurs se prononce sur la cause en attribuant la responsabilité du désordre à l’un des parents. La plus connue des définitions, celle du Professeur Richard Gardner (auteur de nombreuses publications de référence sur le sujet), est à ce sujet tout à fait explicite. Pour cet auteur, le syndrome d’aliénation parentale est en effet : - une campagne de dénigrement d’un enfant contre un parent ; - cette campagne étant injustifiée et résultant d’un plus ou moins subtil travail de manipulation pouvant aller jusqu’au lavage de cerveau, avec le mélange, en des proportions variables, de contributions personnelles de l’enfant.
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Causes | |||||
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L’accent est donc mis par Gardner sur la
cause et ... l’auteur du désordre,
implicitement
inclus dans la définition : le parent
auteur du lavage de cerveau, dit
«parent aliénant». Là réside sans aucun
doute l’explication de la violence des
polémiques
évoquées plus haut. En effet, le
parent aliénant étant dans 80% environ
des cas le parent gardien, est plus souvent
la mère dans les études épidémiologiques
consacrées à ce sujet. Notre expérience nous le prouve hélas chaque jour : il ne s’agit que d’une question de fréquence et il n’est ni statut ni sexe qui protège de cette pathologie. C’est ainsi que l’on voit des mères impitoyablement rejetées (souvenons-nous de l’incroyable dureté des enfants Fortin, élevés par leur père dans la clandestinité pendant une dizaine d’années, durant lesquelles ils déclaraient sans sourciller que leur mère était morte). De la même façon, le dénigrement insidieux et pervers par le parent non gardien est parfois redoutablement efficace : l’enfant demande alors au juge, via son avocat s’il est trop jeune pour être entendu, le transfert de sa résidence habituelle au domicile de l’autre parent. Pour parvenir à des définitions de stades de gravité et de réponses psychologiques ou psycho-juridiques adaptées, Gardner propose une liste de critères diagnostiques que l’on peut observer chez l’enfant victime d’un SAP et qui permettraient, théoriquement, de distinguer un stade sévère d’un stade léger à modéré, mais aussi et surtout un SAP d’une autre forme de rejet, telle que celle que l’on pourrait observer à la suite de mauvais traitements ou de carences affectives. Citons les critères de Gardner : 1 – désir affirmé de ne plus voir le parent rejeté (dit aliéné) ; 2 – rationalisations absurdes et parfois futiles pour disqualifier le parent rejeté ; 3 – manque d’ambivalence naturelle de l’enfant avec une vision binaire et manichéenne (l’un des parents est entièrement bon, l’autre entièrement mauvais). Au maximum, l’enfant est incapable de retrouver ou raconter un bon souvenir en compagnie du parent rejeté, disant n’en avoir tout simplement aucun : des dénégations qui pourraient parfois prêter à sourire si le sujet n’était aussi tragique ; 4 – le phénomène du penseur dit «indépendant» avec dénégation spontanée de la part de l’enfant (c’est moi qui pense cela, personne ne m’a influencé) ; 5 – l’enfant se présente comme le soutien inconditionnel du parent aliénant, cette attitude étant le plus souvent spontanée ; 6 – l’animosité s’étend à l’ensemble de l’univers du parent aliéné, par exemple la famille dans son ensemble ; l’auteur du présent article a même observé le rejet d’animaux familiers autrefois adulés (chiens, chats) mais étant restés dans l’univers du parent rejeté ; 7 – on note une absence troublante de culpabilité par rapport à la dureté de l’attitude envers le parent aliéné. L’enfant se montre plus que distant : il semble avoir déclaré la guerre au parent rejeté.
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Gardner définit donc, en fonction du nombre des critères observés, 3
stades de gravité : | |||||
- Un stade léger : dans lequel les enfants
ne présentent que quelques uns des critères
énumérés ci-dessus, assortis de
troubles du comportement passagers au
moment des transitions (ennui ou réticence
affichée, tristesse, anxiété de séparation
d’avec l’autre parent. La glace fond
en quelques instants après le passage d’un
parent à l’autre et la qualité du week-end
qui suit n’est pas profondément ni
durablement
altérée. Ces signaux vont en diminuant
si l’on a la sagesse de ne pas s’en
emparer et de trouver des rituels adaptés
(transitions en lieu neutre tel le portail de
l’école par exemple). - Le stade modéré est le plus fréquemment rencontré. Ici, de nombreux critères diagnostiques sont présents, mais l’hostilité l’emporte sur la tristesse. Les transitions (passage d’un parent à l’autre) sont pénibles et la qualité des moments passés en compagnie du parent rejeté va en se détériorant. Le pronostic réside ici dans le fait que le parent «favori» s’empare –ou non – de l’attitude de l’enfant et des réticences qu’il exprime pour alimenter une campagne de dénigrement, éventuellement validée par des attestations de médecins ou psychologues mal informés du phénomène et convaincus par la détermination de l’enfant à espacer les visites chez le parent aliéné. - Enfin, le stade sévère réunit l’ensemble des critères énumérés ci-dessus. La résolution spontanée est impossible, la psychothérapie sans accompagnement juridique est inefficace. Les week-ends, s’ils sont imposés, deviennent un enfer tant l’opposition manifestée est virulente. La dureté étonnante de ces enfants, qui se comportent envers un parent autrefois aimé comme de véritables étrangers, associe les manifestations de haine avec l’indifférence la plus totale. Le passé est revisité et remanié, les bons souvenirs sont effacés, parfois même remplacés par des souvenirs fabriqués (par exemple : maltraitance alléguée in utero ou dans les mois suivant la naissance). L’enfant, s’il est mis en demeure de rendre visite au parent aliéné, peut se mettre en danger, symboliquement ou réellement (échec scolaire, fugues, voire tentatives d’autolyse) : il est entré en guerre et l’autorité d’un juge ne suffit parfois pas à infléchir son attitude. Comme on le voit, les manifestations et le pronostic sont si différents selon le stade de sévérité que nous proposons, à l’instar de nos collègues américains [6] de réserver le terme d’aliénation parentale aux stades sévères et de lui préférer un terme plus neutre et moins polémique aux stades légers et modérés. Nous proposons celui de «désaffection parentale» [7], si l’on se réfère à la dimension psychologique ou de «refus des visites» si l’on a le souci de demeurer plus factuel.
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Principales manifestations du SAP | |||||
La gravité des manifestations dépend
étroitement
du stade. La sévérité est essentiellement
attestée par le fait que les visites (au
parent rejeté) sont rendues impossibles
par le comportement de l’enfant (peur
morbide,
provocation, violence psychologique
ou physique, parfois auto- ou
hétéro-agressivité,
...). Dans les fratries, la solidarité est
le cas de figure le plus fréquent : soudés
dans l’hostilité, les enfants semblent ne
faire qu’un et les différences
inter-personnelles
s’estompent ou disparaissent. Lorsqu’un enfant ne s’inscrit pas dans le sillage de ses frères et sœurs, il est rejeté et la rupture dans la fratrie achève de briser l’unité familiale. Cette évaluation de la sévérité du syndrome est essentielle : elle détermine en grande partie la nature des mesures à adopter et constitue un facteur pronostique de premier plan. Il s’agit heureusement d’un cas de figure relativement rare : seuls 5% des cas de SAP peuvent être qualifiés de sévères ; Van Gisjeghem, [14], Von Boch [16] et Kodjoe [17] mentionnent cependant de façon plus récente une augmentation du phénomène. Le rejet n’est pas toujours le résultat d’une manipulation consciente et volontaire : il peut avoir l’apparence de la spontanéité. Est-ce pour autant qu’il n’est pas pathologique et qu’il ne doit pas être traité voire combattu ? Comment va réagir le parent «préféré» ? Va-t-il tenter de vaincre le rejet ou, au contraire, va-t-il s’en emparer, l’utilisant dans le conflit ? Quelles sont alors les manifestations de ces véritables « bénéfices secondaires » ? Dans ces situations, tout se passe comme si les enfants déclaraient une sorte de «guerre» (nombre d’auteurs ont décrit ces pathétiques «enfants-soldats») au parent qu’ils jugent responsable de la séparation et de la souffrance de l’autre. Cette loyauté sans faille- l’euphémisme «conflit de loyauté» est inapproprié - conduit ce dernier à resserrer les liens avec les enfants, qui jouent alors, à leur insu, le rôle de rempart contre la solitude et de revanche voire de destruction d’un ex-conjoint haï. L’enjeu est complexe : la dynamique fusionnelle peut permettre de donner une densité ou une consistance à une figure parentale absente ou « pâle » avant la séparation et certains parents aliénants ne parviennent à exister que grâce à ce mécanisme d’exclusion de l’autre parent, trouvant, dans la loyauté voire l’allégeance exprimée par leur enfant et dans cette relation fusionnelle, un monopole affectif, mais aussi une sorte de rédemption de la souffrance liée à la séparation : l’enfant comme instrument de réparation d’une blessure narcissique, en quelque sorte. Il est fondamental de nommer et repérer ces aspects psychodynamiques : ils expliquent bien souvent l’inutilité ou le caractère inopérant des psychothérapies individuelles ou familiales, ou encore des médiations proposées par le juge aux affaires familiales. Car dans les stades les plus sévères, seule une réponse psycho-juridique énergique et déterminée peut parfois (avant l’entrée dans l’adolescence) enrayer l’évolution inéluctable vers la chronicité et rétablir le cours normal des choses. C’est-à-dire garantir à un enfant son droit élémentaire de conserver un lien avec ses deux parents. Mais cet « altruisme » est bien peu souvent rencontré chez le parent «favori» (parent aliénant, c’est-à-dire à l’origine du rejet dans la conception de Gardner) : en effet, la dynamique de rejet, plus souvent qualifiée de «conflit de loyauté» (terme mieux adapté aux situations les moins sévères) présente entre autres avantages celui de minimiser la sanction sociale du divorce : le parent ayant la charge des enfants apparaît aussi irréprochable que dévoué, s’acharnant à démontrer sa compétence par des indices objectivables dans une procédure, se consacrant pleinement à ses enfants, avec un perfectionnisme qui serait touchant dans un autre contexte. C’est ainsi que l’on peut voir, dans des situations pourtant très pathologiques, s’améliorer le rendement scolaire des enfants, se multiplier les activités extrascolaires... L’apport antérieur du parent rejeté est minimisé ou nié, cependant que celui du parent aliénant est idéalisé ou sublimé : c’est dans ces moments que l’enfant choisit par exemple d’arrêter une activité sportive, un instrument de musique, auquel le poussait «l’autre», du temps de la vie commune. Tout se passe désormais comme si l’univers de l’enfant se limitait au parent qu’il investit de son «choix» : c’est l’univers entier du parent aliéné qui est rejeté avec lui (ce qui est d’ailleurs un critère diagnostique différentiel avec des situations de rejet non pathologique) : un « scotome » psychologique, en quelque sorte.
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Prévalence du SAP en fonction de sa gravité | |||||
Le SAP est-il une situation fréquente ? La
question est sans objet pour ceux ou celles
qui contestent son existence même : pour
eux, la situation est simple, le SAP est une
pure invention et le rejet exprimé par un
enfant est nécessairement justifié, fondé au
mieux sur une incompétence ou une
absence, au pire sur une maltraitance, les
allégations d’abus sexuels étant une cause
fréquemment invoquée dans ce type de
situation [1, 2 et 3]. Pour les professionnels confrontés aux séparations parentales hautement conflictuelles, qu’il s’agisse des magistrats ou des experts, l’appréciation de la fréquence du SAP est toute autre. Il faut en effet être conscient du fait qu’en France, le recours à l’expertise psycho-juridique et au bilan familial n’est pas nécessairement soutendu par une pathologie des individus, mais bien plus souvent par des pathologies systémiques, affectant l’ensemble des liens affectifs et familiaux. N’arrivent donc chez l’expert que les familles dans lesquelles la séparation se passe très mal : des parents, généralement incapables de communiquer par d’autres canaux que par leurs avocats se disputent la garde d’un enfant et dénigrent l’aptitude ou la compétence parentale de l’autre. Une inflation de procédure (multiples mains courantes voire dépôts de plainte pour non-présentation d’enfant) a souvent précédé le début des opérations d’expertise. L’expert intervient donc dans un contexte plus que conflictuel : passionnel. Les pathologies du lien sont alors fréquentes. Dans une étude sur une série personnelle de trois cents dossiers de divorces impliquant des enfants de 0 à 12 ans, Hubert Van Gisjeghem relevait une forme de SAP - légère, moyenne ou sévère dans 80 % des situations nécessitant une expertise. Il estimait à 50% des cas les formes moyennes ou sévères, les formes légères étant les plus fréquentes. Constat essentiel au plan pronostique : les formes légères sont souvent réversibles, pour peu qu’elles soient diagnostiquées et traitées. Hubert Van Gisjeghem rappelait que dans cette série, seules 18 % des séparations parentales nécessitaient un arbitrage : 82 % des divorces ou séparations parentales se soldant au contraire par une simple convention entre les parents, ce qui est évidemment rassurant et doit faire relativiser le constat sur la fréquence du SAP. L’auteur précise que ces chiffres sont proches de sa pratique et observe, tout comme Hubert Van Gisjeghem, que dans les situations nécessitant un arbitrage psycho-juridique, la fréquence d’allégations d’abus sexuels est loin d’être négligeable : l’expert canadien l’estimait il y a cinq ans à 18,5 %, tandis que pour sa part, l’auteur l’estime aujourd’hui à moins de 10 %. Des biais de recrutement sont cependant possibles : Hubert Van Gisjeghem comme l’auteur de cet article ayant publié et travaillé sur les allégations d’abus sexuels au cours des séparations parentales très conflictuelles, il est possible que ces chiffres, déjà relativement faibles, soient surestimés, les magistrats pouvant avoir tendance à adresser des situations de ce type à des experts ayant publié sur le sujet. L’auteur observe pour sa part un net déclin des allégations d’abus sexuels au cours des séparations parentales, y compris les plus conflictuelles. L’attitude des avocats et la connaissance par les magistrats comme par le grand public de cette problématique ne sont probablement pas étrangères à ce déclin. Enfin il est important de rappeler les travaux d’auteurs ayant réfléchi, bien avant que le terme de SAP ne soit proposé, à la perte progressive ou soudaine de proximité entre un enfant et un parent après la séparation [8 et 18]. Louise Despert décrivait ainsi dans son livre «Children of divorce» la tentation fréquente, chez l’un des parents, de briser le lien entre l’enfant et l’autre parent. Judith Wallerstein observait une réticence d’environ 19 % des enfants du divorce par rapport à l’exercice du droit de visite et d’hébergement, ces constations étant faites douze ans avant la description princeps du SAP par Gardner. De la même façon, Griffith [11], en Hollande, montrait que un an après la séparation, 40 % des enfants ne voyaient plus le parent non gardien. Il faut toutefois prendre cette proportion avec beaucoup de circonspection : loin d’être uniquement constitué de SAP, il comprend les situations dans lesquelles s’exprime le désintérêt si souvent reproché aux parents non gardiens, notamment aux pères, vis-à-vis de leurs enfants après une séparation. Cette proportion émanant d’auteurs hollandais est remarquablement proche de celle retrouvée par des auteurs français [15] : environ 34 % des enfants perdent le contact avec le parent non gardien dans l’année suivant un divorce. Au total on retiendra de la disparité apparente de certains chiffres la possible confusion entre la perte du lien «justifiée» ou du moins explicable (désintérêt, absence, carences affectives, maltraitance,...) et la rupture injustifiée ou inexplicable, cette dernière seule relevant du SAP.
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DISCUSSION | |||||
Le SAP existe-t-il vraiment ? | |||||
Évoqué pour la première fois en 1985, décrit
en 1992, le Syndrome d’Aliénation Parentale
recouvre une réalité décrite depuis des
décennies et désormais fréquente dans les
situations de séparations parentales très
conflictuelles. Dans les formes légères à
modérées (qui renvoient plutôt à l’origine
étymologique du terme) il peut aller du
simple éloignement entre un parent et un
enfant jusqu’à la «désaffection», sorte
d’oubli progressif des liens plus étroits,
amenant l’enfant à exprimer une réticence
ou un ennui, plus rarement une anxiété,
avant ou après l’exercice d’un droit de
visite. Dans les formes les plus sévères, le
contact entre l’enfant et le parent rejeté
devient véritablement aversif : c’est alors
de
haine et de rage qu’il s’agit, souvent
alimentées
par des croyances erronées et
pouvant entrainer la rupture durable voire
définitive entre un parent et un enfant [10]. Ce stade de sévérité extrême renvoie bien entendu à l’acception plus courante du terme d’aliénation : la dureté ou l’hostilité de l’enfant envers le parent rejeté est disproportionnée, caractérisée par la futilité des griefs, ou encore proche du délire, avec déni d’un passé plus doux et envahissement de la pensée par des faux souvenirs, dans lesquels l’imagination et la réalité se mêlant en proportions variables. C’est précisément ce dernier sens qui, selon nous, porte préjudice à la validation de ce concept : il suscite une suspicion voire un rejet parfois bien proche du déni.
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Vers la reconnaissance | |||||
La reconnaissance de cette nouvelle entité
morbide est donc fondamentale et l’enjeu
dépasse largement les polémiques
sexistes. Si le SAP n’est pas reconnu et
nommé, si les mesures psycho-juridiques
appropriées au stade de gravité ne sont
pas préconisées voire ordonnées, les
chances de réversibilité spontanée sont
minces, à l’exception des formes légères,
dont l’issue peut être favorable à la suite
de
quelques entretiens psychothérapeutiques,
individuels ou familiaux. A contrario, les
stades de gravité modérée sont moins
sensibles
à une approche exclusivement
psychothérapeutique
et nécessitent souvent
un accompagnement juridique. Les formes sévères sont de pronostic réservé. Si le diagnostic n’est pas posé à temps et que l’enfant aborde l’adolescence dans cet état d’esprit, la réversibilité est exceptionnelle, ce qui justifie, pour certains auteurs anglo-saxons, des mesures juridiques drastiques : le transfert de la résidence habituelle de l’enfant au domicile du parent aliéné (rejeté) est proposé dans les formes extrêmes, parfois après une courte période de placement provisoire, jouant le rôle d’un véritable sas de déconditionnement. C’est d’ailleurs lors de ces placements provisoires que l’on observe parfois, comme l’auteur l’écrivait dans son premier ouvrage [2] que «tout se passe comme si certains parents préféraient perdre leur enfant plutôt que de le partager». L’expert confronté à une situation d’aliénation parentale se trouve placé dans une situation paradoxale : ne pas nommer le phénomène revient, bien souvent, à le laisser évoluer vers l’aggravation et l’irréversibilité. A contrario, le reconnaître et le nommer expose le professionnel concerné à une suspicion de militantisme : l’outrance entraine l’outrance et les polémiques les plus virulentes ou les plus insensées entraînent, par leur démesure, une défiance vis-à-vis de celui qui pose ce diagnostic : nous en avons donné des exemples. L’explication en est simple : un peu comme dans les fausses allégations d’abus sexuels, poser le diagnostic de SAP revient à ne pas interpréter de façon littérale la parole d’un enfant. Pouvoir écrire, par exemple, que le rejet ou les griefs de l’enfant se fondent sur des craintes fantasmées ou induites amène à considérer qu’il n’est pas dans son intérêt de les corroborer par des mesures de protection. Celles-ci, lorsqu’employées à mauvais escient, jouent souvent le rôle d’un bien inefficace parapluie. Les visites pathétiques en point-rencontre ont montré leurs limites dans de telles indications et l’auteur estime que, tout comme un médicament, une mesure de protection ou d’encadrement a des indications, des contre-indications et... des effets indésirables. En l’occurrence, dans les situations de SAP, celui de valider dans l’esprit de l’enfant l’idée d’une dangerosité fantasmée de l’un de ses parents. De même, savoir se distancier de la parole de l’enfant revient à envisager la possibilité de le contraindre, juridiquement s’il le faut, à rendre visite au parent rejeté (c’est en tout cas ce que préconisent la plupart des auteurs anglo-saxons, même si cette attitude est plus rarement adoptée en France). Cette attitude non dénuée de risques revient à faire prévaloir son intérêt à moyen ou long terme sur son désir à court terme. C’est pour toutes ces raisons que le fait, pour un expert, de poser le diagnostic de SAP révélerait, du moins selon ses détracteurs, une tendance à le sur-diagnostiquer. Poser un tel diagnostic serait au fond un acte militant. Il va de soi que nous n’adhérons pas à ce point de vue, ayant de tout temps, jusque devant la Commission d’enquête parlementaire mise en place à la suite des dysfonctionnements judiciaires de l’affaire d’Outreau, souligné l’incompatibilité de la position de l’expert avec celle du militant, quelle que soit la noblesse ou la justesse apparente d’une cause. C’est pourquoi les experts familiarisés avec le SAP (encore peu nombreux en France) et sensibilisés à l’approche psycho-juridique ne voient qu’une issue pour mettre fin à cette polémique aussi passionnelle que stérile, mettant en danger le droit élémentaire de l’enfant de grandir avec ses deux parents : l’intégration dans la future nosographie du Syndrome d’Aliénation Parentale [5], dans la catégorie des problèmes relationnels (Z63) dès lors que le trouble «problème relationnel parent/enfant» existe déjà (catégorie Z63.8). Il nous semble que les conditions sont aujourd’hui réunies pour que cette intégration puisse avoir lieu. Les études épidémiologiques abondent, la validité du concept est démontrée [6], les recommandations sur la conduite à tenir sur le plan psychologique comme sur le plan judiciaire sont validées. Le retard de la France dans ce domaine tranche avec les évolutions récentes autour du SAP au Canada et dans quelques pays d’Europe [10]. Une piste très intéressante de prévention et de prise en charge a été créée en Allemagne, pays dans lequel les experts ou médiateurs encadrent, plusieurs mois durant, les familles confrontées à une aliénation parentale modérée à sévère. Des résultats consistants seraient obtenus par une majorité de couples en deux à trois mois, plus rarement en six mois, dès lors que cet encadrement psycho-juridique est proposé. Il nous paraît hors de doute que la France a tout à gagner à rejoindre et à s’inspirer, dans ce domaine, de ses voisins européens. Elle y sera grandement aidée par l’intégration du SAP dans les prochaines nosographies psychiatriques. Mais il faut aussi signaler et saluer, sur ce point, les jurisprudences récentes, comme celle du Tribunal de Toulon, qui a reconnu le SAP pour la première fois le 4 juin 2007 [13] et mis en place les mesures qui s’imposaient. Gageons que cette décision juridique ne sera pas la seule et que cette avancée jurisprudentielle sera le symbole de la nécessité propre à cette problématique : l’expert et le juge doivent travailler main dans la main pour vaincre ou résoudre une pathologie dont nous avons montré la fréquence et qui menace, parfois pour la vie entière, des liens qui devraient, par définition, être indéfectibles.
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