Sexologos  n° 37

Juillet    2010 

 

Publications

Assises Françaises de Sexologie et de Santé Sexuelle
Lille 2009 


LE CORPS DU COUPLE,
UNE ILLUSION NéCESSAIRE

 

Il s’agit là d’un énoncé paradoxal : d’ailleurs, à la suite de la recherche documentaire que je me suis amusée à mener, je n’ai trouvé aucune entrée pour cet étrange objet.

Comment un corps pourrait-il appartenir à plus d’une personne, puisque le soma est par définition, individuel ?
Pourtant, le corps du couple est une fiction éternelle, qui se décline sous des formes différentes, mythes, croyances et idéal.

Freud constatait déjà, non sans agacement, que dans l’amour, «en dépit des témoignages de tous les sens, l’amoureux soutiendra que toi et moi ne font qu’un».
Peut-être celui qui avait découvert le rôle fondamental de la sexualité n’était-il pas lui -même un grand amoureux ?
Laissant à d’autres le soin de conclure sur cette intéressante question, je dirai simplement qu’on sent chez lui une certaine perplexité devant ce qu’il qualifie de sentiment océanique, cette expansion du moi qu’il avoue ne pas éprouver personnellement mais dont il reconnaît l’existence tenace et indéniable.

Bien avant Freud, les mythes nous offrent leur version de cette recherche de complétude inhérente à l’humain.
Le premier chapitre de la Genèse, s’ouvre sur l’évocation du premier couple et de sa création. (Genèse 2, 18-24). Après que Dieu a créé l’homme à partir de la poussière, il dit :
- « Il n’est pas bon que l’homme soit seul : je lui ferai une aide semblable à lui. […]
- Alors l’Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme qui s’endormit ; il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place - l’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme et il l’amena vers l’homme.
- Et l’homme dit : voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! On l’appellera femme, parce qu’elle a été prise de l’homme.
- C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair.»

Que lit-on ici ?
Que l’homme ne peut vivre seul, et que le couple est au fondement même de l’humanisation.
Que l’homme et la femme sont semblables et que la femme est l’aide de l’homme. Semblables, non dans leur identité sexuée, mais dans leur dimension humaine de partenaires, donc de couple.

Aide: ce terme pourrait prêter à une confusion facile et vulgaire. La femme, même créée en second, n’est pas une simple petite main. En hébreu, le mot aide se dit «ezer», qui vient de la racine oz, la force. Aider, c’est apporter sa force à autrui. D’ailleurs, le mot qui signifie abandonner, est aussi dérivé de la même racine et du mot aide, impliquant donc qu’abandonner quelqu’un c’est d’abord lui retirer son aide.
L’homme donne à la femme un nom semblable au sien : Ish, l’homme et Isha, la femme, même racine phonétiquement complémentaire, avec une désinence différente, qui indique le féminin, comme vous pouvez l’entendre sans connaître la langue hébraïque.

Restent les deux versets les plus connus.
- Celui qui évoque l’unité corporelle initiale, voire l’auto engendrement, si l’on «oublie» un instant l’aide divine: «chair de ma chair, et même os de mes os.» L’auto engendrement inaugural est un moment unique et destiné à être l’exception, puisqu’il donne naissance au couple. Mais notons que cet auto engendrement n’existe que pour l’homme et la femme. Les autres espèces n’ont pas connu ce moment inaugural, et ont été créées ensemble exnihilo.

La complétude du début de la vie est donc le propre de l’humain, celle que le petit homme va vivre, dans son union première avec la mère. C’est à cette recherche de la complétude initiale que Freud ramène le sentiment engendré par l’état amoureux, où «la démarcation entre le moi et l’objet tend à s’effacer».

Et enfin, last but not least, le verset le plus cité :
«C’est pourquoi l’homme laissera son père et sa mère, s’attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair ».
Où l’on reconnaîtra sans peine :
-l’interdit de l’inceste, dans l’injonction de quitter sa famille.
-et la promesse d’une union, «une seule chair», que le laconisme biblique permet d’interpréter de différentes façons. Ainsi, on peut comprendre cette phrase comme l’union de deux corps, mais tout autant, à la promesse contenue dans cette union charnelle, celle de l’enfant.

Nous voyons donc que dans la Bible figure déjà la double référence à la sexualité et au lien psychique qui fondent le couple.

 

Le couple est une forme de groupe.
 
Pour mieux le comprendre, nous pouvons considérer le couple comme un groupe spécifique, auquel s’appliquent plusieurs des propriétés du groupe.

Le couple, comme tout groupe, est plus que la somme des deux personnes qui le composent: il constitue une entité tierce, que les deux partenaires vont chérir, protéger ou attaquer, suivant le cas.

Aucun groupe ne possède de corps réel : les expressions comme «esprit de corps, ou faire corps», traduisent le besoin et la recherche constante d’un substitut fantasmatique à cette absence de substrat biologique.

Dans le groupe – couple, comme dans tout groupe, cette recherche va se faire essentiellement par identification et spécularisation: le couple se constitue sur ce que nous appelons l’identification narcissique, soit le renoncement à une partie du narcissisme individuel, reporté sur le partenaire, quand les deux protagonistes sont incorporés dans le corps du couple, troisième terme qui les englobe, les contient et leur assure un sentiment d’illimité et d’immortalité.

La relation amoureuse se construit donc sur une aliénation volontaire du psychisme individuel, mais aussi du corps, pour laisser place au narcissisme groupal, où le couple assure à la fois les fonctions de miroir et de fusion : fusion de deux psychismes et fusion de deux corps. Cette fiction efficace se nomme l’illusion amoureuse, et présente toutes les caractéristiques de ce qu’Anzieu appelle «l’illusion groupale».
On y trouve un surinvestissement du couple au détriment de l’extérieur ; ne dit-on pas «les amoureux sont seuls au monde»?
Mais on y trouve aussi le déni de la différence psychique et physique, l’idéalisation, le clivage, la régression et une forte tendance à l’uchronie et l’utopie, soit la perte des repères temporels et spatiaux.

Suis-je en train de vous décrire la psychose?
Que nenni, même si les mécanismes à l’œuvre sont souvent les mêmes, faisant de l’état amoureux le «prototype normal de la psychose», selon Freud.

Le livre d’Albert Cohen «Belle du seigneur», constitue une illustration superbe et exemplaire de l’illusion amoureuse et de ses dangers.

Deux amants, Ariane et Solal, décident de vivre un amour éternel, affranchi des contraintes de la réalité et du temps, se regardant «sans cesse dans le délire sublime des débuts». Ils vont donc s’attacher à perpétuer leur amour selon les règles strictes de l’illusion amoureuse, refusant par avance d’en sortir, comme tous les couples autour d’eux.
Pour ce faire, ils choisissent de s’enfermer dans un palace de la cote d’Azur où leur vie va se dérouler suivant un rituel immuable, qui ne laisse place ni à la réalité extérieure, ni à l’imprévu.
«Solennels parmi les couples sans amour, ils dansaient, d’eux seuls préoccupés, goûtaient l’un à l’autre, soigneux, profonds, perdus. Béate d’être tenue et guidée, elle ignorait le monde, écoutait le bonheur dans ses veines, parfois s’admirant dans les hautes glaces des murs, élégante, émouvante exceptionnelle femme aimée parfois reculant la tête pour mieux le voir qui lui murmurait des merveilles point toujours comprises, car elle le regardait trop, mais toujours de toute son âme approuvées, qui lui murmurait qu’ils étaient amoureux, et elle avait alors un impalpable rire tremblé, voilà, oui, c’était cela, amoureux, et il lui murmurait qu’il se mourait de baiser et bénir les longs cils recourbés, mais non pas ici, plus tard, lorsqu’ils seraient seuls, et alors elle murmurait qu’ils avaient toute la vie».

Refusant de réintégrer le cours normal de la vie, et de voir leur passion se muer en amour ordinaire, les deux héros vont finir par se suicider, après avoir mené une vie de parias misérables, solitaires et coupés du monde. Le cercle enchanté de leur couple s’est mué en huis clos infernal, et le lien qui les unit n’est plus qu’un lien mortifère.

Bien sûr, la passion qui nous est décrite ici est élevée à la dignité du mythe: pourtant, dans les descriptions lyriques et flamboyantes d’Albert Cohen, nous retrouvons, poussées à leur paroxysme, beaucoup de facettes du couple.

 

Corps et couple
 
C’est ainsi qu’Albert Cohen nous en dit plus sur le corps du couple que bien des couples réels. À sa façon inimitable et outrancière, il décrit pour nous les péripéties du corps dans la passion amoureuse et la conjugalité quotidienne, celle justement à laquelle veulent échapper les deux amants.

Dans un roman précédent, «Mangeclous», l’auteur ironisait déjà sur un couple d’amants célèbres, Anna Karénine et Vronsky.

Je ne peux résister au plaisir de vous le lire. «Qu’il vienne le romancier qui montrera le prince Vronsky et sa maîtresse adultère échangeant des serments passionnés et parlant haut pour couvrir leurs borborygmes et espérant chacun que l’autre être seul à borborygmer. Qu’il vienne, le romancier qui montrera l’amante changeant de position en se comprimant subrepticement l’estomac pour supprimer les borborygmes tout en souriant d’un air égaré et ravi. Qu’il vienne, le romancier qui nous montrera l’amant, prince Vronsky et poète, ayant une colique et tachant de tenir le coup, pâle et moite, tandis que l’Anna lui dit sa passion éternelle.»

L’héroïne de «Belle du Seigneur» tombe dans ce que l’auteur dénonce, quand elle déclare.
«Ne jamais être vue dans une situation où elle ne serait pas parfaite, c’est-à-dire se mouchant, allant aux toilettes, ayant des gargouillis intestinaux, en train de s’affairer à la bonne marche de la maison, non coiffée… En présence de Solal, elle s’efforce d’effacer toute spontanéité, étudie chacun de ses gestes pour qu’il soit parfait».
Dans sa naïveté pompeuse et pathétique, Ariane évoque la façon dont la cohabitation et l’habitude vient lever le voile du déni et de l’idéalisation qui enveloppait le corps de l’autre. Certes, nos patients ne s’expriment pas ainsi, mais ces deux passages ne vous évoquent-t-ils pas, le dentifrice mal rebouché, les bruits et les effluves désagréables, sans parler des mauvaises manières à table, qui constituent souvent l’ordinaire des griefs conjugaux ?

A une époque où la sexualité s’invite partout, le corps dans ses manifestations les plus triviales semble être devenu un tabou, corps souffrant, corps déchu, corps de la vieillesse ou de la maladie, ou simplement corps vivant ? A l’heure ou le corps s’affiche sous toutes ses formes, il peut sembler paradoxal d’affirmer qu’il est occulté.
Car notre époque proclame la libération du corps, mais, comme le souligne très justement David Le Breton, «cette proclamation correspond en fait à un effacement ritualisé ».

Si le corps se montre partout, les codes de cette monstration sont extrêmement précis, obéissant tous à un impératif : montrer un corps spécifique, normé, pour mieux cacher l’autre corps, celui du quotidien, et en escamoter toutes les manifestations intempestives. Paradoxalement, en l’exaltant, la modernité a réduit le territoire du corps, l’a cantonné et borné, comme une réserve d’Indiens.

Deux normes caractérisent la mythologie du corps moderne:
la norme de la discrétion;
la norme du contrôle.

La norme de la discrétion concerne toutes les manifestations quotidiennes du corps réel, sain ou malade. Elle intime au sujet de ne montrer son corps que sous un aspect stylisé, façonné selon des canons qui excluent tout ce qui est de l’ordre de l’organique brut, sécrétions, odeurs, couleurs, âge et fatigue.

La norme du contrôle se caractérise par le fait que l’injonction classique de «cultiver son corps» se mue désormais en un impératif de beauté et de forme, érigées au rang de valeurs sociales partageables.
Ce discours du «narcissisme contrôlé», offre au narcissisme individuel, mais aussi au narcissisme du couple, un cadre à la fois contenant et coercitif, qui lui permet de fonctionner dans le déni de la perte et de la mort, à condition de se conformer aux normes proposées.

Sous les reproches de non-communication les plus fréquents, on trouve, tapie, la déception narcissique face à une psyché, mais aussi un corps qui se découvre mortel, périssable et fragile.

Dans «Belle du Seigneur», on voit comment cette norme narcissique poussée à l’extrême va détruire toute possibilité de partage et donc d’intimité.

Pour le couple Ariane/Solal, l’union sexuelle est élevée au rang d’œuvre d’art, et le quotidien n’est que le piège sordide auquel ils se sont juré d’échapper : quitte à tomber dans un autre piège, celui de l’ennui, de la haine et de la détestation, qui les mènera à leur fin tragique.

 

Couple et esprit de corps
 
Ce qu’Albert Cohen décline pour nous, c’est l’échec de ses héros à se constituer en couple, à créer le tiers indispensable à la survie d’une entité qui, pour exister, doit accepter d’évoluer et de changer. À la toute puissance irréaliste des débuts, doit succéder une capacité de création constante, qui exige tout autant de ressources qu’elle en donne.

En général, nous autres cliniciens, ne rencontrons pas les couples dans la phase d’illusion groupale. Quand ils s’adressent à nous, c’est qu’ils sont dans la phase d’après, phase de désillusionnement, qu’ils ne parviennent pas à vivre autrement que sur le mode de la nostalgie ou du reproche.

Dans cette phase, on trouve, comme en négatif, tout ce qui constituait l’illusion amoureuse : et surtout, la souffrance d’en être sorti, l’aspiration à y revenir, cette nostalgie des débuts du couple qui ressemble fort à une nostalgie des débuts de la vie.

Qu’attendent-ils de nous ?

Souvent une seule chose : être reconnus comme couple et rassurés quant à l’existence de cette entité. C’est ainsi que certains couples mettent fin aux entretiens, quand ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient, l’assurance  d’être un couple. Si nous leur tendons un miroir négatif, ils repartiront désespérés : mais ne croyez pas que je m’attache là à une version hollywoodienne du couple, où les connotations positives à l’américaine «you are wonderfull», constitueraient tout le travail thérapeutique.

Il s’agit plutôt d’accepter de nous laisser surprendre, pour ne pas fonctionner, dans la triade thérapeutique, comme les couples qui viennent nous consulter. Nous laisser surprendre, c’est laisser venir et accepter sans à priori les solutions multiples et parfois inattendues que mettent en œuvre les couples en difficulté.

C’est là que réside, pour moi, l’essentiel de notre travail: les aider à retrouver le chemin menant aux ressources qu’ils possèdent, et dont ils ont perdu la trace. Sortir de la compulsion de répétition, de l’éternel reproche, pour accepter de se confronter à l’irréductible altérité, n’est-ce pas cela le vrai corps du couple, cet «esprit de corps», ce «faire corps» que j’évoquais au début de mon intervention?

D’où le paradoxe que pour vivre ensemble, il faut d’abord accepter de se séparer. Nous voyons tous des couples du style «ni avec toi, ni sans toi», qui semblent pris dans les rets d’une impossible individualisation, et qui souvent, continuent, même séparés, à vivre dans le regret de la fusion.

Pour illustrer mon propos, j’évoquerai ici brièvement un moment clinique.

Danielle et Mathieu approchent la cinquantaine quand ils me sont adressés par le psychiatre de Danielle qui la suit pour une dépression qu’elle a faite quelques années auparavant. Lui est un bel homme au visage franc et ouvert, elle est une femme très menue, visiblement anorexique, avec quelque chose d’une détermination têtue qui contraste avec son apparence fragile.

Quand je leur demande ce qui les amène, ils me répondent ensemble «un problème de rythme» : mais contrairement à l’idée qui me vient spontanément à l’esprit, il ne s’agit pas d’un problème dans leur vie sexuelle, mais d’une façon de régler les inévitables conflits d’une vie de couple, quand lui veut «vider» le conflit qui s’amorce et elle se déclare toujours épuisée, incapable de mener à bout des discussions qu’elle juge interminables. Mathieu communique beaucoup, notamment pour calmer l’anxiété qui le saisit quand il n’est pas en phase avec son épouse.

Danielle, elle, est plus secrète, plus réservée aussi et a besoin de nombreux moments où elle se retire dans son monde, ce qui plonge Mathieu dans des états d’angoisse insupportable. Devant ce qu’il appelle «la force du faible», il se sent désarmé, impuissant et très anxieux ; quant à Danielle, elle supporte mal ce qu’elle vit comme une pression constante à communiquer, une intrusion qui l’amène à se retirer davantage.

Pendant deux ans, à raison d’une séance mensuelle, nous allons travailler sur ces vécus différents : le travail porte essentiellement sur les familles d’origine, et le climat très différent qui règne dans chacune d’entre elles.

Mon propos n’étant pas de faire le récit de cette thérapie, je ne m’étendrai pas davantage sur les détails de ces séances, denses, parfois douloureuses, mais qui portent toutes la marque d’un lien fort, chaleureux et respectueux.

Environ six mois après l’arrêt des séances, je reçois un appel de Danielle, qui souhaite reprendre rendez-vous avec son mari. Elle vient de subir une intervention pour un cancer du sein, et trouve difficile le réaménagement que l’irruption de la maladie a imposé à leur vie de couple.

Cet accident de la vie, qui pouvait faire craindre une rupture de l’homéostasie du couple, va en fait servir de point de départ à une nouvelle répartition des rôles et des fonctions, dont chacun sortira renforcé et enrichi.

Les séances vont porter essentiellement sur le fait que Danielle ne peut plus faire de sport, et qu’elle doit renoncer à ce qui constituait pour les deux époux une passion commune. Après une période de deuil autour de l’image d’un corps commun éternellement fort et jeune, le couple s’engage dans une série de remaniements douloureux, équivalents à une castration que chacun vit à la fois personnellement, mais tout autant ensemble. Pour ce couple, la blessure narcissique se présente comme une occasion de mettre à l’épreuve la créativité du couple, qui va s’employer à construire un étayage commun pour affronter cette nouvelle étape de vie.

Je ne vous cacherai pas que je craignais le pire, sous la forme d’un retrait accru de Danielle et d’un effondrement de Mathieu. Or, sous ma houlette bienveillante et surprise, ce couple va trouver le chemin de ressources insoupçonnées, pour inventer une forme de vie qui tienne compte de la réalité nouvelle, mais aussi des vécus antérieurs de chacun. Mathieu pourra ainsi quitter sa place d’éternel angoissé, et Danielle sortir de sa retraite agressive.

On peut dire ici que chacun des deux partenaires a réussi à s’étayer sur le tiers couple dont ils avaient éprouvé la fiabilité lors des deux années de thérapie.

Le lien narcissique dont on pouvait craindre qu’il prenne le dessus dans une telle situation, a pu se muer en lien objectal, où l’acceptation de la castration et du temps qui passe a engendré de nouvelles formes d’être ensemble. Corps du couple et psyché familiale ont ainsi pu cheminer de concert, sans que l’un ne se développe au détriment de l’autre.

Les bons couples ne sont-ils pas ceux qui ont trouvé la capacité de donner forme et contenu au rêve illimité des débuts ? Par bon, j’entends «suffisamment» bon, au sens winnicottien : c’est là que réside le corps du couple, cet esprit de corps qui permet de traverser le temps, les épreuves, mais aussi de prendre du plaisir ensemble, pour retrouver, transformée certes, mais toujours vivace, la joie des débuts.

Pour que les Ariane et les Solal sachent, avec le temps, se muer en Philémon et Baucis, il leur faut accepter de vivre ensemble, séparés et unis à la fois.

Alors, les dieux du couple leur accorderont-ils, peut-être, comme aux héros d’Ovide, de ne pas être séparés par la mort, arbres immuables, qui pour l’éternité, continuent de répandre leur ombre bienfaisante sur les couples qui leur succèdent?

 

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