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Publications | |||||
La femme sans sexualité et | |||||
Une analyse de l’histoire du
planning
familial en Grande-Bretagne (1)
(dont le premier centre ouvrit
en 1921)
révèle que les buts du mouvement
ont
toujours été d’améliorer la
santé des
mères et des enfants, la
sexualité des
femmes étant pour ainsi dire
quantité
négligeable. On proposait aux
femmes
des moyens de contraception pour
les
protéger des conséquences de la
sexualité
des hommes, ce qui ne surprend
guère
vu le contexte social dans
lequel le mouvement
a débuté et la dure réalité des
femmes de cette époque (2). Le
contrôle
des naissances par les femmes a
été la
réponse pragmatique à cette
situation. Par la suite, les centres du planning familial sont restés un service destiné aux femmes, une tendance que la médicalisation croissante des naissances – avec l’introduction des contraceptifs oraux et du diaphragme – a contribué à renforcer. En 1974, leurs buts sont définis ainsi : «Prévenir les grossesses non désirées, améliorer la santé physique des familles, réduire le taux de mortalité périnatal et diminuer le stress émotionnel de la maternité». (3) Pourquoi l’offre de services de planning familial pour les hommes reste-t-elle presque inexistante ou si peu présente ? L’argument de la difficile mise au point d’une pilule contraceptive «masculine» est un leurre. En fait, les moyens investis dans le développement de contraceptifs masculins sont dérisoires (6% du budget mondial consacré à la recherche de moyens de contraception) (4). Le véritable obstacle se trouve dans les représentations sociales de la sexualité des hommes et des femmes et dans les objectifs déclarés du planning familial. Ainsi, rares sont les hommes qui se rendent dans les centres de planning familial et, en 1975, les médecins généralistes anglais décidèrent d’un commun accord de ne pas prescrire de préservatifs. Comme l’a dit l’un d’eux dans une lettre au Britsh Medical Journal : «Le gouvernement ne va quand même pas nous faire l’affront d’envoyer des tas de types attendre devant nos cabinets pour des préservatifs ; ce serait vraiment le comble !» (5). L’homme qui demande une vasectomie devra plus souvent payer l’intervention que la femme une stérilisation ; lorsqu’elle est faite par l’homme, la demande en matière de contrôle des naissances est considérée comme une demande à motif sexuel. Autrement dit, les hommes n’ont qu’à payer pour leur plaisir : un projet de loi débattu au Parlement en 1972, qui proposait d’inclure la vasectomie dans les prestations gratuites des services de santé, a été surnommé par un parlementaire «the Ram’s Charter» (littéralement «la charte des boucs»). Du point de vue de la politique sociale, on trouve en revanche légitime la gratuité des services du planning familial si la santé des mères et des enfants est en jeu : ainsi les contraceptifs féminins sont fournis gratuitement par les services de santé en Grande-Bretagne. Le corollaire de la sexualisation du contrôle des naissances pour les hommes est la désexualisation du contrôle des naissances pour les femmes. S’il en découle la gratuité des services contraceptifs, tous les aspects de la situation ne sont favorables aux femmes. Une enquête de l’OMS destinée à évaluer un contraceptif hormonal pour hommes s’est servie d’un document ne comprenant pas moins de trente questions quant aux effets du contraceptif sur la sexualité (6). Un travail similaire sur une méthode de contraception pour femmes incluait une seule question ayant trait à la sexualité (7). Dans le cadre d’une enquête sur les services de consultation en matière de stérilisation, une femme interviewée confie que son médecin lui a posé les questions suivantes : «Votre activité sexuelle justifie-t-elle une stérilisation ?», «Vous avez plus de 45 ans, êtes vous toujours intéressée ? » (8). Enfin, dans les années 1970, on commença lentement à réaliser que, puisqu’il faut être deux pour concevoir, le contrôle des naissances serait plus efficace avec la participation de l’homme et plusieurs rapports sur ce thème furent publiés. Mais la situation ne semble guère avoir évolué depuis – on en est resté à l’exhortation au changement. Notant le caractère sporadique de l’attention portée à la question pendant les deux dernières décennies, un auteur se demande si cet intérêt mitigé ne serait pas dû à l’absence de consensus sur ce que l’on entend par «implication de l’homme» (9).
Les témoignages de femmes à propos du sida rappellent ceux du tournant
du siècle concernant les grossesses non désirées. Une lettre
écrite alors à Marie Stopes, la pionnière des centres de contrôle des
naissances, relate les tristes circonstances de vie d’une femme qui
avait failli mourir au moment de son accouchement. Elle avait déjà six
enfants, eu un enfant mort-né et fait deux fausses couches. Son mari
l’accuse d’infidélité, lui reproche de ne pas avoir pris les mesures
nécessaires pour éviter la grossesse et refuse de prendre lui-même des
précautions tout en insistant sur ses droits conjugaux (13). On retrouve
ce sentiment de totale impuissance dans les récits de femmes relatifs à
l’infection du sida. | |||||
Persée http://www.persee.fr La femme sans sexualité et l'homme irresponsable Brenda Spencer : Actes de la recherche en sciences sociales, Année 1999, Volume 128, Numéro 1- p. 29 - 33 Avertissement L'éditeur du site « PERSEE » – le Ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, Direction de l'enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation – détient la propriété intellectuelle et les droits d’exploitation. A ce titre il est titulaire des droits d'auteur et du droit sui generis du producteur de bases de données sur ce site conformément à la loi n°98-536 du 1er juillet 1998 relative aux bases de données. Les œuvres reproduites sur le site « PERSEE » sont protégées par les dispositions générales du Code de la propriété intellectuelle. Droits et devoirs des utilisateurs Pour un usage strictement privé, la simple reproduction du contenu de ce site est libre. Pour un usage scientifique ou pédagogique, à des fins de recherches, d'enseignement ou de communication excluant toute exploitation commerciale, la reproduction et la communication au public du contenu de ce site sont autorisées, sous réserve que celles-ci servent d'illustration, ne soient pas substantielles et ne soient pas expressément limitées (plans ou photographies). La mention Le Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation sur chaque reproduction tirée du site est obligatoire ainsi que le nom de la revue et- lorsqu'ils sont indiqués - le nom de l'auteur et la référence du document reproduit. Toute autre reproduction ou communication au public, intégrale ou substantielle du contenu de ce site, par quelque procédé que ce soit, de l'éditeur original de l'oeuvre, de l'auteur et de ses ayants droit. La reproduction et l'exploitation des photographies et des plans, y compris à des fins commerciales, doivent être autorisés par l'éditeur du site, Le Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation (voir http://www.sup.adc.education.fr/bib/ ). La source et les crédits devront toujours être mentionnés. | |||||
Références 1 – B. Spencer, Studies in Birth Control Provision for Men, these, Manchester, université de Manchester, 1987. 2 – R. Hall, Dear Dr. Stopes; sex in the 1920s, Harmondsworth, Penguin, 1978; D. M. Llewelyn (sous la dri. de), Maternity: letters from Working Women, Londres, Virago, 1978. 3 – P. Meredith, Pharmacy, Contraception and the health Care Role, Londres, Family Planning Association, Family Planning Association Project Report, 3, 1982. 4 – B. Stokes, Men and Family Planning, Worldwatch Paper, 41, 1980. 5 – Royal College of General Practioners, Family Planning: an Exercise in Preventive Medecine, Londres, Royal College of General Practioners, 1981 (report of sub-committee of the Royal College of General Practioners’ working party on prevention). 6 – Anonyme, “Hormonal contraception for men: acceptability and effects en sexuality”, in Studies in Family Planning, 13(11), 1982. p. 328-342. 7 – B. Spencer, Acceptability of Medicated Vaginal Rings in Phase II, Clinical Trial, Manchester, Department of Epidemiology and Social Research. 1984 (Department of Epidemiology and Social Research Report Series, 56). 8 – I. Allen, Counselling Services for sterilisation and Abortion Services, Londres, Policy Studies Institute, 1985. 9 – J. Helzner, “Gender equality remains the objective”, in IPPF (sous la dir. de), Men’s and responsibilities: Dialogue, Challenges, Overview, Responses, Londres, Planned Parenthood Challenges (International Planned Parenthood Federation), 1996, p. 4-7. 10 – The Panos Institute, Triple Jeapardy: Women and AIDS, Londres, Panos Publications, 1990. 11 – T. Wilton, EnGendering AIDS: Deconstructing Sex, Text and Epidemic, Londres, Sage, 1997. 12 – J. Seligmann et M. Gosnell, “A warning to women on AIDS: counting on condoms is flirting with death”, in Newsweek, 31 août 1987; Sect Health, 46. 13 – R. Hall, Dear Dr. Stopes…, op. cit. 14 – The Panos Institute, Triple Jeopardy…, op. cit. 15 – C. J. Elias et C. Coggins, “Female-controlled methods to prevent sexual transmission of HIV”, in AIDS, 10(3), 1996, p. 43-51. 16 – Z. A. Stein, “HIV prevention: the need for methods women can use”, in American Journal of Public Health, 80, 1990, p. 460-462. 17 – C. J. Elias et C. Coggins, art. cit. 18 – T. Wilton, op. cit. 19 – T. Wilton, op. cit. 20 – Z. A. Stein, art. cit. 21 – L. Diller et W. Hembree, “Male contraception and family planning: a social and historical review”, in Modern Trends, 28(12), 1977, p. 1271-1279. 22 – B. Spencer, A. Jeannin et F. Dubois-Arber, “Whose turn tonight? An appropriation of the circumstances of condom use (purchase, proposal donning) by gender”, presentation orale à la XIIe Conférence mondiale sur le sida : “Bridging the gap”, 28 juin – 3 juillet 1998, Genève, Suisse. 23 – Voir par exemple M. S. Kimmel (sous la dir. de), Changing Men: New Directions in Research on men and Masculinity, Londres, Sage, 1987. 24 – A. Easthope, What a Man’s Gotta Do: the Masculine Myth in the Popular Culture, Londres, Paladin, 1986. 25 – K. E. Oeie, Norwegian Board of Health (sous la dir. de), Men and Men’s Sexuality: Limiting the Spread of HIVn Sexuality Transmitted Diseases and Unwanted Pregnancies, Oslo, Norwegian Board of Health, 1997; S. Venables et J. Tulloch, Your Little Head Thinking Instead of your Big Head: the Heterosexual Men’s Project, Ashfield, Family Planning NSW, Australie, 1993. 26 – C. Campbell, “Mirgrancy, masculine identities and AIDS: the psychosocial context of HIV transmission on the South African gold mines”, in Social Science and Medicine, 45(2), 1997, p. 273-281. | |||||