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Publications | |||||
Assises Françaises | |||||
Médicalisation de la sexualité | |||||
La médecine et le couple en souffrance | |||||
Les
trente dernières années ont vu la rencontre des cultures sexologique et
médicale dans la prise en charge des troubles sexuels. Parallèlement, une formidable révolution de la sexualité du couple s’opérait avec son lot de nouvelles souffrances… Ma proposition est de réfléchir à l’interaction qui s’est construite entre les deux cultures sexologique et médicale dans la pratique clinique et de voir dans quel sens elle modifie la prise en charge du couple en souffrance. Si ce qu’on peut appeler une « médicalisation de la culture sexologique » est très souvent décrite et constatée dans l’évolution de la prise en charge des dysfonctions sexuelles, on n’étudie que rarement l’interaction dans l’autre sens, à savoir comment la culture sexologique fait irruption dans la clinique médicale, ce que nous pourrions appeler, si je puis me permettre ce néologisme, une «sexologisation de la culture médicale». | |||||
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Quand la sexologie rencontre la médecine | |||||
Médicalisation de la culture sexologique à travers
deux exemples : la DE et le DSH La naissance d’un nouveau domaine médical «La connaissance physiologique est la condition sine qua non pour que puisse se construire une prise en charge thérapeutique dans le cadre d’une médecine basée sur les preuves». Pr François Giuliano Le développement et la créativité du savoir médical a été si considérable dans les trente dernières années que ce que nous pouvons appeler une médecine sexuelle a conquis ses lettres de noblesse. L’exemple de la DE avec deux dates charnières 1. 1982, Ronald Virag injecte de la Papaverine dans le corps caverneux d’un opéré. Il devient alors possible de provoquer et de maintenir une érection dans des conditions expérimentales pour l'étudier. De cet évènement, va découler une connaissance précise des mécanismes physio-pathologiques de la fonction érectile et de ses dysfonctions ainsi que le premier médicament sexo-actif. 2. 1998, le prix Nobel de Médecine est attribué à Louis Ignarro, Ferid Murad et Robert Furchgott pour l’identification du rôle du NO dans la mouillabilité des artères et dans la dysfonction endothéliale. | |||||
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De ces
travaux, va découler une compréhension de plus en plus fine des
correspondances qu’échangent maladie cardio-vasculaire et sexualité dans
les deux sens (par exemple, le trouble érectile survenant au décours
d’une maladie cardio-vasculaire ou venant à la révéler) et c’est cette
même année que le premier IPDE5 est mis à disposition. Les traitements, parlons en. En 1994, l’AMM pour l’Alprostadil en Injection intra-caverneuse et en 1998 du premier traitement par voie orale le Sildenafil. | |||||
Quelle souffrance ? | |||||
Qu’y apporte cette médicalisation ? | |||||
Puisqu’il
s’agit de Médecine, fut-elle sexuelle, parlons-en. «C’est ainsi que
la Médecine contemporaine compte et qu’elle compte chaque jour davantage
à mesure qu’elle nous conte moins». Dupont Bernard-Marie(1) La médecine est aujourd’hui scientifiquement organisée : elle est mesure et correspondance. Mort de la poésie du corps quand elle n’est plus narrative. Pourtant, le glissement d’une norme et donc d’une pathologie dérivant uniquement du comptage ne saurait rendre compte de la dimension singulière de la souffrance. C’est la raison pour laquelle il me semble utile de faire appel au conteur pour la décrire à côté du compteur. | |||||
La
Dysfonction Erectile est d’abord la souffrance de l’homme. | |||||
Que
nous dit le conteur ? | |||||
En 1980,
l’écrivain Romain Gary se suicide, ne supportant plus son «impuissance».
Voici un florilège de ce qu’il narre de sa souffrance : «Tout ce qui
avait été chant était devenu murmure… Mon corps me fut très lourd et
oppressant cette nuit, et il y eut entre nous une sorte de lutte, comme
si chacun essayait d’échapper à l’autre… Mon corps n’est plus rentable, il me rapporte de moins en moins en joie de vivre. Je suis devenu pour moi, et donc pour elle, une mauvaise affaire à tous points de vue…(2)». | |||||
Que
nous dit le compteur ? | |||||
Giuliano
(2001) «Chez les hommes souffrant de troubles de l’érection, 2 hommes
sur 3 disent qu’ils seraient insatisfaits s’ils devaient passer le reste
de leur vie avec leurs problèmes d’érection (3)» ou encore, Korfage
(2006) «Si on demande à des patients atteints d’un cancer de la prostate
de mettre en relation leur durée de survie potentielle et celle de leur
fonction sexuelle, 68% sont prêts à sacrifier 10% des chances
d’augmenter leur durée de vie de 5 ans en échange du maintien possible
de leur fonction sexuelle (4)». | |||||
C’est
aussi la souffrance de la partenaire | |||||
Que
nous dit le conteur ? | |||||
Florilège
entendu dans le colloque singulier de la consultation : «il ne m’aime
plus car il ne me désire plus… Je ne lui fais plus d’effet… Il désire
une autre femme et c’est elle qu’il aime… Je n’ose plus, il n’ose plus…
Il ne reste qu’à se résigner…». Ou encore ce texte écrit par Claude Corman, cardiologue : «L’homme n’a pas su répondre aux caresses de la femme. Encore une fois… La femme s’est retournée, triste ou résignée…(5)». | |||||
Que nous dit le compteur ? | |||||
Renshaw (1981) : 62% des partenaires d’hommes DE ont une difficulté sexuelle (dysorgasmie, perte de désir, dyspareunie) ou encore, R.Shabsigh (2006) : 44% des partenaires d’hommes DE ont des symptômes dépressifs, 26% des troubles anxieux, 30% des troubles de l’excitation, 24 % des troubles de l’orgasme et 34% une réelle insatisfaction sexuelle.
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C’est
enfin la souffrance du couple | |||||
Que
nous dit le conteur ? | |||||
« …Dans la
tête de l’homme, se bousculent toutes sortes de raisons. Mais aucune
n’est assez forte pour franchir le mur du silence qui sépare les deux
corps nus… L’homme voudrait redessiner le sourire du bonheur sur les
lèvres de la femme mais la petite musique de ses mots si maladroitement
dits ne peut racheter son odieuse timidité charnelle… Il se sent de plus
en plus vain…(5)». | |||||
Que
nous dit le compteur ? | |||||
Dans une
revue de la littérature, Alan Riley* (2002) met en évidence une cascade
de réactions à la dysfonction érectile : la peur de l’échec et la peur
de l’intimité entraînent la culpabilité de la partenaire et la disparition de la communication conjugale(6). | |||||
Une
fois la souffrance reconnue, qu’apporte la Médecine ? | |||||
Avant la
Médecine sexuelle, aucun remède n’est alors efficace contre ce que l’on
appelle alors l’impuissance. C’est le temps des «sorciers» ou du «deuil
forcé de sa sexualité». Les sexothérapies sont peu évaluées mais avouent
leur plus gros taux d’échec dans l’impuissance. Sur les statistiques de
Masters & Johnson, dont on connaît l’optimisme, ils avouent 40,6 %
d’échec sur une patientèle portant sélectionnée(7). Le savoir médical et les traitements qui en sont nés génèrent de nouveaux patients, hier encore totalement absents de toute prise en charge (ils ne venaient que peu voir alors des sexologues) et qui se voient légitimés (CCNE) (8) dans leur demande d’aide médicale et souvent satisfaits des soins reçus. | |||||
De nombreuses études montrent la satisfaction des patients quant au traitement de leur DE (9)mais aussi de la partenaire et du couple(10-11-12-13). | |||||
L’exemple des troubles du désir chez la femme | |||||
Ici, nous
sommes dans une naissance plus tardive de l’approche médicale, très peu
de patientes traitées et peu d’évaluation à ce jour. D’abord en raison de la complexité de la clinique : les troubles du désir chez la femme sont très fréquents et rebelles aux diverses tentatives thérapeutiques (14). Nous sommes encore en manque de connaissance sur tous les déterminants de la libido féminine et les nombreuses circonstances qui l’affectent (15), donc pas de consensus à ce jour sur la prise en charge. D’autant plus que des facteurs situationnels peuvent entraîner des périodes de baisse du désir ne pouvant être considérées stricto sensu comme pathologiques (16) et que l’interprétation de la notion de «souffrance personnelle» est complexe puisque de nombreuses femmes n’associent pas dysfonction sexuelle et souffrance (17). L’approche clinique de ces troubles du désir est restée jusqu’à ce jour peu médicalisée et les psychothérapies et sexothérapies en restent les piliers thérapeutiques. Pour en faire un rapide inventaire : il s’agit d’apporter une information sur la sexualité, de rétablir une communication à l’intérieur du couple, de dédramatiser l’apprentissage de la sensualité, d’autoriser le plaisir et de diminuer les anxiétés et le stress par une exposition progressive à l’intimité sexuelle (18) ou encore de travailler sur le fantasme, d’établir ou de rétablir des consignes sur l’activité masturbatoire (19). L’importance de la composante cognitive dans le DSH met en valeur les TCC (20) avec une éducation sur les fausses croyances et une restructuration cognitive. Enfin, sexualité et relation conjugale étant en étroite relation, les thérapies de couple sont au premier plan avec un entraînement à la communication, à l’expression de soi et à l’empathie, un travail sur les émotions, sur le jeu et les scripts sexuels. Quand on évalue ces prises en charge, et bien que ces cliniciens avouent quelques réussites, ils conviennent souvent que cette pathologie est réfractaire au traitement (21). Il y a peu d’études contrôlées pour apprécier les résultats. Seules les TCC font l’objet de résultats contrôlés (20). L’ensemble de ces études concernent des femmes avant la ménopause
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Les axes pharmacologiques | |||||
- Le
traitement androgénique : la 1re étude sur androgènes et troubles
sexuels (22) date de 1950 et n’avait eu que peu de retentissement
clinique. Depuis, des études sur des ménopauses iatrogéniques montrent
une efficacité sur le Désir Sexuel Hypoactif (23) et ceci aboutit au
premier traitement ayant une AMM dans le DSH. | |||||
- Le succès
des IPDE5 chez l’homme entraîne des études chez la femme. Or, si l’on y
constate une efficacité sur l’excitation génitale, elle n’est pas
forcement perçu par la patiente qui reste avec un trouble de
l’excitation subjective (24). Ces traitements sont inefficaces en cas de
troubles du désir. En somme, la plus grande efficacité est
l’augmentation du désir constatée chez la partenaire du dysérecteur
traité par IPDE5(25). | |||||
-
Traitements à visée centrale : la Flibanserine est un agoniste
serotoninergique (5-HT1A), antagoniste (5-HT2A), ayant une affinité
modérée pour les récepteurs dopaminergiques D4J, qui a été initialement
développée en phase II sur la dépression, puis, en raison de résultats
très significatifs sur le DSH, elle a été reprise en phase III avec des
échelles d’évaluation sur les dysfonctions sexuelles. Seuls les
résultats sur sa bonne tolérance sont aujourd’hui publiés (26). | |||||
En somme, en
dehors du traitement hormonal, le clinicien est aujourd’hui dépourvu de
traitements dans le DSH chez la femme. La population de femmes consultant pour un DSH est extrêmement hétérogène et le clinicien doit asseoir son diagnostic sans avoir de vraies guidelines. Enfin, l’évaluation des sexothérapies et des psychothérapies dans la prise en charge du DSH ne donne pas des résultats suffisants.
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Quand la Médecine rencontre la Sexologie « Sexologisation » de la culture médicale | |||||
Petite leçon d’éthique… | |||||
Comme le dit
Didier Sicard, président du Comité Consultatif National d’Ethique, « si
la Médecine doit s’approcher au plus près de la personne dans sa
radicale singularité, elle doit aussi témoigner simultanément d’un
corpus scientifique sans cesse en évolution, indifférent par essence à
la personne singulière ». En quelque sorte, cette double dimension -
contradiction - porte ce risque : voir un savoir qui pourrait nier
l’empathie quand celle-ci pourrait mettre le savoir à distance. Si cette contradiction existe dans toute la médecine, elle éclate au plus au point lorsque l’objet du soin est la sexualité. Notre culture nous a instruits sur les multiples dimensions de la sexualité humaine, fut-elle malade, et nous ne sommes pas trop d’un sociologue, d’un philosophe et d’un sexologue pour y réfléchir. Mais, ce que notre culture sexologique a particulièrement mis en exergue, c’est que, derrière ce que la médecine appelle une pathologie, certes il y a toujours la singularité d’un homme ou d’une femme mais aussi le plus souvent un couple qui a la «tentation d’exister» et de faire exister une sexualité que le «bain culturel contemporain» transforme en condition puisque la sexualité du couple est devenue ciment du couple contemporain. La Médecine n’existe qu’incarnée par un soigné qui souffre et un soignant qui entend soulager cette souffrance. En somme, la Médecine est un dialogue. Le problème lorsqu’il s’agit de sexualité, c’est que le couple s’invite dans ce «dialogue».
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Quand le savoir médical ne nie plus l’empathie et prend la mesure du
couple | |||||
Une analyse
de la littérature montre d’abord, qu’après des années d’absence, le
couple s’impose dans la démarche médicale. De plus en plus d’études, de
questionnaires validés et de protocoles de recherche prennent en compte
sa dimension et l’interrogent sur sa satisfaction (27). Ces études, même
si elles restent limitées et restreintes à une vision normative du
couple, montrent que tenir compte du «nous deux» dans l’évaluation comme
dans le suivi améliore ou permet la réussite des traitements (28). | |||||
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Un
difficile métissage | |||||
Mais, outre
que la souffrance sexuelle du couple ne peut se résumer à un champ
médical, reste qu’il ne suffit pas d’une volonté pour la prendre en
charge et on peut mesurer les difficultés et les résistances que ce
modèle de prise en charge "triangulaire" soulèvent auprès de praticiens
formés et rompus à l'approche duelle de leurs patients. | |||||
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Conclusion | |||||
L’avènement
d’une médicalisation de la culture sexologique nous incite à penser que
la recherche et la thérapeutique médicales sont une aide indiscutable à
la souffrance du couple. Les résultats semblent assez évidents chez l’homme et malgré la complexité des troubles sexuels chez la femme, les polémiques autour de la notion de pathologie et le peu de résultats à ce jour, on peut penser qu’il peut en être de même chez la femme d’autant que les patientes en sont demandeuses. L’observation de trente années de Médecine sexuelle a conduit les praticiens et chercheurs à prendre la mesure de la souffrance du couple derrière le symptôme médicalement identifié. Reste qu’ à tout nouveau champ clinique identifié, il faut des spécialistes formés et reconnus par une médecine qui s’aperçoit de mieux en mieux qu’elle doit «compter» avec eux. Pourquoi ne pas réconcilier le «conteur» et le «compteur» et célébrer demain, après en avoir décrit la rencontre, les «fiançailles» de ces deux cultures… couple au service du couple. | |||||
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Références | |||||
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