Je me suis interrogé sur le domaine du microcosme
amoureux, d’un point de vue psychologique,
psychopathologique et également avec
des aspects thérapeutiques. Je pense que ce
domaine peut donner lieu à des actions thérapeutiques.
La question fondamentale, personnelle,
est la suivante : «sommes-nous amoureux
de l’autre ou de la relation que nous établissons
avec lui ?». L’amour crée aussitôt un petit
monde à part qui devient très attachant et évolue
pour son propre compte. Il se constitue très
vite puis il s’enrichit formant un espace de synthèse
et d’unification qui bénéficie à chacun
des deux partenaires et renforce les identités.
Alors comment est-ce que le microcosme va
se créer ? Un homme et une femme se rencontrent,
échangent des regards et des propos,
ébauchent des confidences. Ils se sont
trouvés ensemble dans un voyage organisé à
l’étranger, à Venise par exemple, ou ils ont été
invités ensemble dans un congrès scientifique,
ou bien ils prennent le même train quant ils
quittent leur travail. Donc, à quelques propos
banals, qui sont des généralités sans importance
et qui révèlent plutôt de la dissimulation
ou de la simplicité, se mêlent bientôt, des confidences
et des échanges, des parcelles d’intimités.
Il s’agit à ce moment, là, simplement
d’évoquer ou de rappeler les impressions ou
les souvenirs qui sont en rapport avec le
moment présent. Et, on n’aura pas les mêmes
idées si on est à Venise que si on est dans le
RER. Mais, dans l’un et l’autre cas, le moment
peut être magique, et magique par sa particularité,
son unicité surtout. Tandis que le train
s’est arrêté du fait d’une panne, les deux interlocuteurs
se sont mis à parler entre philosophes
de Spinoza ou d’Emerson. C’est un moment
magique, c’est un moment choisit, c’est un
moment construit. La conversation est alors un
fragile esquif qui se charge avec délicatesse et,
celui-ci risquerait de basculer, s’il y avait trop
d’intimité ou trop de désir pour commencer.
Regardons un peu, ce que contient, ce fragile
esquif de la conversation : nous trouvons des
sensations nouvelles inaccoutumées, nous
avions jamais vu les choses comme çà, «vous
me paraissez autre je vous redécouvre», «vous
n’êtes plus le même». Nous avons aussi des
gestes, des attentions : «je vais porter votre
valise », « je vais vous ouvrir la porte», «prenez
ma place», etc. Les corps se rapprochent et
trouvent une nouvelle façon de se mouvoir
ensemble, ils marchent au même pas, les
regards s’accordent. On voit aussi des pensées
qui apparaissent, qui trouvent leur rythme et
qui vont vers une même thématique.
L’exploration devient réflexion, découverte et
création, et on commence à découvrir des idées
ensemble, à trouver des choses intéressantes,
découvertes, dans la conversation. C’est ainsi
que peu à peu des croyances se sont installées.
Les choses découvertes ensemble deviennent
des croyances. Ces individus rient ensemble,
se moquent et voici que l’affect est rentré dans
la danse. Cet homme et cette femme se sont
émus de se trouver ensemble et voici que peu
à peu le corps frémit, que le désir apparaît. Le
désir apparaît à partir de certaines parties du
corps, la poitrine, les épaules, les lombes, les
regards, les mains, les sourcils, les avant-bras
et le désir commence à apparaître. C’est à ce
moment que se produit la cristallisation décrite
par Stendhal faisant passer le sentiment de
désir au sentiment amoureux. Désirer un corps,
ou certaines de ses parties, sans y associer la
psychologie et la gestualité particulière d’un
individu, c’est se trouver dans une curieuse dissociation.
On ne peut pas connaître un corps,
sans vouloir connaître, l’esprit et la psychologie
qui se déroulent parallèlement. Et le désir
entraîne, immédiatement, une grande curiosité.
Nous devons compléter notre connaissance
de cette personne, plus nous amplifions
la connaissance de l’autre parallèlement au
désir, plus s’installe un sentiment de beauté,
de familiarité, de mystère. C’est un domaine
qui s’ouvre, qui devient de plus en plus intriguant,
plus vaste qu’on ne l’imaginait. C’est le
moment de la cristallisation qui a été décrite par
Walter Scott et Stendhal. Stendhal écrit : «on se
plait à orner de mille perfections une femme de
l’amour duquel on est sûr, on se détaille tout
son bonheur avec une complaisance infinie».
Ce sentiment d’une beauté ample et originale,
inclut évidemment des qualités morales et psychologiques,
et l’on a fait le lien entre le désir et
la connaissance psychologique. D’autres émotions
vont s’ajouter à la cristallisation, la sympathie,
le bonheur, le bonheur d’être accepté et
reconnu, l’humour, l’invention, la distraction,
l’improvisation. La cristallisation joue un rôle
synthétique, l’objet d’amour est unifié, il offre
une remarquable compacité. La jeune fille
aimée est un tout compact ne présentant
aucune anomalie, aucune incertitude. L’amant
se trouve en sécurité, il n’a pas besoin d’en
rajouter. La jeune femme peut se dévêtir, dormir,
émerger de son sommeil sans que soient
altérés sa grâce et son charme. Elle est entière,
elle est immédiate, elle est totale dans tous ses
états. La cristallisation synthétise l’objet
d’amour, mais elle synthétise aussi celui qui
aime et sent toutes ses forces dirigées vers son
amour, et, de façon symétrique cherche lui
aussi à se présenter de façon homogène.
L’amour unifie les deux amants il renforce et
arrondit leurs personnalités et, par conséquent,
il n’y aura pas de fusion, chacun a trouvé au
contraire une façon de se synthétiser, de façon
encore plus nette, encore plus importante.
Toutefois, la cristallisation reste très dépendante
du microcosme et du moment magique
qui a initié l’amour. Il y a une atmosphère particulière,
des sensations qui vont donner lieu à
des mythifications et des rituels. Mais, est-ce
que nous saurons continuer cet enchantement? D’emblée, la question d’une cohérence du
microcosme, dans le temps et dans l’espace se
pose, à moins d’accepter que l’aventure soit
rapidement achevée, les amants se doivent de
prolonger ce lever de rideau. Le moment
magique initial risque de se faner assez vite et
les amants vont vouloir prolonger le microcosme.
Nature et forme du microcosme
On va retrouver ici la trilogie cognitive, avec
sensations, habitudes, émotions et croyances.
Effectivement, les sensations, les représentations,
les images mentales vont se cristalliser sur
des objets et des lieux emblématiques, des
souvenirs, des bibelots, des cadeaux, des
meubles, des lieux mythiques, et puis naturellement
des fêtes et des anniversaires. On va
trouver bien sûr des habitudes comportementales,
un climat de tendresse, d’affection, naturellement
des moments érotiques, des caresses
privilégiées, des ressenties, des actes qui vont
constituer bien entendu le microcosme. Enfin,
il y a bien entendu des idées, des croyances,
des logiques qui charpentent le microcosme
et concernent la vie du couple, mais aussi les
qualités et les défauts des deux partenaires.
Mais encore, les événements fondateurs, à la fois
de leurs existences réciproques et de la façon
dont ils se sont connus. On va rentrer dans le
monde des mythes, des croyances et des cultes.
Elle est la plus belle, il est le plus intelligent,
nous sommes des gens très doués, etc. Quelles
vont être les différentes formes du microcosme
et dans quel domaine les individus vont s’épanouir
pour constituer le microcosme ? Alors j’ai
ouvert quelques pistes, naturellement je n’ai
pas fait d’étude sur le terrain ce sont des intuitions
et des constatations personnelles, certaines
vont recouper les remarquables travaux
d’Eric WIDMER.
Premier domaine :
Poésie, fantasme, imagination, art, littérature,
philosophie, spiritualité. Il s’agit ici de rassembler
le domaine sensoriel et intellectuel, dans un
secteur particulier idiosyncrasique, inaccessible
aux autres, créatif. Ce microcosme est riche,
son expansion est très vaste et infinie. Cet investissement
a l’avantage de prêter très peu le flan
à la critique ou à la convoitise, parce qu’il est
extrêmement personnel. En quelque sorte il
isole assez bien le couple par rapport au monde
extérieur, mais il risque d’être un peu irréaliste
et peut être dangereux pour les enfants du
couple qui seront en quelque sorte dans une
sorte de cosmogonie assez particulière.
Deuxième domaine :
Corps, sport, nature. Le couple s’épanouit dans
un monde isolé du domaine social et intellectuel
ou économique et industriel. Un monde
panthéiste qui cultive la santé, la nature, l’admiration
esthétique des corps. C’est une sorte
de culte à la nature devant la création du
monde. Ceci permet une sorte de sensation
d’appartenance, d’un accord fortifiant et épanouissant
le couple, renforçant les sentiments
de synthèse et d’unité. Mais celui-ci a un peu un
inconvénient tout de même, c’est d’être vulnérable
à l’âge et au vieillissement.
Troisième domaine :
Douceur, tendresse, fragilité, protection, c’est
l’ambiance duveteuse et confinée du nid. C’est
la culture du petit jardin de Voltaire. C’est le
monde clos et protégé avec une connaissance
parfaite et contrôlée d’un domaine limité. Il
offre l’avantage d’un sentiment d’unicité, de
protection. Il présente l’inconvénient, évidement,
de risquer de s’appauvrir, de devenir
conventionnel, répétitif, ennuyeux, frustrant.
En étant isolé, il risque de devenir naïf et irréaliste.
Quatrième domaine :
Excitation, sensualité, audace, excès, le couple
peut se fortifier dans la recherche de sensations
fortes. C’est la transgression des limites,
c’est une sexualité torride, très sensuelle, compliquée.
Le couple peut dépenser, voyager,
consommer des drogues excitantes, chercher
des expériences et des vertiges particuliers. Ce
microcosme offre l’avantage d’une certaine
création continue, d’un dépassement permanent,
mais il présente le risque de l’instabilité et de désunion.
Cinquième domaine :
Orgueil, supériorité, vigilance. Le couple s’unit
dans le désir de se trouver supérieur aux autres,
il faut monter dans la hiérarchie sociale. C’est un
couple ambitieux, dominer, posséder, se faire
admirer, en imposer. Cette gradation ambitieuse
est alors le vecteur commun aux deux
membres du couple. Ce fonctionnement offre
l’avantage d’une action précise et organisée
d’objectifs indiscutables mais il présente l’inconvénient
de voir s’installer une certaine froideur,
une perte de l’affectivité et de l’intimité.
Ceci risque de retentir sur l’épanouissement
des enfants qui verront chez leurs parents un
couple supérieur et indépassable, ceci pouvant
entraîner chez eux un sentiment d’infériorité.
Sixième domaine :
Réalisme, autonomie, responsabilités :
Le couple s’unit et s’organise dans l’accomplissement
du domaine professionnel. Là encore,
l’action et l’investissement sont orientés vers
un but indiscutable et cohérent. La satisfaction
qu’apporte le travail s’accompagne d’aisance
financière, de réussite sociale, de renforcement
positif, mais ce microcosme présente le risque
d’affaiblir le domaine affectif et intime, d’instaurer
des relations un peu formelles et conventionnelles,
plus sociales qu’amoureuses ou amicales.
Les enfants risquent de payer la note,
parce que ce sera un couple un peu rigide.
Septième domaine :
Distance, éloignement, île déserte, l’isolement
sensoriel, le décalage et la rupture de tous les
liens. Le monde parfait et idéal contribue à former
un microcosme absolu et loin de tout,
polynésien où tous les mouvements, tous les
affects, toutes les pulsions s’apaisent et s’oublient.
Le risque est, évidemment, l’ennui, l’appauvrissement
dans la solitude.
Maintenant, on va regarder les
heurs et les malheurs du microcosme.
Les heurs du microcosme
Un point important, c’est que le microcosme
permet l’enrichissement, l’autonomie, l’identité.
Le microcosme réalise un territoire mental,
une propriété protectrice où s’affirme et se renforce
les valeurs du couple. Il réalise un équilibre
entre permanence et créativité. C’est un lieu
d’éveil, d’évolution, plus souple que chacun
des partenaires. Autant il est difficile de demander
à un individu de modifier ses comportements,
de combattre ses défauts, autant il est
sans doute plus facile d’enrichir la relation des
deux membres du couple. Deuxièmement, le
microcosme est la possibilité de libération, de
désinhibition, d’épanouissement par la mise
en place de nouvelles idées, de nouvelles activités.
L’un et l’autre vont s’épanouir, se libérer, se
découvrir, acquérir de nouvelles façons d’être,
accéder à de nouvelles connaissances, etc. Le
microcosme donne une impression de profondeur,
c’est un domaine à la fois mystérieux
et secret proposant des facettes inattendues
et donnant une impression de spiritualité, de
philosophie. Il existe toujours une sorte de mystère
à l’intérieur de la relation entre deux personnes
et, à partir du moment où les deux
membres du couple comprennent l’existence
d’une sorte de source permanente de nouveauté,
il cultive le microcosme un peu à la
façon d’une religion spirituelle. Aussi, le microcosme
est une protection contre l’infidélité, car
il est difficile à l’amant infidèle d’emmener avec
lui des éléments du microcosme. Il pourrait les
proposer à une maîtresse mais il se trouverait
désorienté, mal à l’aise, déçu, décevant, encombré.
Et ce serait une greffe qui prendrait très
mal et la personne courtisée comprendrait très
mal cette disposition. A l’inverse, lui-même
serait assez mal à l’aise et déçu. Donc, une protection
contre l’infidélité.
Les malheurs du microcosme
On peut évidemment assister à la sclérose figée
des moments initiaux. On aura une sorte de
mythification de la lune de miel comportant
des rites répétitifs, des cultes qui deviennent
lancinants, toujours le même voyage répétitif,
à Venise, à Florence, les mêmes pèlerinages,
les mêmes vêtements, les mêmes parfums. La
vie conjugale risque d’être une sorte de deuil
pathologique d’une lune de miel disparue
depuis longtemps. On est dans un système rigidifié,
obsessionnel. Ensuite, le microcosme
fusionnel est envahit par le sentiment d’égalité,
de confusion, c’est comme un état communiste
où il n’existe plus de différences tout est égal,
uniforme, sans conflit, sans difficulté, sans injustice.
Mais qui naturellement, risque de s’appauvrir
de façon tout à fait désastreuse. C’est
l’immaturité fusionnelle, décrite par Serge
CHAUMIER, où : «le couple et tout foire» décrit
par Philippe BRUNO. Dans certains cas, le microcosme
risque d’être imposé par l’extérieur. Le
microcosme est par définition créé par les deux
amants. Il est le fruit de leurs intimités, de leurs
expériences, mais trop souvent, il est imposé
par l’extérieur, proposé par les parents par
exemple, par la société ou la microsociété
conventionnelle, par les modes. D’une période
à l’autre, les couples vont se vouloir romantiques,
glamoureux, excessifs, artistiques, libertins,
rationnels, écologiques, ésotériques. On va
voir se conjuguer des modes tout à fait particulières
mais qui n’appartiennent pas véritablement
aux couples et qui sont le fruit d’une
sorte de publicité. Enfin, autres inconvénients
majeurs, l’un des membres du couple peut être
appelé par un autre microcosme, présenté par
une personne tentatrice, et si un microcosme
s’appauvrit, on peut être tenté d’être infidèle et
d’aller voir un autre microcosme plus intéressant,
mais à ce moment là se reposera la question à
savoir si l’on est attiré par la personne ou par le
microcosme qu’habite cette personne.
Le domaine thérapeutique
De pratique cognitivo-comportementale, il est
évident que l’on peut agir sur le microcosme
afin d’améliorer la santé des couples, l’ennui, les
disputes, les jalousies, les rancunes, etc. Tout
cela peut s’améliorer par une thérapeutique,
du ou par, le microcosme. Il existe, bien évidemment,
l’enrichissement comportemental
où les deux membres du couple peuvent
découvrir de nouvelles activités, des loisirs, des
expériences culturelles ou l’acquisition d’aptitudes
artisanales. Mais, assez souvent ces comportements
sont un peu plaqués et ils sont liés,
là encore, à des modes. C’est intéressant, mais
ce n’est pas forcément ce qu’il y a de plus intéressant.
Ensuite, on peut évidemment jouer sur
le domaine cognitif avec l’utilisation de nouvelles
formes d’intelligence, de nouveaux raisonnements,
d’utilisation de moments particuliers,
poétiques, les ambiances crépusculaires,
des moments inédits de méditation au cours
d’un voyage ou lors d’une période de désœuvrement.
Cela va générer de nouvelles
ambiances bien spécifiques au couple et va
permettre au couple de repartir sur des
moments particuliers. Mais, également, ce qui
concerne les épreuves, les succès et qui peuvent
être l’occasion de rénover les logiques et la
façon de raisonner du couple. Enfin, je voudrais
insister sur deux domaines qui font partie
de la psychologie positive, c'est-à-dire la psychologie
du bien être en vous présentant l’intelligence
émotionnelle et la créativité émotionnelle.
L’intelligence émotionnelle, c’est une sorte de
compréhension, beaucoup plus attentive du
domaine des émotions. C’est une façon de
gérer, de percevoir, de comprendre les émotions...
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