Sexologos  n° 28

Juillet  2007 

Claude ESTURGIE

Publication
 

Bilan et perspectives de la libération sexuelle
Interview de Marcela IACUB
par Claude ESTURGIE

Président de l’Académie des Sciences Sexologiques.

 

Claude Esturgie

Je vous remercie Marcela Iacub de cet entretien que vous voulez bien accorder à «Sexologos» afin de faire bénéficier tous nos lecteurs des idées que vous avez brillamment développées à la dernière réunion de l’Académie des Sciences Sexologiques en Janvier 2007.
Notre époque a connu une extraordinaire révolution des moeurs, pour la spécialiste du droit et la chercheuse que vous êtes, quels sont les grands principes juridiques à la base de ce bouleversement ?

 

Marcela Iacub

Deux grands principes se déduisent de la révolution sexuelle. Le premier est celui du consentement à la sexualité. Le seul critère qui va désormais qualifier d’un point de vue juridique et moral les rapports sexuels sera le consentement donné par des adultes. Ceci a des implications très importantes. Le cadre conjugal ne sera pas essentiel voire même le sexe des partenaires ou le type de technique sexuelle employée. Le consentement vaut pour valider donc un ensemble de comportements qui étaient jadis stigmatisés.
Le deuxième grand principe est celui de la séparation de la sexualité de la procréation. D’abord ce principe fut formulé au négatif, c'est-à-dire, qu’il ne fallait faire des enfants que quand nous voudrions, c'est-à-dire que la nature n’allait pas décider à notre place d’une grossesse.
Plus tard se développèrent des droits positifs. Grâce à la légalisation des nouvelles techniques de procréation on peut désormais faire des enfants lorsque la nature ne veut pas nous les donner.
Il ne faut pas oublier que cette révolution des moeurs n’aurait jamais pu être possible sans un processus qui démarra bien avant, depuis le début du 20è siècle qui est l’égalité juridique des femmes et des hommes.
Ces deux principes du consentement ont quelque chose en commun. Ils impliquent une nouvelle conception du corps dans la société. Celui-ci ne sera plus lu comme une sorte de machine ayant des comportements qui lui seraient propres, normaux et anormaux, féminins ou masculins. Ce corps ne sera pas non plus l’arbitre de nos vies mais il sera l’instrument de notre bonheur.

 

Claude Esturgie

On dit souvent que toute révolution connaît son Thermidor. La révolution sexuelle dont vous venez de nous parler de manière tout à fait apologétique tient-elle vraiment ses promesses ?
Je me souviens que vous aviez insisté sur ses nombreux paradoxes qui en changent radicalement le message et l’application.

 

Marcela Iacub

Certes, je crois que le problème de cette révolution est qu’elle n’a pas respecté entièrement les principes à partir desquels elle s’est construite.
D’abord, la règle du consentement n’a pas été toujours prise au sérieux. Il en est ainsi de la prostitution par exemple. Au lieu de considérer que le consentement seul devait décider de la légalité d’une relation sexuelle on s’est mis à penser que les femmes ne choisissent pas vraiment lorsqu’elles se prostituent, qu’elles sont manipulées, opprimées, etc. C’est une manière non seulement de dire aux gens de quelle manière il est bon d’avoir des relations sexuelles mais aussi d’infantiliser les femmes quand précisément on pensait que cette révolution des moeurs les avait enfin traitées comme des adultes capables de décider de choses aussi importantes que de donner ou non la vie à des nouveaux êtres humains. Au fond, il s’agit d’une manière de dire aux gens que les relations sexuelles sont licites dans n’importe quel cadre mais qu’il ne faut pas que celui-ci soit commercial. La sexualité doit être un échange symbolique, autrement elle est dégradation et esclavage. Voici une manière de construire des normes en matière sexuelle qui viennent mettre des entorses au principe du consentement.
L’autre grande inconséquence du principe du consentement est liée à la procréation. En réalité le consentement ne s’applique qu’aux femmes qui peuvent décider seules de la venue au monde d’un enfant tandis que les hommes doivent se ranger derrière cette décision sans protester. Ceci a rendu les femmes beaucoup plus responsables des enfants que ne le sont les hommes parce que c’est d’elles et d’elles seules que dépend cette décision de faire ou de ne pas faire naître dans une filiation donnée. Et pourtant, la révolution des moeurs était semble-t’il la dernière conquête de l’égalité entre les hommes et les femmes, égalité qui avait été déjà conquise dans les autres sphères de la vie. Les politiques antidiscriminatoires sont à mon avis le résultat de cette manière de différencier les sexes. Car personne n’a souhaité mettre en question le rôle primordial des femmes à l’égard des enfants et de ceci résulte une charge matérielle et psychique trop lourde qui a des conséquences surtout pour les classes les moins favorisées sur l’emploi et l’engagement des femmes dans des activités politiques, sociales ou culturelles.


L’autre paradoxe à mon sens est la place un peu extravagante qu’a prise la pénalisation de la violence sexuelle dans nos sociétés. Certes, le principe du consentement à la sexualité justifie entièrement que l’on punisse les violences sexuelles. Mais le problème est que ceci est devenu paradoxalement le cheval de Troie du retour d’une moralisation de la sexualité. Les peines extravagantes que l’on applique aux criminels et délinquants sexuels nous indiquent que le sexe n’est pas une affaire banale, que lorsqu’on s’embarque dans une relation sexuelle on joue sa santé morale et sa survie psychique. Comme si finalement, le sexe était le nouveau lieu de l’âme.

 

Claude Esturgie

Vous-même savez jouer très subtilement du paradoxe quand vous déclarez dans votre conclusion : «Nous avons bien libéré le Sexe, en effet, mais peut-être est-ce du Sexe que nous aurions dû nous libérer» Pouvez vous analyser cette proposition de prime abord un peu surprenante ?

 
Marcela Iacub

C’est justement à cela que je faisais allusion. Car si le principe du consentement avait été vraiment pris au sérieux jamais la loi n’aurait dû employer le mot sexe qui est très chargé de significations lourdes aussi bien par le langage courant que par la psychanalyse. Significations en ce qui concerne le sexe pour chacun d’entre nous, tandis que ceci aurait dû être laissé aux individus, à la société, à la culture et non pas à l’État. L’exemple de la prostitution est dans ce sens très éclairant. Significations en ce qui concerne ce qui est sexuel et ce qui ne l’est point limitant de ce fait les horizons des possibles ou bien qualifiant comme sexuel ce que les individus ne qualifient pas ainsi. Donc la seule manière de pouvoir penser à l’existence d’un état qui n’impose pas des normes sexuelles est qu’il cesse d’imposer des droits et des obligations au nom du sexe et donc qu’il emploie d’autres catégories pour interdire ou autoriser certains comportements.

 

Claude Esturgie

En tout cas ,il y a dans votre conclusion une très belle phrase que j’ai retenue et dont j’aimerais faire, si vous le permettez la «morale» de l’histoire : «La liberté sexuelle pourrait donc être conçue comme la liberté de créer du sexuel là où les autres ne le voient pas».


Merci encore à vous Marcela Iacub, vous nous avez donné beaucoup «de grain à moudre».


Je rappelle que nous aurons tous le plaisir de vous entendre à nouveau lors de notre congrès du 26 Octobre 2007 en Conférence Magistrale sur le thème «Violences sexuelles, ça suffit !» Pour ceux de nos lecteurs que cela intéresse, je signale qu’ils peuvent retrouver l’intégralité de votre intervention du mois de Janvier sur le site de l’Académie des Sciences sexologiques*.

 

 
* http://www.sfscsexo.com/ puis « présentation de la SFSC »
puis « Académie des Sciences Sexologiques ».



Claude ESTURGIE
Président de l’Académie des Sciences Sexologiques.

 

Retour