POINT
D’ÉTAPE
A la fin de l’année 2006, 2100 femmes excisées ont été opérées selon
la technique du double lambeau cutané, selon une technique reproductible
depuis huit ans et publiée en 2004 et en 2006. L’expérience a débuté
il y a 25 ans, au retour de missions d’évaluation en Afrique sub-saharienne
pour le compte de l’organisation mondiale de la santé.
On estime à 135 millions le nombre de femmes qui ont été victimes d’une
mutilation sexuelle rituelle.
Bien qu’interdite par un nombre croissant de pays, cette pratique perdure,
source de séquelles psychologiques, anatomiques et fonctionnelles.
Autant les complications urologiques, gynécologiques ou obstétricales
de l’excision ont été étudiées et peuvent faire l’objet d’une prise
en charge chirurgicale maintenant bien décrite, autant la perte de la
fonction clitoridienne a été jusque-là peu investie.
Nous avons mis au point une technique de réparation chirurgicale du
clitoris, réparation pour laquelle nous rencontrons une demande croissante.
De plus en plus de chirurgiens vont devoir s’impliquer dans cette prise
en charge et il nous paraît indispensable de présenter les résultats
obtenus, tant anatomiques que fonctionnels.
Une série de 453 cas complètement évalués avec un recul de plus de six
mois a fait l’objet d’une publication récente avec Christine Louis Sylvestre.
Toutes les patientes opérées entre 1992 et 2005 ont été incluses dans
cette étude prospective. Elles avaient toutes eu des mutilations de
type II (excision du capuchon
et du gland avec une partie plus ou moins grande des petites lèvres)
ou III (infibulation : excision d’une partie plus ou moins grande des
organes génitaux externes avec suture plus ou moins étendue des deux
côtés entre eux) de la classification de l’OMS.
Lors de la consultation préopératoire, l’intervention a été expliquée
avec des photographies du résultat final.
La gêne fonctionnelle préopératoire a été évaluée selon deux axes :
douleur dans la région clitoridienne et retentissement de la mutilation
sur le plaisir pendant l’acte sexuel.
Évaluation préopératoire du retentissement de la mutilation chez 453
patientes
Douleur
Pas de douleur 220 (49 %)
Gêne légère pendant RS 97 (21 %)
Douleur modérée pendant RS 78 (17 %)
Douleur forte à intolérable pendant RS 38 (8 %)
Douleur en dehors des RS 17 (4 %)
Plaisir clitoridien
Jamais 173 (38 %)
Sensation discrète 94 (21 %)
Plaisant sans orgasme 171 (38 %)
Orgasme restreint par la mutilation 8 (2 %)
Orgasme sans restriction 2
Les douleurs sont de deux types : douleurs observées lors de toute mobilisation
(à la marche par exemple), liées à la fixité du moignon clitoridien,
et douleurs pendant les rapports.
Celles-ci sont liées d’une part au contact sur la zone cicatricielle
et d’autre part à la mise sous tension de la région lors de certaines
positions (comme la position du missionnaire avec cuisses en hyper flexion).
En ce qui concerne le retentissement sur le plaisir, nous avons distingué
les patientes qui avaient des sensations clitoridiennes discrètes, celles
qui ressentaient des sensations plaisantes sans orgasme, celles qui
bien qu’obtenant un orgasme le pensaient inférieur à ce qu’il aurait
pu être, et celles qui pensaient avoir un orgasme clitoridien normal.
TECHNIQUE
Nous avons déjà décrit l’intervention lors d’un article
préliminaire :
Brièvement, la peau couvrant le moignon clitoridien est
réséquée, le moignon est saisi, puis le ligament suspenseur du
clitoris est progressivement sectionné de manière à ce que
l’extrémité du clitoris soit largement mobilisable. (Images 1,
2,3) Cela sépare le moignon de
son adhérence pubienne, le ramenant en bas et en avant.
L’extrémité est progressivement libérée du tissu cicatriciel en
réséquant les couches scléreuses jusqu’à mettre à nu le tissu
sain. (Image 4) Le néo gland ainsi dégagé est fixé en position
physiologique par un hémi
surjet inférieur prenant largement la sclérose et la souspeau de
l’extrémité inférieure de l’incision cutanée initiale.
(Image 5) Un surjet prenant le périoste et interposant les deux
muscles bulbo caverneux au-dessus du gland prévient sa
réascension. La partie supérieure de l’incision cutanée est
ensuite suturée en deux plans. (Image 6) Les patientes ont été
revues à j15, j45, puis quatre à six mois après l’intervention
et, pour certaines seulement, encore plus à distance. Le
résultat anatomique postopératoire a été jugé par le chirurgien
à l’aide d’une échelle allant de 0 à 5, chaque note
correspondant à une description anatomique.
RÉSULTATS
Évaluation des 453 patientes, six mois après l’intervention
Anatomie
du néo clitoris
Pas ou peu de changement 3
Palpable mais non visible 50 (11 %)
Saillie clitoridienne visible 135 (30 %)
Gland exposé sans capuchon 168 (37 %)
Proche de la normale 97 (21 %)
Le résultat fonctionnel a été évalué par l’interrogatoire en six catégories.
Douleur, pas de plaisir 1
Gêne légère 13 (3 %)
Petite amélioration, pas de douleur 84 (19 %)
Réelle amélioration sans orgasme 146 (32 %)
Orgasme clitoridien parfois 130 (29 %)
Orgasme clitoridien parfois 130 (29 %)
Sexualité clitoridienne normale 65 (14 %)
Une couverture cutanée excessive survenant progressivement à distance
est déplorée par 7 % des patientes alors que l’aspect postopératoire
initial les satisfaisait.
Cela a concerné surtout des patientes obèses et semble favorisé par
un excès d’activité physique précoce.
L’âge moyen au moment de l’excision était de 5,4 ± 4,15 ans (extrêmes
trois mois à 20 ans). L’âge moyen au moment de l’intervention réparatrice
était de 29,65 ± 7,6 ans (extrêmes 18 à 63 ans Dans tous les cas, l’hospitalisation
a été de 24 heures. L’intervention a toujours duré moins de 45 minutes,
et toutes les patientes sont sorties le lendemain de l’intervention.
Les complications précoces (dix premiers jours) comportent 21 hématomes,
32 lâchages de suture, 49 pertes sales ou purulentes, 5 cas fortement
douloureux. Les lâchages de suture requièrent uniquement des soins locaux
lorsque seule la peau est concernée. Sur les huit cas repris, six l’ont
été dans un hôpital proche du domicile, où la patiente avait consulté
en urgence et où le chirurgien n’était pas familier de ce type d’intervention
et de ses suites. En ce qui nous concerne nous n’avons effectué que
deux reprises qui ont consisté à rapprocher les muscles bulbo caverneux
dont l’adossement avait lâché, provoquant une réascension du clitoris.
Deux des huit reprises ont nécessité une hospitalisation, les autres
ont pu être réalisées en ambulatoire sous anesthésie locale. Dans aucun
cas le résultat esthétique final n’a été altéré.
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Les hématomes se résorbent spontanément le plus souvent, et nécessitent
une évacuation chirurgicale dans moins de la moitié des cas. Seuls deux
cas ont nécessité un réel geste d’hémostase, les autres ont simplement
été évacués, sans drainage. Certaines patientes signalent des pertes sales
qui nécessitent des soins locaux. Une antibiothérapie est prescrite uniquement
en présence de signes généraux (fébricule dans 60 % des cas). Nous n’avons
relevé aucune complication tardive hormis, dans quatre cas, des cicatrices
sensibles à quatre mois. Ce symptôme disparaît dans tous les cas à un
an.
DISCUSSION
Notre expérience sur 453 patientes maintenant complètement
évaluées avec un recul d’au moins six mois, montre que la
réparation du clitoris telle que nous l’avons mise au point est
une technique facile, pratiquement sans complication, et donnant
d’excellents résultats. Les
complications sont mineures (hématome, lâchage de suture, fièvre
modérée) et nécessitent rarement une réhospitalisation et encore
moins souvent une reprise chirurgicale. De manière
surprenante il y a très peu de douleurs prolongées
postopératoires (quatre cas sur
453) alors que nous nous enquérions systématiquement et
spécifiquement en postopératoire de L’existence de cette
complication tardive. Cela est peut-être dû à la
bénignité relative de cette douleur par rapport à celle
ressentie pendant l’excision ou à celle séquellaire de la
mutilation. Avant toute analyse des résultats, il est important
de rappeler quelles sont les motivations de ces femmes. Lors
d’une précédente étude (nous avions
montré que les raisons pour lesquelles elles souhaitaient
l’intervention étaient principalement la recherche de l’identité
féminine rattachée au clitoris (100 % des
patientes évoquaient ce motif et estimaient avoir perdu cette
identité), ainsi que les dysfonctionnements sexuels (signalés
par 90 % d’entre elles). La douleur pendant les
rapports, voire en dehors, était un motif moins évoqué, présente
cependant à l’interrogatoire chez environ la moitié d’entre
elles. Les résultats anatomiques sont très
satisfaisants avec une restauration du massif clitoridien (au
minimum de son volume) dans 87 % des cas. Il y a à cela deux
raisons : Tout d’abord, bien que nous leur ayons
systématiquement montré des photographies de vulve non mutilée,
elles ont nécessairement une idée moins précise que le
chirurgien du vaste éventail des différents
aspects normaux du clitoris et de son capuchon.
Par ailleurs, nous nous sommes rapidement aperçus au début de
notre expérience que ce que ces femmes recherchaient n’était pas
tant un aspect normal, qu’un clitoris proéminent et très
visible. À ce titre, il faut signaler que les phénomènes de
cicatrisation et d’épithélialisation spontanée durant les
premières semaines tendent à enfouir le néo gland clitoridien.
Il faut en tenir compte lors de l’intervention de manière à ne
pas obtenir
à distance un résultat trop discret qui, bien qu’anatomiquement
satisfaisant pour le chirurgien, pourrait être décevant pour la
patiente (7% des cas). Si le fait de laisser
en fin d’intervention un néo gland très exposé ne suffit pas à
prévenir cette évolution, il faut, dès le début du phénomène de
cicatrisation excessive, appliquer des
dermocorticoïdes pendant quelques jours. En ce qui concerne les
résultats fonctionnels, on sait depuis les études sur les
clitoridoplasties des ambiguïtés sexuelles ou sur la chirurgie
du transsexualisme que la sensibilité clitoridienne est
récupérée dans les six semaines pour
peu que l’on respecte le pédicule vasculo-nerveux sagittal
dorsal. C’est la raison pour laquelle nous recommandons, lors de
la section du ligament suspenseur, de rester
toujours très près de l’os et donc à distance de ce pédicule. La
résection du tissu cicatriciel scléreux, qui permet d’exposer un
tissu sain, est aussi un élément fondamental
de la restauration de la sensibilité clitoridienne.
Chaque fois que l’analyse histologique des tissus réséqués a été
demandée, l’anatomopathologiste a pu constater que le tissu
clitoridien sain situé au contact de
la partie scléreuse du moignon (partie que nous réséquons)
contenait des neurones sains, susceptibles de restaurer la
sensibilité du néo gland. Moyennant ces deux précautions
(section du ligament à distance du clitoris et résection de la
sclérose), nous avons pu constater à l’interrogatoire une
restauration de la sensibilité en quelques semaines. Nous avons
pu remarquer dans notre population l’attachement à l’idée de
restauration de l’organe perdu, cet organe étant lui-même lié au
sentiment d’identité féminine. Il s’agit de la motivation la
plus évoquée chez les femmes les plus âgées de notre série
(jusqu’à 63 ans). Cela souligne bien la dimension psychologique
de l’intervention, en dehors même de
toute récupération de la fonction clitoridienne. Le
retentissement psychologique de la mutilation peut en effet être
majeur.
EVOLUTIONS RÉCENTES
Depuis deux ans, nous avons systématisé et appliqué une
stratégie de prise en charge et de reconstruction - De toutes
les mutilations associées - Des complications post-excision
C’est ainsi que la chirurgie reconstructrice des petites lèvres
est systématiquement effectuée dans le même temps, il s’agit -
D’une désinfibulation vraie dans près de 20% des cas - D’une
reconstruction de l’amarrage labial supérieur dans 30% des cas
Ces cas sont très fréquents et font l’objet d’une forte demande.
Dans les cas graves, il y a disparitions pure et simple des
nymphes. Une méthode de reconstruction d’un volume plastique sur
injection d’acide hyaluronique est en cours d’expérimentation
depuis 18 mois et semble très prometteur. (Image 7 )
Sont bien sûr effectuées dans le temps préalable à la
reconstruction clitoridienne, le traitement des complications de
l’étage antérieur :
- Ablation des kystes skèniques
- Traitement des formes pseudo-tumorales
- Cicatrices chéloïdes
- Abcès et corps étrangers
Enfin, le périnée postérieur est très souvent atteint et il faut
- Reconstruire les fourchettes éclatées
- Traiter les béances vulvaires.
- Reprendre des cicatrices douloureuses
Sur le plan de l’amélioration du pronostic fonctionnel, nous
avons débuté un protocole d’évaluation de la sexualité pré et
postopératoire utilisant le questionnaire FSFI.
La surcharge méthodologique est considérable, mais c’est la
seule voie menant à une relecture crédible et à la progression
de la technique.
En conclusion, cette technique simple donne de bons résultats et
répond à une demande fondamentale de ces femmes mutilées. Il
faut insister sur la nécessité d’apporter
une information très précise concernant le résultat esthétique
qui va être obtenu et le délai nécessaire à la récupération
fonctionnelle.
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