Il est surprenant de constater à quel point un de nos
modes d’expression incontournable et aussi le plus universellement utilisé,
est aussi aujourd’hui le plus contesté. Je veux parler de l’apparence,
qui a comme traduction directe l’image de Soi.
Nous vivons, entend-on dire, dans une civilisation de l’image, «le culte
du corps», «la dictature de l’apparence».
Cette contestation vient de gens qui s’expriment eux-mêmes au travers
de comportements et d’apparences, reflets de leurs états psychiques intimes.
Et il est bien difficile de faire autrement, si l’on se réfère, aux termes
du philosophe Berkeley, pour qui : «être, c’est être perçu».
L’apparence est faite d’une infinité de petits détails, les uns liés au
physique : État cutané, carnation, taille, poids, phanères,
D’autres, au revêtement de l’enveloppe physique :
Vêtements, coiffures, bijoux, chaussures, tatouages, parures
D’autres enfin relèvent des comportements :
Agressivité, séduction, compétition, désespoir…
C’est sans doute là qu’on entre de plain-pied dans les univers intérieurs.
On n’échappe pas à l’apparence, parce que l’apparence, c’est la représentation,
l’émission de l’image de soi, faute de quoi, on disparaît. L’absence d’apparence
correspond à la néantisation de l’Être.
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LES TROIS IMAGES DE SOI. |
Le
terme «Image de Soi» recouvre trois sens auxquels on peut donner
trois noms différents :
1°) L’image objective, c’est celle que
capte l’appareil photo, c’est l’image réelle de l’objet, c’est
celle qui représente la Vérité à l’état pur, c’est l’image
authentique, incontestable, inaltérable. Pour des raisons de
commodité, nous l’appellerons l’IMAGO.
Cette IMAGO est à bien différencier de celle que définit S.
FREUD dans le cadre psychanalytique (image symbolique accordée à
une personne avec la puissance qu’on rattache à ce symbole.)
Aussi simple qu’en paraisse la définition, elle est
extraordinairement fragile et mouvante pour ne pas dire
improbable et instable, en effet elle est soumise à deux aléas :
Le temps et la perception.
Le temps, parce que cette image est soumise à des changements
permanents, à des infinités de modifications successives et
souvent imperceptibles mais qui peuvent se révéler essentielles.
Or, l’image objective, dont nous parlons, est le prélèvement au
hasard, d’un exemplaire au sein d’une infinité d’images
successives qui correspondent si l’on veut bien, à des
suspensions du temps, à des «arrêts sur image». C’est l’image
scanner d’une «tranche de Soi»
Malgré tout, dans la vie, il n’existe pas de rupture dans le
temps, c’est un continuum et cet arrêt ne peut être
qu’artificiellement décidé et défini. Il faut donc en conclure
que l’Imago ne peut être qu’une construction virtuelle, basée
sur un aspect défini à un temps T1, et qui sera une approche
probablement objective en se réservant quand même un epsilon
d’erreur, lié à la différence entre le virtuel et le réel.
Autrement dit, l’objectivité de l’image ne peut en aucun cas
être liée à sa permanence mais bien plutôt à sa rémanence.
La perception, qu’elle soit
sensorielle ou instrumentale, va participer à l’objectivité de
l’Imago. L’appréhension instrumentale a comme principal intérêt
de pouvoir perfectionner l’instrument jusqu’à une
quasi-perfection (moins l’epsilon déjà évoqué), et puis il
permet la conservation de l’image à un instant donné qu’il va
être précieux de noter et d’associer à notre image :
Il s’agit de telle personne, à telle date, à telle heure et à
tel endroit. Ainsi définie, elle n’est à nulle autre pareille.
La perception sensorielle par contre peut faire subir des
epsilon beaucoup plus importants, associés à des charges liées à
l’affect et il est clair qu’alors on est totalement en dehors
d’une image objective de soi.
On peut ainsi dire à la suite de Kant, «nous ne connaissons des
choses que ce que nous y mettons». Autrement dit, l’image est
quelque chose de perçu d’une certaine façon et sur laquelle nous
projetons notre manière de voir les choses, à travers un prisme,
notamment culturel, mais aussi psychologique.
Si l’on se situe dans une vision Platonicienne, la Vérité de
l’être se situe au niveau du modèle et non pas de son image,
puisqu’elle est pervertie par la perception.
Suivant le cas, il peut s’agir soit de la perception de l’image
que chacun a de lui-même, ou bien de la perception que les
autres ont de vous-même.
2°) L’image que l’on a de soi : l’IMAGIS
Marque l’écart existant entre l’image de la photographie (ne
parlons pas du miroir, car l’image en est déjà inversée), et
l’image corticale, correspondant à la cartographie des aires
sensorielles de notre cortex cérébral, forgée et renforcée par
l’ensemble des appareils perceptifs.
On pourrait encore jusqu’à là rêver d’une certaine objectivité
de l’image, mais, le croisement des images entre hémisphère
droit et hémisphère gauche, les connexions profondes avec les
aires visuelles, auditives gustatives et olfactives, les
connexions mystérieuses avec notre cerveau archaïque et
notamment avec le non moins mystérieux rhinencéphale, le cerveau
limbique, siège de nos émotions, toutes ces connexions inconnues
qui nous mettent en relation avec notre enfance, notre culture,
nos parents, notre vécu récent ou ancien, tous ces liens
immédiats vont stimuler notre affect et créer des distorsions de
l’image en positif ou en négatif, qui vont nous éloigner
d’autant de l’image objective.
Par contre, l’équilibre et le bien être demandent que ces deux
images ne soient pas trop éloignées l’une de l’autre, sous peine
de ressentir une grande souffrance, qui, si elle devient
permanente, peut conduire au stade de pathologie névrotique,
voire psychotique, telles qu’on les retrouve dans les états
border line, ou dans les schizophrénies avérées.
Toute la difficulté consiste à appréhender au mieux l’image que
les autres ont d’eux-mêmes, à partir de leur témoignage, de
l’image objective, et de….
3°) L’image que les autres ont de vous : L’IMAGINIS
Cette dernière est sans doute la plus complexe et la plus
insaisissable des trois.
Outre le fait qu’elle soit liée chez le spectateur à tous ses
affects, son vécu, ses antécédents, elle va, c’est bien évident,
être différente pour chaque spectateur, il y a donc autant
d’images que les autres ont de vous que de gens qui vous
regardent.
En théorie seulement, car on peut faire une sorte de moyenne des
points communs entre ces diverses perceptions.
Il se dégage donc de cette description de l’image que les autres
ont de vous deux qualités fondamentales et qui régissent très
largement les relations inter humaines et la communication, je
veux dire :
- la subjectivité totale et la plasticité
- l’interactivité
Et c’est dans l’interactivité de l’Imago, de l’Imagis,
et de l’Imaginis, que l’apparence a un rôle primordial,
puisque ce sera l’outil de l’interactivité, qui pourra aller
jusqu’à la manipulation.
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LA SYMBOLIQUE DE L’APPARENCE. |
Ainsi la symbolique de l’apparence relève du jeu
subtil et des rapports complexes qui s’établissent entre l’Imago,
l’Imagis et l’Imaginis.
La vision d’une image peut se faire de deux façons :
- soit sous un angle synthétique, et elle est alors
immédiatement rattachée à un ensemble de symboles
- soit sous un angle analytique, et l’on peut au mieux alors se
rapprocher de l’Imago, de la Vérité.
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1°)
L’apparence est habituellement le reflet
- d’une identité : ethnique, sociale,
religieuse, ou culturelle
- et d’un état psychique.
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A)
La symbolique identitaire
est très importante, elle a l’avantage de laisser
planer peu de doute habituellement sur son
interprétation. Ceci est tellement vrai que l’on a
fabriqué des stéréotypes et que ces stéréotypes sont
utilisés pour décrire, stigmatiser, sanctionner
certaines catégories sociales ou ethniques.
Quelques exemples de symboles identitaires ethniques
liés à l’apparence :
- les scarifications rituelles,
- les vêtements folkloriques et traditionnels,
- certains tatouages ( Maoris)
Il est sans doute inutile de rappeler les symboles
identitaires religieux, qui sont tellement forts,
qu’il a été jugé nécessaire en France d’établir une
loi sur leur port à l’intérieur des établissements
scolaires, qui a été ressenti comme une atteinte ou
un danger pour la laïcité, pilier de notre tradition
républicaine.
L’apparence est aussi, bien souvent, l’occasion de
se démarquer dans une identité sociale, par le port
de vêtements spécifiques surtout.
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B)
L’apparence reflet de l’état
psychique est une sorte de truisme, en effet, la
façon dont on s’habille le matin reflète l’état dans
lequel on s’est réveillé, même si ce n’est pas le
seul critère.
La tenue de deuil évoque bien l’état intérieur dans
lequel on se trouve, et il est probable que
l’apparence a aussi une influence sur l’état
psychique. En dehors des vêtements, les
comportements, les mimiques et même les rides vont
traduire (ou trahir) notre état psychique. |
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2°)
L’apparence est alors outil
Tout
le monde sait aujourd’hui que l’on ne se présente pas à un
entretien d’embauche mal rasé, avec une tache sur son col de
chemise et avec des cernes sous les yeux.
Il existe des organismes spécialisés dans la transformation de
l’apparence dans un sens plus positif. Pour être plus positif
encore, il est de bon ton d’en changer le nom : l’apparence
devient le «LOOK». Ceci traduit bien l’engouement qui existe
actuellement pour ce jeu social quasi universel du «montre moi
qui tu es» et «devine qui je suis»
La séduction dépasse les relations affectives et déborde
largement sur la vie professionnelle, notamment en matière
commerciale, et l’on sait que beaucoup de professions ont au
moins un aspect commercial.
La recherche d’emploi par exemple est une forme de «vente» de
soi-même.
A ce moment, tous les moyens sont bons pour agir sur les
trois images de soi.
Dans une transaction au sens large (vente, embauche, engagement
politique, séduction….) la finalité est l’optimisation de l’Imaginis,
cette image que l’Autre a de vous. Or l’Autre précisément n’a de
cesse que de déjouer la supercherie et de deviner quel est l’Imago,
«la Vérité vraie».
Quant à vous, vous ne disposez pour agir que de votre Imagis,
cette image que vous avez de vous-même et qui, vous l’espérez,
correspondra au mieux à celle que vous souhaitez communiquer.
Dans la majorité des cas, nous vivons en établissant une
harmonie entre ces trois images de Soi, mais si ce n’est pas le
cas, apparaissent des tensions internes et des tensions entre
Soi et les Autres. Ces dysharmonies peuvent être tout à fait
temporaires et exprimer seulement «l’humeur du jour».
Mais il est clair que si, au cours des années, la majorité des
Transactions aboutit à un échec, c’est que l’adéquation des
trois Images de Soi est déficiente, et il faut apprendre à y
remédier.
Si la plupart du temps, cette correction est intuitive et
correspond, comme l’enseignait Claude Bernard, à une
connaissance (de Soi en l’occurrence) par approche successive,
il arrive aussi que cette approche ne se fasse pas ou qu’elle ne
soit pas efficace pour des quantités de raisons qu’il est
impossible d’étudier ici, et c’est là que peuvent intervenir des
aides extérieures. Parmi ces aides extérieures, il faut citer :
Les psychothérapeutes qui
vont travailler sur l’Imagis du sujet.
Une image de Soi forte et positive, (sans aller jusqu’à
l’hypernarcissisme) semble nécessaire. On ne peut pas présenter
un Imaginis positif en vivant un Imagis négatif.
Par contre, le renforcement de l’image de soi n’est pas toujours
suffisant, notamment quand il existe une altération de l’Imago,
une authentique altération du modèle, et c’est à ce stade que
peuvent intervenir :
Les techniciens médicaux au
premier rang desquels les chirurgiens plasticiens ou
esthéticiens, dont l’action ne résulte que de l’échec de tout
autre technique, mais dont le rôle est parfois fondamental.
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CONCLUSION |
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Il ne fait aucun doute que l’apparence est le
reflet, la traduction de nos états d’âme, de nos préoccupations,
de nos tristesses et de nos colères. Au cours de la vie, cette
traduction va évoluer considérablement :
Dans l’enfance, elle n’est que la traduction de ce que sont les
parents
Si bien qu’à l’adolescence, l’apparence, symbole d’identité, est
d’autant plus marquée que le souci de distanciation vis-à-vis de
l’identité parentale est affirmé, et comme on retrouve la même
revendication chez une majorité d’adolescents, cela conduit à
des attitudes souvent identiques et du coup identitaires.
A la crise de l’age adulte, l’action sur l’Imago et la
manipulation de l’Imaginis sont des occupations
prioritaires qui traduisent la qualité et l’intensité des
relations sociales.
Quant à la relation du sujet âgé avec son apparence, elle
traduit bien souvent son intérêt, ou son détachement progressif,
des préoccupations d’ici-bas, autrement dit sa relation avec la
mort. |
Docteur Xavier LATOUCHE
Paris.
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