Détour sur l’actualité :
Tribunal de grande instance de Bressuire — Juge des affaires Familiales — janvier 2000. Un
droit de visite accordé à l’ex-concubine
de la mère des enfants- reconnaissance du statut de « seconde mère »
Le N° 12 du « Dalloz 2000 » commente ce cas :
« Le juge doit seulement déci-der si, en l’état des éléments dont
il dispose, la demande est conforme
à l’intérêt de l’enfant. En l’espèce
la demande émane de l’ex -concubine
de la mère des enfants
dont elle est la marraine civile et
qu’elles a élevés avec sa compagne.
Elle s’est largement impliquée
dans la vie quotidienne et
l’éducation des enfants et la
volonté des parties était bien de
lui conférer le statut de «seconde
mère». Des sentiments affectifs se
sont développés entre la demanderesse
et les enfants pendant une
vie commune. Ces éléments
caractérisent les circonstances
exceptionnelles qui permettent
d’accorder un droit de correspondance
ou de visite à d’autres personnes
parents ou non. (Art 371-4 du c. civil).)
Remarque I : Le rapport entre
sexualité et procréation
Il existe depuis quelques
décennies une déliaison entre la
sexualité et l’engendrement.
Depuis l’avènement des contraceptifs
oraux, nous ne faisons
plus les enfants au hasard.
Mais plus important encore,
est la possibilité qu’offre la science
(les sciences de la vie) de faire
des enfants même quand on ne
peut pas. Je pense aux techniques
d’Assistance Médicale à la
Procréation, aux techniques de
diagnostic pré-implantatoire
(longtemps proscrit en France
alors qu’il se faisait dans des pays
voisins). (Un enfant quand on
veut comme on veut).
Ainsi au problème posé par
les sexualités non procréatives
nous pouvons répondre par des
procréations non sexuelles. Je
pourrais dire de façon provocatrice : « c’est la science qui fait les
enfants ».
Et si la science échoue reste
bien sûr les démarches d’adoption.
Le droit français venant
compliquer un peu les choses : un
couple de concubins peut avoir
recours aux techniques d’AMP
mais pas à l’adoption ; une personne
seule peut adopter mais ne
peut avoir l’espoir d’une IAD (ce
n’est pas le cas dans tous les pays).
Remarque II : Sur la famille
La famille est une construction,
non seulement dans la réalité
de son quotidien, mais également
dans sa dimension historique.
Ces familles qui tous les
jours se construisent sont aussi les
témoignages des sociétés qu’elles
constituent et qu’elles façonnent.
Le mouvement féministe a
été déterminant dans l’émergence
de modifications fondamentales
qui vont toucher la famille et au
delà les rapports entre les sexes,
mouvement ne se limitant pas à
mon sens à ce qu’on a pu désigner
par la libération sexuelle.
En même temps que la
femme se réapproprie son corps,
elle contribue à poser le désir au
centre du couple et comme élément
fondamental du groupe
familial. Le désir devient l’organisateur
de l’union et non plus les
contingences socio-écono-miques,
patrimoniales, raciales,
confessionnelles… que sais-je ?.
Le couple relève bien alors du
domaine strictement privé et de
la liberté individuelle. Mais dans
le même temps, par l’émergence
de cet individualisme auquel il
concourre, le désir institue la fragilité
des schémas traditionnels
familiaux hérités du siècle précédent ; en France, 1 couple sur 3
divorce, 1/3 des naissances se fait
hors mariage, il existe une primauté
de la parentalité sociale sur
la parentalité biologique ; un
père, une mère, des enfants ; ce
n’est plus l’unique réalité.
La conjugaison de ces 2 mouvements
liés dans leur interaction
: d’un côté une science qui
permet la déliaison entre sexualité
et procréation, de l’autre l’affaiblissement
des schémas familiaux
traditionnels avec comme organisateur
essentiel de l’union le désir,
favorise l’émergence de nouvelles
familles : monoparentales, éclatées,
recomposées, autant de
configurations qui débouchent
sur ce que la sociologue A. Cadoret nomme « les parentalités
plurielles ».
Je n’intéresserai plus particulièrement
à l’une d’entre elle : l’homoparentalité. Néologisme
mais surtout non sens pour beaucoup
tant il est vrai que le couple
homosexuel a, par nature, vocation
à être stérile.
Alors que vient faire ici la
parentalité ? C’est oublier les
recompositions familiales et la
plus grande visibilité de l’homosexualité,
c’est oublier le droit à
l’adoption pour une personne se
disant seule, c’est oublier la possibilité
de faire une insémination
avec sperme de donneur à 2 ou
3 heures de train de Paris, bref
c’est oublier la réalité de ces
familles là, et c’est oublier que le
désir d’enfant s’inscrit dans l’humain.
PASCAL ou la difficulté de rester
père
Je vois Pascal depuis 1998, 2
ans après son divorce. Il est mécanicien
auto, il vit depuis 3 ans avec
son ami Laurent qui a 10 ans de
moins que lui. Laurent travaille
comme maçon. Ils louent une maison
dans le village voisin de celui où
résident toujours les enfants de
Pascal : Luc et Éric âgés respectivement
de 9 et 7 ans. La séparation
d’avec son ex-épouse a été très
conflictuelle parfois brutale. L’enjeu
s’organise vite autour des enfants.
Pascal au début de le séparation en
a la garde un week-end sur 2, hors
la présence de Laurent, sur demande
de la mère qui craint une mauvaise
influence de ce couple particulier
sur les enfants. Ils connaissent
pourtant Laurent à l’époque. Pascal
préfère presque cet arrangement, il
n’a jamais expliqué le couple qu’il
forme avec Laurent aux enfants. Ca
le gène, il ne pense pas qu’ils comprennent,
il pense qu’ils ne sont pas
au courant et de toute façon sa vie
intime ne regarde que lui.
Courant 98, en fait peu de
temps avant qu’il ne consulte,
Pascal est convoqué à la gendarmerie.
Éric le plus jeune de ces
fils aurait révélé avoir subi des
attouchements sexuels de la part
de son père. Stratégie d’adulte,
quête identificatoire, expression
d’un désir oedipien chez l’enfant
ou réalité d’un acte pervers ?
Pascal a toujours nié les faits,
avec force. Il est bouleversé.
L’enquête pénale est ouverte.
Garde à vue, juge d’instruction,
expertise psychiatrique, mesure
d’assistance éducative pour les
enfants avec un droit de visite du
père qui ne devra s’exercer qu’un
Samedi par mois durant 3 heures
à un point rencontre.
Après 2 ans de procédure, le
juge d’instruction rend une
ordonnance de non lieu des chefs
d’agression sexuelle sur mineurs
de 15 ans par ascendant légitime
et de corruption de mineurs de
15 ans. Pascal est innocenté
Pour les enfants, la mesure de
protection est maintenue jusqu’à
nouvelle décision. Pascal voit
maintenant ses enfants un après
midi une semaine sur deux, toujours
hors de la présence de
Laurent. Pascal dit qu’il préfère. Il
dit qu’il a encore un peu peur.
ETIENNE ou la difficulté de se
dire fils
Il y a 3 mois Etienne passait
en correctionnelle pour des actes
de violence. C’était l’année
d’avant. Une période un peu
galère pour lui. Une scolarité
laborieuse. Il est dans une filière
professionnelle qui ne lui plait
mais n’a pas vraiment de projet.
Il traîne un peu trop avec des
gens qu’il dit peu fréquentables.
Puis il y a eu ce jour là
devant le collège. Il attendait
dans sa voiture avec un autre, la
sortie des cours et l’arrivée de sa
petite amie. Des jeunes du collège
sont passés ; des injures ; on ne
sait pourquoi. Ils sont sortis de la
voiture, couru après un type,
frappé ; son copain a sorti un
couteau rien de plus. Pour l’intimidation.
La victime s’en tire
avec des contusions et 8 jours
d’incapacité. Une plainte est
déposée ; Etienne écope de 2 ans
de retrait de permis de conduire et d’une
injonction de soin.
Etienne est arrivé dans la région à l’âge de
6 ans. avant il habitait la région parisienne et
vivait avec sa mère qui l’élevait seule. Il ne
connaît pas son père, juste son nom dit-il.
Depuis qu’il est ici il vit toujours avec sa mère
qui partage sa vie avec une femme qu’il aura
toujours du mal à dénommer ; il dira tantôt sa
marraine, tantôt sa tante. Sa mère est aide soignante,
sa marraine est infirmière. Elles se
connaissaient avant qu’il soit né. La famille
n’est pas grande ; sa mère est de l’assistance
publique, sa marraine a un frère l’oncle Yves
très strict. Et puis il y a mamie et papi les
parents de sa marraine. Pas de problème en
famille. C’est plus dur avec sa marraine qui
est plus sévère que sa mère, et pendant cette
période de galère il s’est souvent disputé avec
elle ; ça du être l’horreur pour elles deux dit-il
; il regrette.
Je vais suivre Etienne pendant 11 mois à
l’issue desquels il aura une remise de peine. Il
arrêtera son suivi peu de temps après. Il ne
pourra jamais réellement parler du couple lesbien
que forme sa mère et l’amie de celle-ci.
Tout au plus pourra-t-il me dire que sa mère
a le droit de mener la vie qu’elle veut, que ça
la regarde et que c’est bien comme ça. Il n’en
dira pas plus.
Ce premier jour où j’ai rencontré Etienne
j’ai voulu savoir ce que les jeunes du collège
avait dit pour le mettre tellement en colère.
«Ils nous avait traité de pédés. Ils ont dit : t’as
vu les enculés».
Je ne sais pas si l’histoire de Pascal et
d’Etienne est représentative de l’homoparentalité.
Elle est par contre significative. Ils parlent
de la même histoire ; celle d’une différence
stigmatisée. J’aime l’expression de Didier
Eribon «l’injure est un verdict», l’injure qui
désigne le stigmate.
L’injure internalisée chez Pascal s’exprimant
dans la culpabilisation de son orientation
sexuelle, dans l’impossibilité qu’il a de
signifier le couple qu’il forme avec Laurent à
ses enfants, les laissant probablement dans
une complète perplexité.
L’injure qui frappe Etienne, véritable écho
à la contamination du stigmate, lui qui reste
dans l’impossible dénomination de cette
autre mère.
Les différents travaux et témoignages qui
sont à notre disposition montrent une réalité
beaucoup plus paisible. Les études, le plus
souvent d’origine anglo-saxonne (les travaux
de Patterson de l’Université de Virginie) arrivent
à des conclusions rassurantes quant à la
capacité parentale des couples homosexuels et
quant au développement psychosocial des
enfants élevés dans ces familles. Notons que
ces études portent majoritairement sur les
familles de femmes homosexuelles.
Une première en France : une thèse traitant
de l’homoparentalité a été soutenue par
un confrère pédopsychiatre en Octobre à
Bordeaux et devrait faire l’objet d’une publication.
A partir d’un corpus de 58 enfants le
Dr NADAUD arrive au même type de
conclusion que les travaux déjà connus.
Une chose est sûre. Nous ne pouvons pas
faire à l’heure actuelle l’économie de telles
études ; ce serait nier une réalité qui est loin
d’être anecdotique. Les familles homoparentales
existent, elles sont plusieurs milliers en
France. Nous avons certainement à
apprendre d’elles à travers des études nécessairement
longitudinales qui devront prendre en
compte l’aspect hétérogène de ces populations
et la dimension transgénérationnelle.
Comment est-on enfant d’une famille
homoparentale masculine par rapport à celui
d’une famille homoparentale féminine ? Y-a-t-
il du reste une différence ? Quel parent
devient l’enfant d’un couple homoparental ?
Comment s’écrit la généalogie des petits
enfants d’un couple homoparental ?
Au delà des études statistiques, épidémiologiques,
au delà des batteries de tests d’évaluation,
nous devons rendre la parole à ces
parents mais aussi à ces enfants.
On peut sans aucun doute penser à des
effets retour sur nos conceptualisations.
N’oublions pas que nous construisons nos
théories psychodynamiques à partir de notre
observation et de notre écoute. Notre discipline
s’inscrit historiquement dans cet empirisme.
Tant de situations nouvelles doivent nous
obliger à une certaine prudence quant aux
avis qu’on nous demande de formuler.
Ne risquons
pas, au nom des théories, de projeter ce
qu’on sait du passé sur ce qui arrive maintenant.
Les théories sont le reflet de la réalité et
non le contraire. Autour de la parentalité et
de la filiation, à fortiori autour de l’homoparentalité
la parole des « psy » est convoquée. A
chaque grand débat de société autour de ce
sujet, à chaque avancée des sciences bio-médicales,
de façon récurrente donc est fait référence
à un ordre symbolique qui ne dépendrait
que du biologique et de la différence des
sexes, à un ordre symbolique posé comme un
ordre établi qui deviendrait ainsi de façon
totalement paradoxale tout à la fois transcendant
et naturaliste. Et à vouloir en faire un
ordre établi ne risque-t-on pas d’en faire un
ordre normatif ? Nos sociétés inventent du
symbolique et modèlent les normes. Le
couple hétérosexuel serait-il le seul garant de
cet ordre symbolique ? Notre filiation hétéro-sexuelle
la seule satisfaisante ?
Dans la famille d’Etienne il existe une
répartition des rôles, une triangulation est en
place et l’inscription dans une généalogie
semble claire (l’oncle, le papi, la mamie).
Peut-on dire pour Pascal qu’il est moins
homosexuel dans son couple hétérosexuel ? Il
me semble que dans nos réflexions nous faisons
souvent l’amalgame entre le niveau
manifeste et le niveau latent. Ainsi quand
nous parlons d’un couple hétérosexuel il s’agit
d’un couple manifestement hétérosexuel.
Nous savons, nous qui sommes à l’écoute de
ce niveau latent, que les choses ne sont pas
aussi claires. Dans le développement psychoaffectif
de chaque individu c’est bien ce
niveau là, latent, qui est déterminant dans ce
qu’il suppose des enjeux fantasmatiques des
représentations inconscientes.
Autant de questions qui montrent l’ampleur
d’un chantier digne d’intérêt autour
d’une question des plus fondamentales : la
filiation ?
Notre époque rend possible plein de projets
parentaux, plein de désirs d’enfants, plein
de désirs de famille et aucun de ces désirs là
n’est parfait.
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