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Les femmes, leurs désirs et leurs hommes
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Le 19° siècle a vu quelques femmes se battre pour une
égalité de droits, en fait une simple reconnaissance
sociale, et ne pas y réussir. Elles sont bien oubliées,
ces courageuses suffragettes, bravant la honte et la prison,
ridiculisées par la société et par leurs proches, mais
conscientes de l’ importance de leur combat d’avant-garde.
Mais personne ne prit en compte leurs désirs, et encore
moins leur désir, que des médecins anglais proposaient de
traiter par hystérectomie et/ou ovariectomie. Qu’était-ce
donc sinon une folie, cette « fureur utérine » des anciens, traduisant
et trahissant toujours la grande peur des hommes ?
Le 20° siècle a vu de nombreuses femmes se battre pour une
vie sexuelle qui n'ait pas pour seul but la reproduction, et y
réussir. Avec les deux grandes guerres mondiales, l’absence
des hommes et le travail des femmes et le droit de vote, une
évolution de la place des femmes se dessine, mais nullement
une révolution. Les changements vont se faire lentement
d’abord, rythmés par les « arts ménagers », moqués par les
films de Tati, écrits par Françoise Sagan, accélérés par les
découvertes scientifiques mais de plus en plus exigés par les
femmes. Est-ce à dire que la contraception a ouvert largement
la brèche, qu’elle a remodelé un paysage qui semblait
immuable et naturel ? Mais en fait, qu’a-t-elle changé ? La
tentation est grande de répondre par une pirouette, et de
lancer un “tout” empreint de satisfaction ou de frustration,
de plaisir ou de déplaisir, selon les genres et les idées. Et c'est
pourtant vrai, ou presque. Presque, car ce n'est pas si simple.
La contraception a certes toujours existé et les recettes abondent,
depuis la plus haute Antiquité, pratiquées par les
femmes et condamnées par les hommes, inefficaces parfois,
dangereuses souvent. L'aventure humaine n'avait rien d'un
choix pour les femmes car elles n'en avaient nulle part la
maîtrise mais seulement le risque. Leur pouvoir d'enfanter,
cette gloire, devenait pour beaucoup un incontournable
devoir, et surtout une défaite, celle de l'impossibilité de ne
pas procréer, ou plutôt de ne plus procréer. Seule la défense
de leur corps par la maladie ou même la mort leur accordait
répit ou repos. La longévité n'était l'apanage des femmes
que si elles survivaient à leurs couches et fausses couches, et
si, comme l'écrivait Balzac, leur beauté se fanait alors que leur âme était pourtant encore belle, c'était que la griffe des
grossesses était plus profonde et plus précoce que les griffures
du temps. Point n'est besoin de remonter si loin et les médecins de ma génération ont encore en mémoire ces
couples gâchés, ces femmes usées et aigries, et tous les
drames de l'avortement clandestin. Le Pr. Pinard, le grand
obstétricien français de l'entre-deux-guerres (quelle horrible
formule, et qui pourrait s'appliquer à ce dont nous parlons
ici !) pensait faire non de la littérature mais de la médecine
quand il écrivait “Une vraie femme ne devrait pas revoir ses
règles du jour de son mariage à celui de sa ménopause”.
Une «vraie femme» ? Tout le problème était sans doute
dans la définition de cette formule. Juridiquement mineure,
totalement dépendante de son mari, elle lui devait des
enfants à lui comme à la société. L'exigence était étatique et
sociale, familiale aussi tant qu'aucun autre rôle n'existait
pour les femmes, si ce n'est celui de bâton de vieillesse des
parents de la vieille fille. Fille de l'un puis femme de l'autre,
dans le seul but reconnu de devenir mère, elle avait ainsi sa
place dans l'éventail social, tributaire du bras masculin, de
ses bonnes fortunes comme de ses infortunes. Comme on
fait son lit, on se couche, dit la sagesse populaire, mais était-ce
jamais son lit à elle ? Où était l'individu femme, distinct de sa finalité procréatrice si démographiquement nécessaire
dans cet Occident dont la natalité baissait déjà dans les années 30 ?
Mais le monde a basculé, les femmes ont travaillé en usine
pour remplacer les hommes que la guerre enlevait ou tuait,
elles ont assumé des rôles traditionnellement masculins, et
en allumant leurs cigarettes sans le long fume cigarettes des
vamps, elles ont découvert qu'elles existaient. Elles avaient
respiré, avec les transformations majeures de la société, un
air plus riche qui les a un peu enivrées, comme un goût venu
d'ailleurs, du plus profond d'elles-mêmes, une bouffée de
désir. Oui, de désir, car c'est bien de cela qu'il s'agissait,
puisque cette liberté qu'elles attendaient c'était le droit à
une vie professionnelle mais aussi à une vie sexuelle. Le plaisir sans la peur, sans la sanction, une sexualité distincte de la procréation, celle
qui avait longtemps était réservée aux “créatures” et interdite à ces vraies femmes dont le nombre de grossesses éteignait vite
les ardeurs, comme celles de leurs époux d'ailleurs.
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Tous les moyens, y compris
ceux qui tuaient ou détruisaient, étaient bons pour y arriver, pour arriver à cette
ultime et seule maîtrise, une maîtrise de
l'après, de l'aval. Il a fallu attendre les années 60 pour que les femmes,
accompagnées de la médecine, possèdent enfin la vraie maîtrise, celle de la décision et non
de la conséquence, celle de l'amont. Avec l'aide de la médecine avant celle des
médecins. Le Conseil National de l'Ordre fait savoir en 1962 que “le médecin n'a aucun rôle à jouer et aucune
responsabilité à assumer dans l'appréciation des moyens anti-conceptionnels”. Aucun rôle à jouer, mais parfois des leçons
à donner en menaçant, pour leur bien, de tous les maux celles qui se risqueraient à la prendre, cette pilule, en
brandissant des épouvantails dignes des prophètes bibliques, de
la stérilité aux enfants anormaux, sans oublier le cancer, pour les punir par là où elles avaient péché. Le péché, il
revenait dans les discours des hommes politiques comme dans ceux du Café du commerce, car cette liberté n'engendrait-elle
pas forcément l'immoralité pour les uns et l'infidélité pour les autres ? La maîtrise que cette contraception sans
failles donnait aux femmes, il semblait qu'elle en dépouillait leurs compagnons. Qu'est-ce qui allait retenir les femmes au
foyer, dans une maison où sur son ordre, les assiettes et les couches de bébé se lavaient toutes seules. Mais oui, de bébé,
car l'idée de ne plus avoir d'enfant n'a jamais eu cours, mais bien de choisir d'en avoir, d'en choisir le moment et le
nombre. De choisir aussi l'homme père avec qui on ferait ce chemin, dans un désir partagé, désir des sens et désir des
sentiments.
La pilule a fait des vrais couples, des couples heureux, à
qui la maîtrise de leur fécondité a permis une vie
sexuelle épanouie, où l'homme était partie prenante et non
tiers exclus par la triomphante amazone que redoutaient certains.
Il est vrai que ce nouvel ordre des choses a été vécu
comme un désordre par une société où la virilité rimait avec
fertilité, donc par ce levier, avec toute-puissance. Pour tous
et toutes, il a fallu réapprendre à cohabiter, et à communiquer, accepter une certaine redistribution
des rôles, en redessinant le paysage sans nier le poids de cette histoire qui est la
nôtre, celle de l'humanité et de la Genèse, où la femme est celle par qui le scandale
serait arrivé. “ Croissez et multipliez ”, les Églises nous le rappellent, qui ne
sauraient aujourd'hui encore dissocier l'acte de chair de son but procréatif. Mais on ne
saurait oublier que la procréation médicalement assistée qui dissocie la sexualité et
la procréation dans le temps comme dans le corps, le cœur et la tête, est sans doute
le nouvel avatar du désir de grossesse et du désir d’enfant. Cependant en 1967, la loi
de 1920 est enfin modifiée et l'on peut penser que le législateur se rassure, ou se donne bonne
conscience, en transférant cette maîtrise sur le médecin. Il prescrira la pilule comme un produit hautement toxique et
à risque d'addiction, sur un carnet à souches, et non sans
autorisation parentale pour les mineures, alors jusqu'à 21
ans. D'aucuns ont qualifié cette attitude de mise sous tutelle médicale, mais y avait-il à ce stade d'autres ouvertures
possibles, ce n'est pas sûr, et cette lettre de créance décernée
à la contraception orale a dès lors permis aux femmes l'accès
au banquet de la liberté, même s'il leur fallait toujours montrer
patte blanche. Puis sont arrivées les années 70, et la loi sur l’IVG, et les femmes ont cessé de mourir de peur de
donner encore une vie. Et enfin, hier, la stérilisation a acquis
droit de cité. Peut-être peut-on tout de même parler de révolution
plus que d’évolution…
Bien entendu, le contrôle des naissances n'a pas tout
résolu, le droit à une sexualité heureuse ne la confère
pas automatiquement, le plaisir ne saurait devenir obligation ou performance, et la banalisation de l'acte sexuel est un effet
pervers faussement attribué à la seule contraception. Espoirs déçus, paradoxe d'une réussite étonnante, tout cela trouve
peut-être son origine dans notre société où tout va très vite,
où l'on veut tout et son contraire, où l'enfant devient un besoin et un droit, où les recherches sur l'infertilité s'entremêlent
avec les avancées du contrôle de la fertilité, où les médecins peinent à suivre les femmes, où les hommes
envient cette sollicitude et semblent avoir peur de ne pas être
«à la hauteur». L'impuissance (et ses traitements) est-elle
une réponse à cette nouvelle donne, ou plutôt la marque d'un grand désarroi? Mais voilà où la médecine a peut-être eu
un effet pervers: étudiant sous tous ses aspects la sexualité
féminine, ses temps et ses lieux, elle a -à juste titre? donné
aux hommes une occasion d'être troublés, peut-être même
fragilisés, par la complexité du désir féminin, et de ses
demandes à tous les étages du corps et du cœur. Alors, jusqu'où
pensent-ils devoir aller pour retrouver des femmes qui
ne leur parlent plus du tout d'égalité mais de droit à la différence,
donc de vraie liberté ?
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Une différence que l'on retrouve dans une approche
nouvelle de la contraception, car bien des femmes
vivent aujourd'hui la pilule comme une contrainte, ou encore
comme une entrave à la perception de leur corps. Elles lui
reprochent de masquer ou d'éteindre les signaux qui leur
disent leur féminité “Je ne sentais plus rien, j'avais l'impression
que mes ovaires étaient morts, quelle joie de sentir à
nouveau mon ovulation” m'a dit cette jeune femme à qui j'ai suggéré d'interrompre sa pilule après de nombreuses erreurs
de prise et d'oublis, qui étaient autant de déclarations d'intention.
Contrainte disent-elles aussi, ces jeunes filles nées
avec cette maîtrise de leur fertilité mais aussi avec cette exigence
vis-à-vis de la médecine qui leur doit tout ce qu'elle
peut, donc faire pour elle et pas seulement avec elle; la libérer tout à fait par un moyen quasi magique, comme ceux
dont rêvent les petites filles. Magie, vous avez dit magie, mais en reste-t-il dans notre ère de technicité, où les autoroutes
semblent destinées à véhiculer plus d'informatique que d'information,
où les satellites ont plus de rendez - vous que les amoureux, où la conversation cède la place aux massacres en
direct à la télé, où le médecin prescrit plus de pilules
calmantes
que de pilules contraceptives ? Est-ce que ce n'est pas
cela aussi que l'on reproche à notre éventail contraceptif, et notamment à notre fameuse pilule - qu'on nomme tout de
même la pilule dans toutes les langues - de n'être qu'une
contraception, efficace certes, mais seulement un moyen, et
non une fin ? Et après ce «grand chambardement» du
XX°siècle, les femmes, semble-t-il, n’ont pas fini de dire leurs
désirs aux hommes, et leurs exigences aux médecins. La science leur a prêté main forte, leur offrant la contraception.
Des médecins ont entendu, et reconnu la vie et ses désirs qui investissaient enfin leurs cabinets, qui en encombraient certains, mais qui s'y engouffraient avec l'élan de ce que d'aucuns
ont appelé «ce grand monôme patriarcal», mai 1968.
(P.F. Paoli). Et pourquoi ne pas être fiers, nous praticiens de
diverses obédiences, de ce rôle de passeur ? Alors, pour
paraphraser
Freud, que veulent-elles, ces femmes ? « La loi et la
coutume doivent donner à la femme beaucoup de droits
dont elle a été privée mais sa situation demeurera ce qu’elle
fut toujours, celle d’une créature adorée dans sa jeunesse, et
d'une femme aimée dans sa maturité » écrivait-il en 1883.
Et au XXI° siècle ? Elles veulent tout, dit-on ? Tout,
c’est-à-dire ? Le lave-vaisselle, les couches jetables, la
Smart ou le vélo, mais aussi l’attention et des attentions,
l’appréciation et des appréciations, et pourquoi pas des
places assises et des portes ouvertes. Certes, cela est dit avec
le sourire. En fait ce qu’elles attendent de la société, ce
qu’elles estiment justifié et indispensable, ce qu’elles désirent,
c’est la parité, le droit au travail mais aussi celui d’élever
leurs enfants (au pluriel bien souvent) toujours dans un
rapport de respect de la différence plus encore que d’égalité.
Et que désirent-elles de leurs hommes ? Une sexualité de
plaisir et de tendresse, dans le partage et non la performance
ou le jugement, selon son désir et celui de l’autre, et
pourquoi pas de l’amour, gage de qualité de vie ? Car la
sexualité, toile de fond indispensable à la survie de l'espèce,
est peut-être la forme de communication la plus ancienne,
celle par qui la socialisation est arrivée, l'inter corps avant
l'Internet, cet échange sur une autre toile.... Elle s'intègre
donc dans un ordre social qu'elle trouble toujours. Toutes
les sociétés connues se sont données pour tâche de la réguler
selon des structures plus ou moins identiques (prohibition
de l'inceste, mariage ou substituts, éducation), mais la
sexualité déborde toujours. Langage des corps dont elle
change les rôles, délicieuse et dangereuse, elle défraie la
chronique et effraie les institutions par une force fantasmée
résistante et irrésistible à la fois. Excès menaçants, légalités
menacées, cette permanente imbrication du sexuel dans le
social et inversement est considérée par les sociologues
comme un des aspects les plus typiques de la condition
humaine. Et la féminité, dans notre monde qui ne serait
même plus moderne mais déjà post-moderne? Les grandes
saisons de la féminité s'en sont-elles allées? Non, bien sûr, et
pourtant si, car elles sont vécues autrement. Sans doute la
différence fondamentale entre les genres est-elle dans ce
rythme lunaire qui engendre une plasticité du féminin, et sa
sensibilité au temps qui passe, à l'opposé du rythme linéaire
du masculin.
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Puberté, grossesses, ménopause scandent toujours
la vie de la femme par la présence/absence du sang,
mais l'approche actuelle de la fameuse «fatalité du fait féminin» en est transformée, comme la non moins fameuse
«période de vie génitale active». Et considérons aussi que
s'y ajoute, dans notre monde de sophistications techniques,
cette caractéristique des fécondations in vitro: séparer l'individuel,
la sexualité, du collectif, la reproduction mais aussi
de dissocier fécondation et conception dans le temps. Mais
dans notre XXI° siècle où tout paraît scientifiquement possible
et socialement permis ( !), la sexualité reste-t-elle encore
une affaire individuelle et intime? Dangereusement mise
à mal par un diktat de performance, n'est-elle pas soumise
au même terrorisme social que le corps de la femme? Être
jeune, mince et bronzée, voilà le visa indispensable pour le
monde des amours, mais sans doute aussi pour celui du travail.
L'homme y échappe encore, mais les sirènes des instituts
de beauté l'attirent de plus en plus, comme pour le
convaincre de se couler dans un même moule qui nierait les
différences. Dans un pamphlet récent, Eric Zemmour a écrit
«Avec une bonne volonté confondante, suspecte, malsaine,
les hommes font ce qu'ils peuvent pour réaliser ce programme
ambitieux: devenir une femme comme les autres. La
femme n'est plus un sexe, c'est un idéal.» Pour Gilles Lipovetzky, les femmes se sont finalement moins masculinisées
que les hommes ne se sont féminisés. Dévaluation par
les hommes eux-mêmes de l'idée de virilité? Est-ce cette
évolution qui rend les relations homme-femme si différentes,
les femmes inspirent-elles maintenant une autre peur
aux hommes ? La réussite de la « célibattante «, de la quarantenaire
triomphante la rend-elle prédatrice à leurs yeux,
est-elle un risque à courir plutôt qu'une chance à espérer ?
Certes, c'est un truisme de dire que la vie relationnelle
des femmes et des couples est aujourd'hui irréversiblement
modifiée, que les couples ne sont plus ce qu'ils
étaient, que genres et différences ne sont pas forcément là
où on les attend, mais comment mieux l'exprimer que par
cette « mise en situation » de J.D. Vincent: «Entre les instances
sublimes et la congestion des muqueuses, l'humain
n'a pas le choix: il aime avec tout son être, cerveau, hormones
et clair de lune compris» !
Et le titre du papier dans tout cela, me direz-vous, si
vous m'avez fait le plaisir de me lire jusqu'au bout?
Oui, le désir, etc... Justement, une fois satisfait, une fois
exaucé, qu'en est-il de ce désir? Rassurons-nous, la médecine
n'y sera pour rien, elle n'est pas là pour cela. Peut-être
devons avoir le courage de le dire et de le redire, plus nous
avançons dans la sophistication technique, moins nous
savons ce qui donne à la vie sa couleur et son goût, moins
nous comprenons l'alchimie des rapports humains. Mais je
vous le demande, même si la pilule n'est pas celle de la jouvence,
et même si être femme ou homme n'est pas toujours
simple, voudriez-vous vraiment d'une assurance-désir ou
d'un bonheur sur ordonnance ?
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Dr Michèle Lachowsky, Paris.
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Consultante en Gynéco psychosomatique, Maternité Aline de Crépy,
Service GYN-OBS. Prof. P. Madelenat CHU Bichat Paris
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