|
J’ai pris pour cela le support d’un cas clinique. Il s’agit d’un patient marié et père de deux
enfants qui m’a été adressé par un confrère. Je vais voir ce patient 15 fois au total sur 3 ans.
Il présente, dit-il, une impuissance avec une absence totale d’érection depuis un an. L’envie
est présente. En fait son histoire remonte à 20 ans alors qu’il consultait pour une EP
primaire pour laquelle il a consulté de nombreux sexologues et suivi la plupart des modes de thérapie
envisageables, sans succès. Il y a 5 ans il a également consulté un urologue pour sa DE
qui a réalisé un écho-doppler sans IIC.
L’urologue a conclue à une dysérection d’origine psychogène compte-tenu des troubles
anxieux du patient et de facteurs conjugaux conflictuels. Le patient est finalement mis
sous IIC (PG + papavérine) puis plus tardivement sous Sildenafil associé à des IIC de
prostaglandines mais avec des résultats médiocres. La partenaire a réalisé de son côté
une psychothérapie et ils ont aussi suivi une thérapie de couple.
Au cours des deux premières consultations je
note :
• Sa méfiance
• Son agressivité plus ou moins contenue
• Sa souffrance : il n’hésite pas à évoquer qu’il
a parfois songé au suicide, qu’il ne peut pas
envisager se passer de sexualité " Ne plus avoir
de relation sexuelle, c’est détruire ma vie ". Il y
a dans sa demande de " fonctionnalité " une
obstination à vouloir changer une réalité qui
est à l'origine d'une angoisse insoutenable.
Ça, c’est la façon dont je vous le raconte maintenant.
En réalité, je devrais plutôt vous le
présenter comme je l’ai vécu, c’est à dire :
• Je sens que je ne lui inspire pas confiance
• Je me sens agressé
• Ce que je perçois de sa détresse me touche.
Je suis donc d'abord submergé par ces émotions
là, ma pensée est figée, et c’est probablement
pour cela que je suis incapable d'élaborer
une stratégie claire de prise en charge
pour ce patient. Je suis d'autre part très circonspect
sur l’aide que je vais pouvoir lui
apporter :
Dans ces premiers méandres de la pensée à
l’action, c’est d’abord l’inaction, c’est à dire
l’impuissance de mon patient qui me paralyse,
qui paralyse ma capacité à penser. Et par
sagesse… ou par prudence je me prépare… à
l’impuissance.
Alors dans ces situations, j’ai mis en place
une parade : je réalise un examen clinique
rigoureux. On pourrait d’une certaine façon
parler d’activisme puisqu’il s’agit bien d’un
mécanisme de défense qui me permet d’éviter
d’être confronté à ma difficulté mais avec la
nuance que ce serait un activisme volontaire en
quelque sorte.
Dans ces cas, mon examen est encore plus
rigoureux qu’à l’accoutumé, et je m'attache
particulièrement à la précision de l’interrogatoire
sur la fonction sexuelle et à l’examen
clinique en essayant de rester vierge de toute
l’imprégnation qu’ont laissée mes différents
collègues. Ce n’est pas seulement un évitement de l’inéluctable (c’est à dire je ne suis pas
capable de le traiter) mais je conserve le souvenir
amer d’une erreur diagnostique entretenue
par les affirmations de mes précédents
collègues. Cela m'avait conduit à une léthargie
intellectuelle m’empêchant de reconsidérer
une hypothèse fausse alors que l’échec thérapeutique
persistant aurait dû me conduire à
me remettre en cause bien plus tôt. Persevere
diabolicum…
Le troisième rendez-vous consacré à l’examen
physique va s'avérer parfaitement normal sauf
l’interrogatoire qui m’apprend deux choses :
Que son père était impuissant et sa mère se
plaignait de ne pas avoir de relations sexuelles
Et la seconde chose, que des érections sont
bien obtenues sous IIC associée au Sildenafil
mais elles chutent rapidement dès que le
patient passe en position allongée. Cela
évoque donc fortement une fuite veineuse.
Dans un premier temps il y a donc eu une
phase où la pensée était inhibée ou parasitée
et il s'en est suivi une action détournée, quasi
stratégique.
Le deuxième couple pensée/action est relatif
à l’utilité d’explorer les dysérections. L’attente
des médecins est celle d’avoir un traitement
efficace quelle que soit l’origine de la dysfonction,
permettant ainsi de faire l’impasse
des explorations complémentaires et de traiter
d’emblée. Hors ce qui me pose question, c’est
ce que les médecins attendent du traitement.
Pour la dysfonction érectile, on a vu ce matin
dans la communication de Pierre DESVAUX
que les médecins ne se préoccupaient pas de la
réactivité à des stimuli c’est à dire niaient
l’autre, la partenaire. Outre l’intérêt médical,
comme cela a bien été souligné par Pierre, il
me semble que la détermination du champ
dans lequel le patient développe son trouble,
psychogène ou organique, modifie son rapport
à la dysfonction. Ainsi le seul fait de prouver
au patient qu'il a des érections nocturnes de
bonne qualité peut lui permettre d'accepter
l'idée d'une cause psychogène. Il n'est pas
non plus inutile pour le thérapeute que je suis
de connaître également mon champ d'intervention.
Alors suis-je dans l’abus ? Je ne sais
pas, mais je crois et je conçois la sexologie
comme une pratique qui nous pousse à maintenir
ouverte les portes d'une médecine éclairée
sur le sens du symptôme.
Pour notre patient l'exploration rigidimétrique
des érections nocturnes permet de retrouver
des érections de bonne qualité, avec une rigidité
maximale non perturbée mais de courte durée
et instables ce qui est compatible avec l’hypothèse
de fuite veino-caverneuse (bien que le
stress puisse également en être la cause).
La cavernosonographie est très en faveur d'une
nette incompétence cavernosoveineuse.
En conclusion il existe une nette participation
veineuse au syndrome érectile.
Le troisième couple pensée/action est encore
une interrogation sur nos attitudes en face des
systèmes de pensées organisés que sont nos
consensus réels ou informels. En effet, nous
savons ou croyons savoir que les résultats des
interventions sur les fuites veino-caverneuses
sont très décevants et l’idée prédominante est
qu'il ne faut plus opérer. Ce cas va cependant
faire l’objet d’une confrontation entre sexologue,
andrologue et chirurgien urologue.
Compte-tenu de l’importance de la fuite et du
fait que ce patient ne peut plus avoir d’érections
satisfaisantes même sous IIC associée un IPDE,
on décide d’intervenir avec l’accord du patient
qui est largement informé des résultats très
aléatoires de ce type d’intervention. L’objectif est
de tenter d’obtenir des érections satisfaisantes
par IIC.
Ceci va effectivement être obtenu mais c'est
alors que la problématique de couple redevient
prédominante : d’un côté l'homme qui revendique
une sexualité et qui reproche à sa partenaire
son absence de désir, de l’autre l’épouse qui
présente une inhibition de son désir sexuel et
qui reproche à son mari son insistance et son
agressivité. Chacun convient cependant des
difficultés posées par l’éjaculation prématurée.
4
e couple pensée/action
:
dans ce contexte le patient envisage une action.
Il me demande "s'il ne ferait pas mieux de la
quitter ou de la tromper plutôt que d'accepter
cet état". Quel est le sens de sa demande ?
Tester ma propre conviction sur la possibilité
d'une guérison? Chercher mon assentiment
pour un désir qui est le sien (mécanisme de
type projectif ) : la tromper ou la punir? Ou
bien éviter l'angoisse de ce qu'il vit comme un
rejet ? Le passage à l’acte serait là aussi une
forme d’activisme permettant d’éviter l’insupportable
blessure narcissique liée au rejet de
son désir ou de ne pas être désiré.
Il me propose aussi l’impasse suivante : soit
vous pouvez me dire qu’elle retrouvera des
envies sexuelles et je reste avec elle, soit vous me
dites que ce n’est pas possible, auquel cas c’est
insupportable à vivre et je dois me séparer.
Alors?
Ainsi parce que ses désirs sont profondément
ambivalents, je sens inévitablement que je lui
ferais défaut, que je ne pourrais pas lui donner
ce qu’il veut et je suis renvoyé à ma culpabilité
" au fantasme omnipotent que la vie peut être
totalement gratifiante et dénuée de tout conflit
"(Searles).
Chez ce patient la pensée est parasitée par ses
émotions. Son système cognitivo-conceptuel
est supplanté par le contexte émotionnel au
profit d'un certain nombre d'activités motrices
ou physiologiques. Il est incapable de gérer sa
frustration (agressivité). Il privilégie l’action
sous forme de colère, de mauvaise humeur
ou de demandes réitérées jusqu’à rendre le
climat insupportable pour son épouse qui se
sent culpabilisée et qui cède pour avoir la
paix. A noter que ce fonctionnement a moins
d’emprise sur son épouse depuis qu’elle a suivi
une thérapie. Alors bien sûr ce système permet
à son mari d'éviter de se confronter avec
ses émotions internes mais en contre partie il
est inopérant à s'interroger sur le sens du
manque de désir de son épouse et pour sa
part elle vit leur relation comme privée de
sentiments ce qui entretient le manque de
désir.
Alors que faire de sa colère ? Faut-il le laisser
l'exprimer considérant qu'elle a un sens et
qu'elle est aussi un message destiné à l’autre ou
faut-il faire en sorte qu’il puisse mieux la
contenir pour en supprimer les effets négatifs?
En fait sous traitement antidépresseur, le
patient va diminuer considérablement son
niveau d’angoisse et se sent plus dynamique.
La situation conjugale va nettement s'améliorer
et le patient commence à décrire des
érections spontanées.
Pensée / action :
Mais cette réussite ne va pas durer car le
patient abandonne l'antidépresseur en raison
d'une allergie. Les consultations suivantes
consistent en une série de modifications thérapeutiques
: je jongle avec différents antidépresseurs
ou médicaments érectogènes en
fonction des échecs répétés des érections, de
l’EP ou de l’agressivité. Je vous avoue que je ne
suis pas surpris mais je me demande à nouveau
si je dois m’entêter encore?
Néanmoins deux évènements méritent d’être
signalés :
• Le patient n’est plus dans le déni : il ne
refuse plus la réalité du fait que sa femme
puisse ne pas répondre au même désir que le
sien.
• Je lui annonce le nouveau tarif de mes
consultations : cela m’est un peu difficile d’autant
que je le perçois encore comme méfiant,
voire agressif à mon égard. Finalement j'ai
l'impression d'avoir une dette (celle des éches
successifs des thérapies de mes collègues) et je
reste inquiet de la valeur de ma prestation : la
question qui se pose à cette occasion résume
cette interrogation constante depuis que je le
prends en charge : suis-je en train de le voler
? Autrement dit, ai-je les compétences pour le traiter. Bref je suis encore renvoyé à mon fantasme
de totipotence.
Dernière consultation :
Le patient a pris rendez-vous après 4 mois
d'absence. Je sais qu’il ne sera pas satisfait et
qu’il va falloir que j’affronte son mécontentement,
son agressivité et mon impuissance.
Alors action : Je mets en place mes défenses :
relire le dossier, me convaincre qu’il est en
face de son problème et que je n’y peux rien,
que son agressivité ne s’adresse pas à moi mais
n’est que l’expression de sa souffrance.
A ma grande surprise, il m'annonce que les
érections et le délai d'éjaculation sont satisfaisants
ainsi que le climat conjugal (statu
quo). Ce patient qui a finalement décidé "de
me faire plaisir" est revenu me voir il y a
quelques jours et les résultats persistent (nous
sommes à deux ans de son intervention).
En conclusion :
J'ai cherché à montrer comment les modes
de pensées tant du patient que du thérapeute
régissaient nos actes. Faire de la sexologie en
médecine générale est une voie peu habituelle
car il ne s'agit pas seulement de chercher à
éliminer un symptôme, il ne s’agit pas nécessairement
d’en décrypter le sens, mais il nous
faut en tout cas nous interroger en permanence
sur la valeur ou les motifs de nos choix
comme de ceux du patient.
Il nous faut aussi accepter l'idée de compromis
ou d'échec jusqu'à en être réparé par le patient
lui-même.
|