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Et les hommes ? : de la déconstruction au changement
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Les rapports entre femmes et hommes
sont interactifs. Quand les femmes
changent, les hommes ne peuvent rester
dans des positions traditionnelles.
Face à ces mutations imposées par les
transformations des femmes en
Occident, les hommes éprouvent des
difficultés à intégrer de nouvelles
valeurs. L’homme est dans une errance
entre le sentiment d’une " douloureuse
"déconstruction et la perception floue
du changement des figures du masculin
avec une forte tentation à la régression.
Dans cette communication, célébrant
trente années de sexologie française,
je me suis intéressé à l’aide que la
sexologie et la médecine sexuelle peuvent
apporter à cette construction d’une
autre masculinité.
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Mesurer le changement des femmes…
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Hier, du discours au quotidien, le masculin
régnait en maître sur le féminin. Le discours
de l’intellectuel et du produire était la quasi
exclusivité de l’homme. Le quotidien cantonnait
les femmes dans des positions
d’épouses et, de mères et sexuellement dans
des positions d’objets sexuels à disposition
des hommes.
Mais, vint le temps où la femme sût conquérir
son " identité du Je non contraint " (1) et
échappa ainsi au discours et au quotidien
qui pesait sur elle.
La femme aujourd’hui a conquis une reconnaissance
dans la responsabilité publique et
professionnelle sans qu’il y ait une antinomie avec l’expression de la spécificité de son
désir et de sa jouissance "…s’est agencée
aujourd’hui une nouvelle figure du féminin où
la revendication du charme n’exclut pas celle
du travail et de la responsabilité " (2).
La sexualité n’échappe pas à des changements
dont des études rendent compte(3).
Ainsi en est-il de la tendance à la prolongation
des préliminaires, d’une plus grande
variation des pratiques sexuelles hors du coït
telles que fellation ou sodomie dans le quotidien
du couple.
Mais aussi, " le niveau d’exigence des femmes
a changé ; J’ai beaucoup de témoignages de
femmes qui ont jeté des hommes parce qu’ils ne
les faisaient pas jouir "(4).
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Mesurer la réaction des hommes…
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Les constructions sociales différenciées (les
rôles) sont repérées, décriées et remises en
cause par les femmes mais aussi par les
hommes.
Or, ces univers masculins permettaient une
définition à peu près claire de l’identité masculine
(5).
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" L’ homme mou " et " L’homme dur "
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Face aux critiques du machisme, deux
réactions
d’hommes caricaturales sont souvent
décrites. Merete Gerlach-Nielsen (6) campe
ces deux stéréotypes :
1) " L’ homme mou " ou " l’homme-torchon ".
La culpabilité est au premier plan chez lui. Il
pourrait dire "les femmes sont bonnes, les
hommes sont mauvais et je suis mauvais…".
Il renonce de son propre gré aux privilèges
masculins mais, surtout il va mimer les attitudes
des femmes : il domine son agressivité,
abdique son ambition et sa carrière pour sa
femme et ses enfants ; il est favorable à l’égalité
de l’H et la F dans tous les domaines).
2) " L’homme dur " ou " l’homme nœud " (nœud désigne à la fois le nœud de cravate
et le nœud des sentiments)
La réaction oppositionnelle et agressive est
au premier plan.
Il se crispe sur les stéréotypes masculins les
plus "ringards" (content et sur de lui, agressif,
handicapé sentimentalement, souvent
alcoolique).
Contrairement au " Macho ", c’est un
homme qui refoule ses sentiments et traite
son corps comme un outil. Il est aujourd’hui
rejeté par de nombreuses femmes.
A ces deux profils opposés, il faut rajouter un
point qui leur est commun que décrit Knut
Faldbakken (7): un problème avec l’érection.
L’ "homme mou" se sent atteint dans sa masculinité,
son identité chancelle et son érection
devient défaillante et il ne lui reste plus qu’à
prôner l’impuissance" (8) comme une adaptation…
Quant à l’"homme dur", il est totalement
absorbé par la nécessité de sa performance
sexuelle et a besoin d’alcool pour pouvoir "bander".
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Et les hommes, tous les autres : oui, ils changent
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Ce "mâle
nouveau" si souvent annoncé " à la
fois doux et fort, différent mais égal des femmes"
(9) n’est, pourrait-on dire, qu’ un homme en
projet. Certes, les modèles masculins, dans les
publicités comme dans la mode, s'androgynisent
(des dandys hier aux métrosexuels
aujourd’hui). Mais, malgré ces nouveaux
héros, l’homme semble toujours hésiter sur la
conduite à tenir. Il y a de l’" homme dur " et
de l’ "homme mou " dans tout homme. Dans
ce sens, comme le dit Jean Baudrillard, " … le
Masculin n’a jamais été que résiduel, une formation
secondaire et fragile, qu’il faut défendre
à force de retranchements, d’institutions, d’artifices.
La forteresse phallique offre en effet tous les
signes de la forteresse, c’est-à-dire de la faiblesse"
(10).
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"L'un(e)
n'est pas l'autre"
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En dehors des débats théoriques, quelles que
soient la "bonne" volonté et la patience des
femmes et des hommes, les constructions
sociales ne peuvent s'effacer de manière
magique et instantanée. Femmes et hommes ne parlent pas véritablement la même langue
et c’est dire combien l’adaptation de l’homme
est problématique.
Le simple quotidien reflète cette difficulté :
" Le propre et le rangé " permet de mettre à
jour deux logiques différentes.
Les femmes sont préventives ; elles privilégient
un ordre "lisse" où rien ne dépasse. On
assimile le désordre laissé par une femme à
son désordre psychique (c'est sale chez elle,
donc c'est sale en elle).
Les hommes sont curatifs ; Ils privilégient un
ordre "dynamique " ("C'est rangé parce que je
sais où est chaque chose"). De lui, on dira : si
c'est en désordre, c'est que c'est un poète...
(11).
Oui, les hommes sont déstabilisés d’autant
que le masculin est le produit d’un construit.
Du reste ne dit-on pas "Sois un homme" alors
qu’on dit rarement "sois une femme" (12)
L’homme doit accomplir une tâche pour
acquérir son genre (13).
L’homme se sent évalué et jugé par cette
femme devenue libre de composer elle-même
sa partition. N’entendons nous pas
dans nos consultations comme un leitmotiv :" je ne suis pas ou – j’ai peur de ne pas être à la
hauteur ".
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L’érection et l’identité masculine
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Si hommes et femmes veulent répondre aux
attentes de l’un et l’autre, il me semble que
c’est seulement quand le sentiment d’identité
masculine n’est plus une question que les
frontières s’estompent et que la connivence
peut naître.
Nous savons que la fonctionnalité sexuelle
(capacité à avoir une érection, à éjaculer) est
un élément primordial de l’identité de genre
chez l’homme (14).
Or, le sentiment d’obligation des hommes «d’assurer» a été peu modifié par la
«révolution»
féminine.
Les études sur les comportements sexuels
nous montrent que pendant la relation
sexuelle, le déclenchement du désir et de
l’excitation reste le plus souvent l’apanage
des hommes (15).
En outre, plus que les hommes, les femmes
continuent à considérer la pénétration
comme un élément indispensable du rapport
sexuel (65 % versus 59 %) (16).
Cette obligation de virilité peut être génératrice
d’angoisse.
Rassurer l’homme sur son érection, ce n’est
pas renforcer " la norme érectocentrique "
("… relégitimer les discours les plus traditionnels
sur la virilité masculine et renforcer la
domination symbolique des hommes.") (17),
même si
l’" homme dur " peut en bénéficier.
C’est surtout, à mes yeux, aider l’homme à
pouvoir se détacher d’une virilité excessive
sans pour autant connaître une déconstruction
identitaire suicidaire.
Ces trente années de sexologie nous permettent
de mesurer les progrès accomplis dans la
prise en charge des difficultés érectiles de
l’homme.
L’arrivée récente de traitements efficaces sur
les troubles érectiles peut contribuer à cette
réassurance de l’homme et l’aider ainsi à
mieux effectuer sa traversée de la déconstruction
au changement.
Reste à rassurer la femme sur la logique du "coup par coup " ou sur la non spontanéité du
rapport. Les cliniciens s’y emploient avec
passion en intégrant la partenaire dans la
prise en charge thérapeutique en amont de la
prescription comme dans le suivi en aval et
en utilisant au mieux les caractéristiques des
molécules mises à disposition.
Il devient alors possible de rêver que cet
Homme, libéré de l’angoisse de son impuissance
puisse être autre chose qu’un projet
théorique et qu’ainsi, avec la femme d’aujourd'hui,
il puisse passer de l’enjeu au jeu.
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Références bibliographiques
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(1)
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Habernas Jurgen - Morale et Communication
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(2)
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Lipovetsky G - L’empire de l’éphémère; Gallimard,
1987
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(3)
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Bozon M., Leridon H; et coll - Les comportements sexuels en France, 1993
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(4)
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Mossuz-Lavau J - La vie sexuelle en France, 2002
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(5)
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Pagès M - Corporéités sexuées:jeux et enjeux, la dialectique des rapports hommes-femmes, PUF,
2001
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(6)
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Merete Gerlach-Nielsen - " Essai sur l’évolution du rôle masculin au DanemarK " ; colloque
UNESCO. Athènes. 1985
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(7)
|
Knut Faldbakken - Journal d’Adam, Presses de la Renaissance, 1991
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(8)
|
Michaël Kimmel - porte-parole du NOMAS (National Organisation for Men Against
Sexism): " Que les hommes apprennent l’impuissance "
|
(9)
|
Nouvel observateur, n° 2067, p 10
|
(10)
|
Baudrillard, J., De la séduction., Galilée, 1979
|
(11)
|
Daniel Welzer-Lang - Du propre et du rangé, Paris, Le jour éditeur,1993
|
(12)
|
Badinter.E ., XY ., Odile Jacob, 1992
|
(13)
|
Stoller.R.,Faits et hypothèses:un examen du concept de bisexualité., Nouvelle revue de
psychanalyse n°7, 1973
|
(14)
|
Crépault.C., Protoféminité et développement sexuel Presse de l’université du Québec, 1986
|
(15)
|
Bajos.N et Bozon.M., La sexualité à l’épreuve de la médicalisation, Actes n°128, Seuil, 1999
|
(16)
|
Bozon.M., Sexualité et conjugalité, La dialectique des rapports hommes-femmes., PUF, 2001
|
(17)
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Bajos.N et Bozon.M., La sexualité à l’épreuve de la médicalisation, Actes n°128, Seuil, 1999e
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Dr André CORMAN
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