Sexologos  n° 19

Juillet   2004 

André CORMAN

 

Publications

 

 

Et les hommes ? : de la déconstruction au changement 
 

Les rapports entre femmes et hommes sont interactifs. Quand les femmes changent, les hommes ne peuvent rester dans des positions traditionnelles.
Face à ces mutations imposées par les transformations des femmes en Occident, les hommes éprouvent des difficultés à intégrer de nouvelles valeurs. L’homme est dans une errance entre le sentiment d’une " douloureuse "déconstruction et la perception floue du changement des figures du masculin avec une forte tentation à la régression.
Dans cette communication, célébrant trente années de sexologie française, je me suis intéressé à l’aide que la sexologie et la médecine sexuelle peuvent apporter à cette construction d’une autre masculinité.



Mesurer le changement des femmes…

 

Hier, du discours au quotidien, le masculin régnait en maître sur le féminin. Le discours de l’intellectuel et du produire était la quasi exclusivité de l’homme. Le quotidien cantonnait les femmes dans des positions d’épouses et, de mères et sexuellement dans des positions d’objets sexuels à disposition des hommes.
Mais, vint le temps où la femme sût conquérir son " identité du Je non contraint " (1) et échappa ainsi au discours et au quotidien qui pesait sur elle.

La femme aujourd’hui a conquis une reconnaissance dans la responsabilité publique et professionnelle sans qu’il y ait une antinomie avec l’expression de la spécificité de son désir et de sa jouissance "…s’est agencée aujourd’hui une nouvelle figure du féminin où la revendication du charme n’exclut pas celle du travail et de la responsabilité " (2).
La sexualité n’échappe pas à des changements dont des études rendent compte(3).
Ainsi en est-il de la tendance à la prolongation des préliminaires, d’une plus grande variation des pratiques sexuelles hors du coït telles que fellation ou sodomie dans le quotidien du couple.
Mais aussi, " le niveau d’exigence des femmes a changé ; J’ai beaucoup de témoignages de femmes qui ont jeté des hommes parce qu’ils ne les faisaient pas jouir "(4).

 

Mesurer la réaction des hommes…

 

Les constructions sociales différenciées (les rôles) sont repérées, décriées et remises en cause par les femmes mais aussi par les hommes.
Or, ces univers masculins permettaient une définition à peu près claire de l’identité masculine (5).


" L’ homme mou " et " L’homme dur "

 

Face aux critiques du machisme, deux réactions d’hommes caricaturales sont souvent décrites. Merete Gerlach-Nielsen (6) campe ces deux stéréotypes :

1) " L’ homme mou " ou " l’homme-torchon ". La culpabilité est au premier plan chez lui. Il pourrait dire "les femmes sont bonnes, les hommes sont mauvais et je suis mauvais…".
Il renonce de son propre gré aux privilèges masculins mais, surtout il va mimer les attitudes des femmes : il domine son agressivité, abdique son ambition et sa carrière pour sa femme et ses enfants ; il est favorable à l’égalité de l’H et la F dans tous les domaines).

2) " L’homme dur " ou " l’homme nœud " (nœud désigne à la fois le nœud de cravate et le nœud des sentiments)
La réaction oppositionnelle et agressive est au premier plan. Il se crispe sur les stéréotypes masculins les plus "ringards" (content et sur de lui, agressif, handicapé sentimentalement, souvent alcoolique).
Contrairement au " Macho ", c’est un homme qui refoule ses sentiments et traite son corps comme un outil. Il est aujourd’hui rejeté par de nombreuses femmes.

A ces deux profils opposés, il faut rajouter un point qui leur est commun que décrit Knut Faldbakken (7): un problème avec l’érection.
L’ "homme mou" se sent atteint dans sa masculinité, son identité chancelle et son érection devient défaillante et il ne lui reste plus qu’à prôner l’impuissance" (8) comme une adaptation…
Quant à l’"homme dur", il est totalement absorbé par la nécessité de sa performance sexuelle et a besoin d’alcool pour pouvoir "bander".

 

Et les hommes, tous les autres : oui, ils changent

 

Ce "mâle nouveau" si souvent annoncé " à la fois doux et fort, différent mais égal des femmes" (9) n’est, pourrait-on dire, qu’ un homme en projet. Certes, les modèles masculins, dans les publicités comme dans la mode, s'androgynisent (des dandys hier aux métrosexuels aujourd’hui). Mais, malgré ces nouveaux héros, l’homme semble toujours hésiter sur la conduite à tenir. Il y a de l’" homme dur " et de l’ "homme mou " dans tout homme. Dans ce sens, comme le dit Jean Baudrillard, " … le Masculin n’a jamais été que résiduel, une formation secondaire et fragile, qu’il faut défendre à force de retranchements, d’institutions, d’artifices. La forteresse phallique offre en effet tous les signes de la forteresse, c’est-à-dire de la faiblesse" (10).


"L'un(e) n'est pas l'autre"

 

En dehors des débats théoriques, quelles que soient la "bonne" volonté et la patience des femmes et des hommes, les constructions sociales ne peuvent s'effacer de manière magique et instantanée. Femmes et hommes ne parlent pas véritablement la même langue et c’est dire combien l’adaptation de l’homme est problématique.
Le simple quotidien reflète cette difficulté : " Le propre et le rangé " permet de mettre à jour deux logiques différentes.
Les femmes sont préventives ; elles privilégient un ordre "lisse" où rien ne dépasse. On assimile le désordre laissé par une femme à son désordre psychique (c'est sale chez elle, donc c'est sale en elle).
Les hommes sont curatifs ; Ils privilégient un ordre "dynamique " ("C'est rangé parce que je sais où est chaque chose"). De lui, on dira : si c'est en désordre, c'est que c'est un poète... (11).

Oui, les hommes sont déstabilisés d’autant que le masculin est le produit d’un construit.
Du reste ne dit-on pas "Sois un homme" alors qu’on dit rarement "sois une femme" (12)
L’homme doit accomplir une tâche pour acquérir son genre (13).
L’homme se sent évalué et jugé par cette femme devenue libre de composer elle-même sa partition. N’entendons nous pas dans nos consultations comme un leitmotiv :" je ne suis pas ou – j’ai peur de ne pas être à la hauteur ".


L’érection et l’identité masculine

 

Si hommes et femmes veulent répondre aux attentes de l’un et l’autre, il me semble que c’est seulement quand le sentiment d’identité masculine n’est plus une question que les frontières s’estompent et que la connivence peut naître.
Nous savons que la fonctionnalité sexuelle (capacité à avoir une érection, à éjaculer) est un élément primordial de l’identité de genre chez l’homme (14).
Or, le sentiment d’obligation des hommes «d’assurer» a été peu modifié par la «révolution» féminine.
Les études sur les comportements sexuels nous montrent que pendant la relation sexuelle, le déclenchement du désir et de l’excitation reste le plus souvent l’apanage des hommes (15).
En outre, plus que les hommes, les femmes continuent à considérer la pénétration comme un élément indispensable du rapport sexuel (65 % versus 59 %) (16).
Cette obligation de virilité peut être génératrice d’angoisse.


Rassurer l’homme sur son érection, ce n’est pas renforcer " la norme érectocentrique " ("… relégitimer les discours les plus traditionnels sur la virilité masculine et renforcer la domination symbolique des hommes.") (17), même si l’" homme dur " peut en bénéficier.
C’est surtout, à mes yeux, aider l’homme à pouvoir se détacher d’une virilité excessive sans pour autant connaître une déconstruction identitaire suicidaire.

Ces trente années de sexologie nous permettent de mesurer les progrès accomplis dans la prise en charge des difficultés érectiles de l’homme.
L’arrivée récente de traitements efficaces sur les troubles érectiles peut contribuer à cette réassurance de l’homme et l’aider ainsi à mieux effectuer sa traversée de la déconstruction au changement.
Reste à rassurer la femme sur la logique du "coup par coup " ou sur la non spontanéité du rapport. Les cliniciens s’y emploient avec passion en intégrant la partenaire dans la prise en charge thérapeutique en amont de la prescription comme dans le suivi en aval et en utilisant au mieux les caractéristiques des molécules mises à disposition.
Il devient alors possible de rêver que cet Homme, libéré de l’angoisse de son impuissance puisse être autre chose qu’un projet théorique et qu’ainsi, avec la femme d’aujourd'hui, il puisse passer de l’enjeu au jeu. 

 

 

Références bibliographiques

 

(1) Habernas Jurgen - Morale et Communication
(2) Lipovetsky G - L’empire de l’éphémère; Gallimard, 1987
(3) Bozon M., Leridon H; et coll - Les comportements sexuels en France, 1993
(4) Mossuz-Lavau J - La vie sexuelle en France, 2002
(5)  Pagès M - Corporéités sexuées:jeux et enjeux, la dialectique des rapports hommes-femmes, PUF, 2001
(6) Merete Gerlach-Nielsen - " Essai sur l’évolution du rôle masculin au DanemarK " ; colloque UNESCO. Athènes. 1985
(7)  Knut Faldbakken - Journal d’Adam, Presses de la Renaissance, 1991
(8)  Michaël Kimmel - porte-parole du NOMAS (National Organisation for Men Against Sexism): " Que les hommes apprennent l’impuissance "
(9) Nouvel observateur, n° 2067, p 10
(10)  Baudrillard, J., De la séduction., Galilée, 1979
(11) Daniel Welzer-Lang - Du propre et du rangé, Paris, Le jour éditeur,1993
(12) Badinter.E ., XY ., Odile Jacob, 1992
(13) Stoller.R.,Faits et hypothèses:un examen du concept de bisexualité., Nouvelle revue de psychanalyse n°7, 1973
(14) Crépault.C., Protoféminité et développement sexuel Presse de l’université du Québec, 1986
(15) Bajos.N et Bozon.M., La sexualité à l’épreuve de la médicalisation, Actes n°128, Seuil, 1999
(16)  Bozon.M., Sexualité et conjugalité, La dialectique des rapports hommes-femmes., PUF, 2001
(17)  Bajos.N et Bozon.M., La sexualité à l’épreuve de la médicalisation, Actes n°128, Seuil, 1999e

 

 

Dr André CORMAN

 

 


 

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