Trop souvent mes "Billets d’humeur" ont été des billets de mauvaise humeur,
celui-ci va plutôt s’inscrire dans ce que Cioran appelait ses exercices
d’admiration.
Aujourd’hui mon exercice d’admiration concerne quelqu’un de célèbre, quelqu’un
que vous avez souvent applaudi dans nos congrès : Monsieur Boris Cyrulnik et je
remercie Philippe Brenot de nous donner à nouveau l’opportunité de l’entendre à
l’occasion de nos prochaines Assises. Bien sûr, vous connaissez tous son
charisme, ses exceptionnels talents de communicant et vous pourrez lire la
présentation de son dernier ouvrage dans notre rubrique Sexo-Livres, mais
j’aimerais revenir plus longuement sur cet homme, sur son parcours, ses idées et
sur ce que celles-ci peuvent nous apporter dans la pratique de notre spécialité.
Permettez–moi tout d’abord d’évoquer deux souvenirs personnels. Deux hasards
m’ont fait secrètement croiser le destin de Boris Cyrulnik. Le 11 janvier 1944,
j’étais avec ma mère devant la synagogue où, depuis la rafle de la veille, se
trouvait emprisonnée, avec tous les juifs de Bordeaux, ma grand-mère paternelle
(son mariage avec un auvergnat catholique devait lui permettre de rester à
Drancy et d’éviter les chambres à gaz où périt le reste de la famille), nous
assistions le cœur serré au chargement dans des camions militaires de ces
hommes, femmes et enfants traités comme du bétail. J’étais loin de me douter
qu’à quelques mètres de là un petit garçon un peu plus jeune que moi avait eu la
présence d’esprit et le courage de se cacher dans les toilettes de la synagogue
et d’échapper ainsi au massacre programmé.
Des années après, j’ai été jusqu’à sa mort le médecin de Margot Lajugie née
Farges, la jeune institutrice qui avait recueilli Boris à l’orphelinat, elle me
parlait souvent de lui et jusqu’à sa fin il a été toujours très présent pour
elle.
Le nom de Boris Cyrulnik restera attaché à la notion de résilience qu’il a
admirablement développée après Emmy Werner et dont il est un parfait exemple,
mais on ne saurait y limiter sa pensée. Son ouverture d’esprit, son absence de
dogmatisme, sa liberté intellectuelle qui lui permettent d’associer les apports
de la psychanalyse, de l’éthologie, de la neurobiologie, de l’anthropologie en
font pour moi un homme des Lumières, capable de jeter sur le monde actuel un
regard à la fois généreux et sans concession.
La notion de résilience me semble capitale dans les nombreux cas où la
victimisation ne suffit pas à délivrer la personne traumatisée de sa
culpabilité. Je suis toujours étonné de voir des patient(e)s qui vont de
psychothérapie en psychothérapie tout au long de leur vie sans jamais sortir de
leur plainte, une plainte à laquelle ils s’accrochent, avec laquelle ils se
confondent, qui est devenue leur seule raison d’être.
Il est naturel que ce soit chez les enfants ou les adolescents que la résilience
ait le plus de chance de se réaliser spontanément ou thérapeutiquement, mais
Boris Cyrulnik nous a appris que les adultes peuvent eux aussi la réaliser. En
sexologie, nous savons comme les ratés de la relation parents-enfant (un lien
insécure, un attachement ambivalent) et a fortiori les abus sexuels subis
pendant l’enfance ou l’adolescence peuvent être à l’origine de difficultés
sexuelles de l’adulte. Quelle que soit notre approche, l’amélioration passe par
la résilience : donner au patient la possibilité de changer sa narration de
lui-même et de vivre en harmonie avec cette nouvelle narration en est un élément
déterminant. On peut y parvenir soit en s’appuyant sur des éléments positifs de
son histoire (une figure d’attachement : une grand-mère – plus souvent qu’un
grand-père semble-t-il – un frère ou une sœur, un(e) ami(e), un professeur,…)
soit que le thérapeute puisse jouer ce rôle dans une relation intersubjective
maîtrisée et sécurisante.
Bien entendu, nous restons dans le champ du conscient ou du préconscient et ce
ne sera pas toujours suffisant, mais pour la plupart nous ne sommes pas des
psychanalystes et tous les patients ne sont pas aptes ni prêts à devenir
analysants.
Merci à Boris Cyrulnik de nous donner de livre en livre cette leçon de liberté
et d’espoir, dans une belle langue claire qui n’exclut pas la profondeur de la
réflexion.
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