Janvier   2013

Sexologos   #  04

Claude ESTURGIÉ 


BILLET D’HUMEUR
de Claude ESTURGIÉ.
 

 

L'important… 

 

« L’important n’est pas ce qu’on fait de nous,
mais ce que nous faisons nous-même de ce
qu’on a fait de nous »
Jean Paul Sartre  (Saint Genet, comédien et martyr)
 
 

Trop souvent mes "Billets d’humeur" ont été des billets de mauvaise humeur, celui-ci va plutôt s’inscrire dans ce que Cioran appelait ses exercices d’admiration.

Aujourd’hui mon exercice d’admiration concerne quelqu’un de célèbre, quelqu’un que vous avez souvent applaudi dans nos congrès : Monsieur Boris Cyrulnik et je remercie Philippe Brenot de nous donner à nouveau l’opportunité de l’entendre à l’occasion de nos prochaines Assises. Bien sûr, vous connaissez tous son charisme, ses exceptionnels talents de communicant et vous pourrez lire la présentation de son dernier ouvrage dans notre rubrique Sexo-Livres, mais j’aimerais revenir plus longuement sur cet homme, sur son parcours, ses idées et sur ce que celles-ci peuvent nous apporter dans la pratique de notre spécialité.

Permettez–moi tout d’abord d’évoquer deux souvenirs personnels. Deux hasards m’ont fait secrètement croiser le destin de Boris Cyrulnik. Le 11 janvier 1944, j’étais avec ma mère devant la synagogue où, depuis la rafle de la veille, se trouvait emprisonnée, avec tous les juifs de Bordeaux, ma grand-mère paternelle (son mariage avec un auvergnat catholique devait lui permettre de rester à Drancy et d’éviter les chambres à gaz où périt le reste de la famille), nous assistions le cœur serré au chargement dans des camions militaires de ces hommes, femmes et enfants traités comme du bétail. J’étais loin de me douter qu’à quelques mètres de là un petit garçon un peu plus jeune que moi avait eu la présence d’esprit et le courage de se cacher dans les toilettes de la synagogue et d’échapper ainsi au massacre programmé.

Des années après, j’ai été jusqu’à sa mort le médecin de Margot Lajugie née Farges, la jeune institutrice qui avait recueilli Boris à l’orphelinat, elle me parlait souvent de lui et jusqu’à sa fin il a été toujours très présent pour elle.

Le nom de Boris Cyrulnik restera attaché à la notion de résilience qu’il a admirablement développée après Emmy Werner et dont il est un parfait exemple, mais on ne saurait y limiter sa pensée. Son ouverture d’esprit, son absence de dogmatisme, sa liberté intellectuelle qui lui permettent d’associer les apports de la psychanalyse, de l’éthologie, de la neurobiologie, de l’anthropologie en font pour moi un homme des Lumières, capable de jeter sur le monde actuel un regard à la fois généreux et sans concession.

La notion de résilience me semble capitale dans les nombreux cas où la victimisation ne suffit pas à délivrer la personne traumatisée de sa culpabilité. Je suis toujours étonné de voir des patient(e)s qui vont de psychothérapie en psychothérapie tout au long de leur vie sans jamais sortir de leur plainte, une plainte à laquelle ils s’accrochent, avec laquelle ils se confondent, qui est devenue leur seule raison d’être.
Il est naturel que ce soit chez les enfants ou les adolescents que la résilience ait le plus de chance de se réaliser spontanément ou thérapeutiquement, mais Boris Cyrulnik nous a appris que les adultes peuvent eux aussi la réaliser. En sexologie, nous savons comme les ratés de la relation parents-enfant (un lien insécure, un attachement ambivalent) et a fortiori les abus sexuels subis pendant l’enfance ou l’adolescence peuvent être à l’origine de difficultés sexuelles de l’adulte. Quelle que soit notre approche, l’amélioration passe par la résilience : donner au patient la possibilité de changer sa narration de lui-même et de vivre en harmonie avec cette nouvelle narration en est un élément déterminant. On peut y parvenir soit en s’appuyant sur des éléments positifs de son histoire (une figure d’attachement : une grand-mère – plus souvent qu’un grand-père semble-t-il – un frère ou une sœur, un(e) ami(e), un professeur,…) soit que le thérapeute puisse jouer ce rôle dans une relation intersubjective maîtrisée et sécurisante.

Bien entendu, nous restons dans le champ du conscient ou du préconscient et ce ne sera pas toujours suffisant, mais pour la plupart nous ne sommes pas des psychanalystes et tous les patients ne sont pas aptes ni prêts à devenir analysants.

Merci à Boris Cyrulnik de nous donner de livre en livre cette leçon de liberté et d’espoir, dans une belle langue claire qui n’exclut pas la profondeur de la réflexion.
 

Claude Esturgie
Vice- Président de la Société Française de Sexologie Clinique

 

Retour