Mai    2011

Sexologos   #  01

Claude ESTURGIÉ 


BILLET D’HUMEUR
de Claude ESTURGIÉ.
 
 

« En somme l’âge médical peut commencer » 

Jules Romains (Knock)

 

 

Ceux d’entre vous qui ont eu la chance d’entendre Fabrice Luchini faire la lecture de Muray au théâtre de l’Atelier n’ont certainement pas oublié sa magnifique tirade concernant les emplois jeunes : « Un bataillon d’agents du développement du patrimoine ouvre la marche, suivi presque aussitôt par un peloton d’accompagnateurs de détenus.

Puis arrivent en rangs serrés, des compagnies d’agents de gestion locative, d’agents polyvalents, d’agents d’ambiance, d’adjoints de sécurité, de coordinateurs petite enfance, d’agents d’entretien des espaces naturels, d’agents de médiation, d’aideséducateurs, d’agents d’accueil des victimes et j’en passe. Ferme le cortège un petit groupe hilare d’accompagnateurs de personnes dépendantes placées en institution… etc.». À cette énumération, il manquait pourtant un métier. Rassurez vous la lacune est comblée, j’ai appris à la radio qu’il existe une nouvelle profession : assistant sexuel pour personnes handicapées.

Vous étiez sans doute au courant, moi, j’ignorais encore – bien que des politiques nous aient déjà promis une société du soin - jusqu’où pouvait aller la sollicitude de certains.

En réalité tout cela est fort sérieux : un député de la majorité prépare un projet de loi pour officialiser cette fonction comme cela existe déjà dans plusieurs pays européens : Danemark, Belgique, Allemagne et Suisse. Il est indéniable que la fonction sexuelle peut poser des difficultés insurmontables aux personnes handicapées et il me semble naturel que ces personnes aient accès à des services sexuels rétribués, cela porte un non, vieux comme le métier lui-même, cela s’appelle prostitution. Au risque de choquer, personnellement je pense que la prostitution est une réalité sociale et humaine à respecter dans la mesure où elle ne s’exerce pas sous la forme du trafic et de l’esclavage des femmes (ou des hommes, ou des transsexuels) et il me semblerait justifié de décriminaliser la prostitution et de la reconnaître légalement.

Ceci étant posé, l’affaire mérite réflexion. J’ai trouvé sur Google le témoignage d’un Monsieur qui exerce cette activité, Pascal a 50 ans : « avec moi elle a eu envie de découvrir un corps qui ne soit pas juste source de souffrance, mais de plaisir… je ne propose pas de rapport sexuel complet, ni pénétration, ni fellation, mais j’offre des caresses pouvant aller jusqu’à l’orgasme et des corps-à-corps dans la nudité (il intervient indifféremment auprès des femmes et des hommes)… je n’ai pas de limite d’âge mais je n’accepte pas les moins de trente ans, car la différence d’âge me gênerait (sic)… Je demande juste le remboursement des frais de déplacement mais je trouverais plus sain d’être payé… chaque rencontre est une aventure, l’émotion est là ». Dans les pays où le métier d’«agent polyvalent de masturbation à domicile pour personnes handicapées dépendantes placées ou non en institution» est légal, le prix des prestations varie de 100 à 150 euros, le temps passé n’étant pas précisé !

Il faut envisager avant tout ce problème du point de vue des handicapé(e)s. Qu’ils ou elles puissent avoir la possibilité de recourir si elles le désirent à des professionnel(le)s  sexuel(les) dans de bonnes conditions devrait pour moi aller de soi, il suffirait d’étudier comment l’organiser, mais il faudrait au préalable changer la loi et cesser de condamner la prostitution et son utilisation comme des délits. Dans cette pratique la personne resterait sujet de son désir et non pas objet d’une compassion suspecte même si c’était l’assurance maladie qui jouait le rôle d’entremetteuse. D’autre part le caractère technique du service rendu aurait l’avantage d’éviter toute équivoque. Ces handicapé(e)s souffrent suffisamment de devoir être assisté(e)s de diverses manières pour leur épargner une dépendance supplémentaire.

Il s’agit d’êtres humains à part entière qui la plupart du temps ont leur propre sexualité soit solitaire soit partagée : Isabelle, une de mes patientes I.M.C. qui venait en consultation en fauteuil roulant a eu un petit garçon qu’elle élève seule, le père s’étant dérobé, elle est métamorphosée depuis cette naissance. Une autre jeune I.M.C. en fauteuil roulant était parfaitement épanouie dans un couple lesbien avec une femme normale, une troisième, Sandra, qui prépare le concours d’avocat, vient en thérapie à la suite d’attouchements par un soignant ! Notre devoir est de les aider à oublier leur différence et non pas de leur imposer notre commisération sous une forme ou une autre. L’Enfer, dit la sagesse des nations est pavé de bonnes intentions.
Voyons maintenant du côté des candidats à cet assistanat…

Pascal est, dit-il, le «seul aidant sexuel en France» actuellement, marié, père de famille, épanoui dans son couple, formé en Suisse en 2008-2009. J’avoue rester très perplexe sur les motivations inconscientes de cet homme que je veux croire sincère : pas de pénétration ni de fellation (fait-il des cunnilingus ?). Il y a des corps à corps dans la nudité, des orgasmes, de l’émotion, de l’aventure ! Avec des hommes comme avec des femmes ! Quelle peut être la part chez lui d’une nouvelle déviance que l’on pourrait dénommer handicapophilie ?
Quels dégâts psychologiques profonds peuvent créer ces contacts, ces émotions chez des sujets fragilisés par leur handicap ?

Par quelle aberration peut-on en arriver là ? Nous retrouvons la vieille confusion sémantique entre fonction sexuelle et sexualité.
Dans un document publié sur Google, l’argumentation en faveur de cette pratique est développée à partir de la définition par l’O.M.S. de la santé sexuelle et du droit de chacun à y accéder.
Bien entendu nous adhérons tous à cette définition et à ce droit, mais cet exemple nous démontre, me semble t’il, combien nous devons rester vigilants devant les interprétations hygiénistes que certains peuvent en faire et les dérives inquiétantes susceptibles d’en découler.

Un projet de société dont la finalité serait le soin témoignerait de l’irrémédiable vieillesse de cette société.

 

Claude ESTURGIÉ
 

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