Ceux
d’entre vous qui ont eu la chance d’entendre Fabrice
Luchini faire la lecture de Muray au théâtre de l’Atelier
n’ont certainement pas oublié sa magnifique tirade
concernant les emplois jeunes : « Un bataillon d’agents
du développement du patrimoine ouvre la marche, suivi presque
aussitôt par un peloton d’accompagnateurs de détenus.
Puis arrivent en rangs serrés, des compagnies d’agents de
gestion
locative, d’agents polyvalents, d’agents d’ambiance,
d’adjoints
de sécurité, de coordinateurs petite enfance, d’agents
d’entretien des espaces naturels, d’agents de médiation,
d’aideséducateurs,
d’agents d’accueil des victimes et j’en passe. Ferme
le cortège un petit groupe hilare d’accompagnateurs de
personnes
dépendantes placées en institution… etc.». À cette
énumération,
il manquait pourtant un métier. Rassurez vous la
lacune est comblée, j’ai appris à la radio qu’il existe une
nouvelle
profession : assistant sexuel pour personnes handicapées.
Vous étiez sans doute au courant, moi, j’ignorais encore –
bien
que des politiques nous aient déjà promis une société du soin -
jusqu’où pouvait aller la sollicitude de certains.
En réalité tout cela est fort
sérieux : un député de la
majorité prépare un projet
de loi pour officialiser cette
fonction comme cela existe
déjà dans plusieurs pays
européens : Danemark,
Belgique, Allemagne et
Suisse. Il est indéniable que
la fonction sexuelle peut
poser des difficultés insurmontables
aux personnes
handicapées et il me semble
naturel que ces personnes aient accès à des services sexuels
rétribués, cela porte un non, vieux comme le métier lui-même,
cela s’appelle prostitution. Au risque de choquer,
personnellement
je pense que la prostitution est une réalité sociale et
humaine à respecter dans la mesure où elle ne s’exerce pas
sous
la forme du trafic et de l’esclavage des femmes (ou des
hommes,
ou des transsexuels) et il me semblerait justifié de
décriminaliser
la prostitution et de la reconnaître légalement.
Ceci étant posé, l’affaire mérite réflexion. J’ai trouvé sur
Google
le témoignage d’un Monsieur qui exerce cette activité, Pascal
a
50 ans : « avec moi elle a eu envie de découvrir un corps qui
ne
soit pas juste source de souffrance, mais de plaisir… je ne
propose
pas de rapport sexuel complet, ni pénétration, ni fellation,
mais j’offre des caresses pouvant aller jusqu’à l’orgasme et
des
corps-à-corps dans la nudité (il intervient indifféremment
auprès
des femmes et des hommes)… je n’ai pas de limite d’âge mais
je
n’accepte pas les moins de trente ans, car la différence
d’âge me
gênerait (sic)… Je demande juste le remboursement des frais
de
déplacement mais je trouverais plus sain d’être payé… chaque
rencontre est une aventure, l’émotion est là ». Dans les pays
où
le métier d’«agent polyvalent de masturbation à domicile
pour personnes handicapées dépendantes placées ou non
en institution» est légal, le prix des prestations varie de
100 à
150 euros, le temps passé n’étant pas précisé !
Il faut envisager avant tout ce problème du point de vue des
handicapé(e)s. Qu’ils ou elles puissent avoir la possibilité
de
recourir si elles le désirent à des professionnel(le)s
sexuel(les)
dans de bonnes conditions devrait pour moi aller de soi, il
suffirait
d’étudier comment l’organiser, mais il faudrait au préalable
changer la loi et cesser de condamner la prostitution et son
utilisation comme des délits. Dans cette pratique la personne
resterait sujet de son désir et non pas objet d’une
compassion
suspecte même si c’était l’assurance maladie qui jouait le
rôle
d’entremetteuse. D’autre part le caractère technique du
service
rendu aurait l’avantage d’éviter toute équivoque. Ces
handicapé(e)s souffrent suffisamment de devoir être
assisté(e)s
de diverses manières pour leur épargner une dépendance
supplémentaire.
Il s’agit d’êtres humains à part entière qui la plupart
du temps ont leur propre sexualité soit solitaire soit
partagée
: Isabelle, une de mes patientes I.M.C. qui venait en
consultation en fauteuil roulant a eu un petit garçon qu’elle
élève seule, le père s’étant dérobé, elle est métamorphosée
depuis cette naissance. Une autre jeune I.M.C. en fauteuil
roulant
était parfaitement épanouie dans un couple lesbien avec
une femme normale, une
troisième, Sandra, qui prépare
le concours d’avocat,
vient en thérapie à la suite
d’attouchements par un
soignant ! Notre devoir est
de les aider à oublier leur
différence et non pas de
leur imposer notre commisération
sous une forme ou
une autre. L’Enfer, dit la
sagesse des nations est pavé
de bonnes intentions.
Voyons maintenant du côté des candidats à cet assistanat…
Pascal est, dit-il, le «seul aidant sexuel en France»
actuellement,
marié, père de famille, épanoui dans son couple, formé
en Suisse en 2008-2009. J’avoue rester très perplexe sur les
motivations inconscientes de cet homme que je veux croire
sincère : pas de pénétration ni de fellation (fait-il des
cunnilingus
?). Il y a des corps à corps dans la nudité, des orgasmes, de
l’émotion, de l’aventure ! Avec des hommes comme avec des
femmes ! Quelle peut être la part chez lui d’une nouvelle
déviance que l’on pourrait dénommer handicapophilie ?
Quels
dégâts psychologiques profonds peuvent créer ces contacts,
ces émotions chez des sujets fragilisés par leur handicap ?
Par
quelle aberration peut-on en arriver là ? Nous retrouvons la
vieille confusion sémantique entre fonction sexuelle et
sexualité.
Dans un document publié sur Google, l’argumentation en
faveur de cette pratique est développée à partir de la
définition
par l’O.M.S. de la santé sexuelle et du droit de chacun à y
accéder.
Bien entendu nous adhérons tous à cette définition et à ce
droit, mais cet exemple nous démontre, me semble t’il,
combien
nous devons rester vigilants devant les interprétations
hygiénistes que certains peuvent en faire et les dérives
inquiétantes
susceptibles d’en découler.
Un projet de société dont la finalité serait le soin
témoignerait
de l’irrémédiable vieillesse de cette société. |