Chronique des 
rencontres annoncées.
 

 

Ils étaient de chaque côté de la table dans la salle d’attente. Ils n’avaient pas pris de revue. Ils attendaient. Un couple à la soixantaine faite.

Elle, droite bien calée sur la chaise, le regard par la fenêtre sur les toits de la ville. Lui, penché, les coudes posés sur les cuisses, le regard… ailleurs. Silencieux. Elle ouvre la marche vers le bureau, la mise particulièrement soignée, chargée de sacs qu’elle dépose au pied du fauteuil. Il la suit, encore un peu vouté, plus petit le pas presque pressé. Elle s’installe, droite, bien calée au fond du fauteuil, le regard droit, l’air sévère. Il s’assoit, les bras ballant entre ses cuisses, le regard cherchant à se fixer, à peine un sourire… une excuse.

Elle commence. Le ton de la voix est plaintif semblant contredire le rythme rapide d’un discours qui ne tolèrerait pas de questionnement. Nous l’écoutons en silence. Elle raconte son «enfer». Cette vie de labeur, à travailler chez les uns, chez les autres, à économiser le moindre sou. Sa maison à entretenir, ses enfants à élever (ils sont trois, maintenant adultes, dans leur vie). Son potager et son jardin. Quelques volailles aussi. «Il fallait tirer sur tout  pour s’en sortir». Et quand la journée était finie, une autre commençait. Ses lessives, son repassage et sa couture. Jusque tard dans la nuit.

Il ne fallait pas compter sur lui, incapable de mener à bien une tâche. Il fallait toujours «être sur lui», lui faire des listes aux termes desquelles il n’allait jamais, lui dire comment faire. Et puis cette sale habitude : la boisson. Le soir en rentrant de l’usine, au bistrot du bourg, seul ou avec les autres ! Plusieurs cures pour qu’il s’en sorte !

De fait, voilà un an qu’il était sorti de l’hôpital, sevré et  abstinent depuis. Toujours suivi et traité pour un trouble dépressif encore actif.

Il s’insinue dans le flot de paroles. Juste pour dire : «elle a raison docteur».

A cette phrase, comme un signal, elle se dresse hors du fauteuil et se saisit des sacs qu’elle avait déposés là et que j’avais oubliés. Les pose sur le bureau au milieu de mes notes et en sort le contenu. Inventaire. Travaux d’aiguilles, broderie, chemises et chemisiers, jupes et pantalons, diverses confections. «Je ne vous mens pas docteur». Le contenu de l’autre sac est moins noble. Déballage. Essentiellement les effets usagers de Monsieur. Pulls au ravaudage soigné, chaussettes au fin reprisage et enfin…

Enfin les slips d’un blanc immaculé dont il fallait bien reprendre les élastiques à la taille ou à l’entrejambe quand «ça baillait trop».
«C’est du travail !»

«Il n’y a pas de petites économies»….à moins qu’à un autre niveau ?

Il s’était peut être enfoncé un peu plus dans le fauteuil, un peu de rouge sur les joues. Le sourire avait disparu ; le regard ailleurs.

 

(à suivre…)

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