Sexologos  n° 15

Mars - Avril 2003 

Arnaud SEVENE

 

 

La "violence nécessaire"

 

Billet d’humeur ou de mauvaise humeur ? C’est un billet pour entrer sur le stade, pour combattre. Les médecins en ont ras-le-bol, tous, et les sexologues aussi. Ras-le-bol d’être manipulés, exploités, surveillés, déconsidérés. Ras-le-bol d’être responsables du coût de la maladie, ras-le-bol d’être manipulés au bon vouloir des caisses, ras-le-bol de compter, les recettes et les dépenses, les patients, les C, surveiller les SNIR et les abus des autres, respecter les protocoles et les consensus, substituer des génériques, télétransmettre sans contre-partie décente, faire des gardes, des urgences, sacrifier la vie de famille et faire le secrétariat en plus, devoir participer aux formations qui forment aux " bonnes pratiques " (c’est à dire celles qui font faire des économies), s’inquiéter de la retraite, au lieu de prendre le temps de soigner, discuter, écouter la plainte du patient, l’examiner avec l’attention qu’il faut, réfléchir, pouvoir seulement réfléchir au cas du patient, écrire le courrier, joindre les correspondants, se former dans ce qui lui tient à cœur : soigner un être humain et non une procédure.
Ras-le-bol de douter de nous, de nos intentions : à force, nous aurions presque fini par le croire que nous étions des privilégiés à 50, 60 ou 70 heures de travail par semaine ! Nous aurions bien fini par le croire que nous étions des mauvais français, des mauvais citoyens, à dépenser ainsi sans compter en examens biologiques, en prescriptions médicamenteuses, bref quelle irresponsabilité à vouloir soigner ainsi les maux dont l’autre souffre ! Mais je vous l’affirme, il n’y a qu’une personne devant moi et sa plainte est la mienne : il n’y a quelle que j’écoute à cet instant là. Ras-le-bol de craindre les procès, la répression des caisses, les erreurs auxquelles nous conduisent notre course éperdue pour soigner vite et bien et comme ils veulent et comme il faut.
Alors au sein du SNMS, nous avons décidé de combattre. D’abord se battre contre nous-mêmes, notre masochisme d’hommes et femmes consciencieux, respectueux de notre société et de son système, contre notre individualisme, notre naïveté commune. Ne savez-vous pas que les instances savent et reconnaissent que les consultations des psychiatres dont nos consultations en sexologie se rapprochent valent 110 à 120 € ? Que le prix moyen d’une consultation de psychiatrie en Europe est de 90 € ? Que la consultation d’un généraliste en France est la ou l’une des moins payée d’Europe ? Mais le médecin n’est pas marchand.
Et bien nous avons décidé que nous allions défendre nos droits et nos besoins et que cela n’était pas incompatible avec le soin des patients, bien au contraire : soigner la sexualité est plus que la santé, c’est approcher l’être intime, l’être révélé, l’être sensible, l’être écorché. Il nous faut être attentif, patient, sensible et compétent.
C’est pourquoi les médecins sexologues doivent se regrouper pour défendre ensemble leur façon de soigner, une façon de soigner dont ils sont fiers. Il faut unir nos compétences, associer nos intelligences pour combattre les sanctions abusives dont nous sommes l’objet.
Avant d’être amers ou dégoûtés.
C’est pourquoi des médecins sexologues, de la SFSC, de l’AIHUS ou d’ailleurs, ceux qui sont sur le terrain tous les jours, se mobilisent dans le SNMS pour donner une place à la sexologie dans les discussions conventionnelles actuelles. Ce que le SNMS a réussi. Les médecins qui s’y sont investis ont une tâche lourde : ne vous y trompez-pas, il s’agit de l’avenir de la sexologie médicale conventionnelle. Ne plus subir le bon vouloir des caisses, obtenir la possibilité que nos patients puissent bénéficier d’actes cliniques en sexologie remboursables.
Mais si cela nous apparaît comme une attitude morale indispensable, à l’évidence il ne nous semble pas que tous les actes ou que la totalité des actes doivent nécessairement faire l’objet d’un remboursement. 
Il faut y réfléchir. De même, en effet, qu’il faut réfléchir aux alternatives possibles aux tarifs opposables : en l’absence de toute possibilité actuelle de réouverture du secteur II, seul le principe d’un espace de liberté tarifaire peut nous permettre d’espérer être honorés à notre juste valeur sans mettre en danger les comptes sociaux. Cela permettrait également d’éviter le redoutable piège d’un enfermement dans un acte opposable à petit prix signant la mort d’une sexologie médicale conventionnelle. Il faut vous mobiliser : la sexologie ne peut se construire qu’avec vous, par vous et les négociations à venir sont votre avenir.
Faire vivre la sexologie médicale, c’est savoir aussi faire et se faire violence, la " violence nécessaire " pour être entendu. C’est un billet de rage et d’espoir aussi.

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