Sexologos  n° 14

Décembre 2002 

Jacques CHAUMERON  

 

 

Chronique des 
rencontres annoncées
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Elle était arrivée en roller et s’était déchaussée dans la salle d’attente. Elle les dépose près de la porte du bureau et s’assoit, grosses chaussettes blanches aux pieds. Comme pour faire vite ; elle est de passage. Taches de rousseur au vent et derrière les lunettes, des yeux lumineux soulignés par le roux de cheveux indomptables. Elle a 23 ans, paraît plus jeune. Étudiante sans reproche, parcours brillant, il n’y a que ça qui compte. Le ton est ironique coloré d’une pointe d’agressivité. Les phrases souvent abruptes et n’appellent aucun commentaire.
Le " psychiatre d’avant " lui a dit qu’il fallait mieux s’adresser là. Pour son problème. Elle avait consulté car elle se sentait déprimée. Depuis un mois son petit copain l’a quittée ; une histoire de deux ans. Ses sentiments sont partagés : une libération mais aussi un vide. Une histoire vouée à l’échec, " les garçons ne pensent qu’à çà ". Elle aussi sans doute, mais sur-tout à l’impossibilité d’une sexualité qui lui ne paraît pas envisageable. Des rapports sans cesse renouvelés et jamais aboutis. Elle ne se sent pas prête pour cette effraction, se souvient de son premier examen gynécologique (le seul) et de cette impression de mur qui explose.
Et puis, il y a sa mère et ce conflit larvé depuis des années, qui déborde depuis qu’elle sait sa relation déjà ancienne avec un compagnon qu’on lui présente il y a quelques mois. Elle ne lui téléphone plus, tant elle voudrait cette homme improbable. C’est comme un dégoût.
Son père ? Elle avait 13 ans, il n’est pas rentré. Elle a mis des mois avant de pouvoir dire son absence.
Fugue ou suicide : personne n’a jamais pu dire. Aucun corps retrouvé. Juste une place vide qu’on ne peut pas nommer. Les souvenirs qui lui restent : ceux de la violence entre sa mère et lui, lui dont on lui a dit depuis ses tromperies et ses infidélités.
Elle se souvient aussi du contact de sa barbe quand il lui donnait un baiser. Plus de 10 ans déjà ; 10 ans délai légal au terme duquel son père a été officiellement porté disparu.
Impossible deuil.
Impossible renoncement.
Elle pleure …emmurée.

(à suivre …)

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