Blonde, très blonde, aussi blonde que le bleu de ses yeux
le laisse présager. Une lumière dans un visage sombre. Sur la retenue, une retenue comme une distinction. La
présentation est impeccable ; propre sur elle. On pourrait croire
à de l’aisance. Le discours le dément. Une hésitation, une gène,
un malaise …
C’est la première fois qu’elle consulte un " psy ". Admet qu’elle
aurait dû venir plus tôt. Digression sur le métier ; prof, elle
enseigne les maths. Depuis quelques mois, elle prépare l’agrèg..
Donne beaucoup. Au détriment d’autre chose bien sûr. Peu de
loisirs, peu de plaisirs. Le boulot, les préparations de cours, les
corrections et le concours. Le week-end, souvent les parents. " Je
suis trop attachée… " Parle de stress, d’angoisse, de lassitude.
N’arrive plus à penser à elle, à eux d’eux….
30 ans juste, elle partage depuis 7 ans sa vie avec un compagnon.
Ingénieur, lui aussi a du travail par-dessus la tête. Parle d’une
bonne entente, une réelle complicité. Des projets de vie, un
PACS et une maison bientôt. Pourtant, quelque chose ne
fonctionne pas. Une douleur qu’aujourd’hui il faut mettre en mots.
Indicible souffrance.
Depuis 7 ans, la sexualité est impossible. Le rapport n’aboutit
jamais ; trop de peur, trop de tension, trop de douleur. Leur union n’a jamais été complète. Elle n’assure plus, il n’assure pas.
Le désir pourtant mais l’envie se double d’angoisse jusqu’au
dégoût. Ils n’osent plus se toucher, ont fini d’en rire, en pleurent
maintenant. Jusqu’à la crise de ces derniers mois et l’effondrement
dépressif de son compagnon. Ultimatum.
C’est son premier partenaire. Ils se sont connus à l’université. L’élan
amoureux est fort dès le début. Mais dès le début, l’échec de leur relation
sexuelle s’immisce entre eux. Jusque-là, ils ont fait face, mais aujourd’hui,
ce manque occupe toute la place. Les paroles qu’ils y mettent ne suffisent
pas, ne suffisent plus. La séparation est même envisagée.
Au fil de l’entretien, la retenue laisse place à l’expression d’une détresse
d’où surgit un souvenir enfoui. Les mots lui manquent, lui ont
toujours manqués. Jamais elle n’a pu raconter ça, même à lui.
Une hésitation, une gène, un malaise …
Elle a 12 ans, allongée sur le lit dans sa chambre, là où, pense-t-elle,
personne ne la surprendra. Elle faisait " ça ". Le mot
masturbation lui était inconnu, il est encore imprononçable. La
porte doucement s’entrouvre, sa mère est là qui lui enjoint de
cesser tout de suite et de la suivre auprès de son père. Colère de
l’une, épouvantable honte de l’autre. Et son père qui lui saisit les
mains, les renifle et lui ordonne d’aller se laver …
Dégoût. Honte et dégoût !
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