Sexologos  n° 37

Juillet   2010 

Claude ESTURGIE

Débat de fond
sur le web

AUTOUR D’UN DéCRET 

 

La parution au  Journal Officiel le 22 Mai 2010 du décret précisant les formations universitaires indispensables pour pouvoir se prévaloir du titre de psychothérapeute a été l’occasion d’une discussion spontanée entre certains d’entre nous sur la relation entre psychothérapie et sexologie.
Le texte du décret étant trop long pour être publié dans son intégrité dans Sexologos voici pour celles et ceux qui ne le connaissent pas encore le lien permettant de s’y référer :
http://www.journal-officiel.gouv.fr/frameset.html
( en date du 22/05/10, voir le chapitre 24)
Gilles Formet a été le premier à nous alerter :
«Si pour les psychiatres cela ne pose pas de problèmes cela est bien différent pour les autres puisqu’il va leur falloir suivre des formations et des stages. Cependant il y a la clause du grand-père, mais est-ce que le fait d’avoir exercé la sexologie depuis plus de 5 ans sera reconnu comme pratique psychothérapeutique et si cela l’est, restent ceux qui professent depuis moins de cinq ans. Cette dérogation est accordée par le préfet après avis d’une commission régionale d’inscription composée de six personnalités nommées par le directeur de l’ARS qui préside cette commission ; donc qui sera dans cette commission ?
Comment pourrons nous être entendus ? (représentés il ne faut pas trop y compter)
On peut aussi se poser la question est-ce que les médecins sexologues veulent faire reconnaître leur compétence en psychothérapie ou veulent-ils être des praticiens en Santé Sexuelle et non plus des sexologues ? En effet avec l’arrivée des IPDE5 des médecins organicistes se sont intéressés plus particulièrement aux troubles sexuels.
Cela a fait avancer nos connaissances. Certains sont restés dans une médecine d’organe et maintenant on parle de Médecine Sexuelle, d’autres se sont dirigés vers la Sexologie.

Pour ma part il me semble important de faire reconnaître cette compétence psychothérapique si nous voulons par la suite des honoraires autres qu’un C à 22 ou 23 Euro ? En effet lorsque j’étais consultant auprès de la CNAM pour la CCAM clinique, j’avais pu faire reconnaître que la psychothérapie était une composante intrinsèque de la consultation de sexologie (ceci étant ensuite suivi par les experts pour la sexologie que nous avions proposés) et c’est ce qui avait permis (avec la durée de l’acte) que les sexologues puissent avoir un acte codifié à la hauteur des psychiatres et que nous avions des réunions communes psychiatres-sexologues ».

En réponse, André Corman exprime parfaitement, me semble t’il, l’opinion de ceux d’entre nous qui s’orientent vers la position de praticiens en Santé Sexuelle quand, tout en faisant la part du facteur psychologique dans les pathologies sexuelles, il insiste sur les difficultés et la complexité de leur prise en charge médicale dans le cadre d’une médecine d’organe, à l’égal d’autres spécialités :
 
« Je voudrais recentrer le débat déclenché par le décret réglementant l’exercice de la psychothérapie. Que les pathologies sexuelles mettent en jeu des problématiques psychiques et ne soit parfois que cela n’est contesté par personne. Je rappelle du reste que les dysfonctions sexuelles figurent dans la classification des maladies psychiatriques. Du reste à mes yeux une médecine moderne ne devrait plus tronçonner à ce point corps et esprit et la prise en charge d’un diabète comme les suites d’un infarctus dépendent largement du psychisme. L’éducation thérapeutique montre que le traitement de la résistance du passage à l’insuline est une psychothérapie.

Ce dont il est question à mes yeux est de savoir ce qui fonde une expertise dans la prise en charge clinique d’une dysfonction sexuelle ? Je voudrais ici rappeler que les récentes découvertes physiopathologiques et thérapeutiques aboutissant au bouleversement de la prise en charge de l’impuissance ne doivent rien ès qualité aux spécialistes du psychisme. Faire un diagnostic de DE complexe, équilibrer un traitement et mettre en évidence les résistances psychiques et relationnelles dont dépendent l’observance et le pronostic n’est pas à mes yeux moins fondateur d’expertise que d’équilibrer un diabète… Dans cette reconnaissance d’expertise et la formation qui en découle, l’acquisition d’un savoir médical de haut niveau dans le domaine me paraît aussi très important.
Voilà pourquoi je pense que le DIU ne doit pas devenir un enseignement de psychothérapie et pourquoi ce décret nous concerne comme de nombreuses autres disciplines médicales en ce sens qu’elle pose le problème de la place de l’outil psychothérapique en médecine… La sexologie appartient plus au domaine de la psychologie médicale qu’au domaine spécifique de la psychiatrie. Ce décret pose ainsi de manière décisive la place de la psychothérapie dans l’exercice de la médecine ».

Laurent Carlotti prend ainsi ses distances par rapport à la réaction d’André Corman : «Dans mon acception, le champ de la médecine sexologique s’adresse à la fonction sexuelle dans sa globalité où intervient une logique d’organe ET des éléments de la fonction psychique. Il me semble par là même que j’exerce pour partie dans chacun de mes actes une fonction psychothérapique quand bien même mon acte ne saurait être réduit à cette fonction.
Revendiquer de fait cette association de psychothérapie à mes fonctions me semble légitime : on peut imaginer certains vaginismes comme des «agoraphobies» à formulation singulière et certaines masturbations compulsives comme des TOCs.

Je serais assez partisan d’une «revendication» catégorielle d’une qualification de psychothérapeute car celle-ci, qu’elle soit comportementale, psychanalytique, intégrative,…  ou simplement sur le mode du counselling me semble être partie de nos actes».

A mon sens, la sexologie ne peut revendiquer un statut de spécialité que grâce à sa composante psychothérapique, en dehors d’elle je pense, contre l’avis d’André Corman, qu’elle ne présente aucune complexité véritable ni au niveau diagnostic, ni au niveau thérapeutique et que tout généraliste averti est capable de pratiquer une bonne médecine sexuelle, sans parler des urologues et des gynécologues. En sexologie il est impossible de ne pas tenir compte de la structure obsessionnelle d’un anajéculateur ou de la structure hystérique de certaines anorgastiques. Une masturbation compulsive peut être, comme le fait remarquer Laurent Carlotti assimilée à un TOC (parfois associé à d’autres) et le vaginisme à une phobie comme le souligne également Catherine Solano. Pour répondre à André Corman il existe, me semble t’il, une différence essentielle entre le rapport psyché-soma dans d’autres spécialités d’organe et la place de la psyché en sexologie. La sexualité, ainsi que Freud l’a le premier révélé, est partie constitutive, ontologique du psychisme et dans cette orthodoxie la médecine sexuelle s’adresse à la «génitalité» et non à la «sexualité».

Je rejoins encore Catherine Solano quand elle a écrit qu’en traitant des patients qui avaient des difficultés sexuelles, elle a pu guérir des phobies de l’avion, de l’eau, de l’ascenseur, une addiction au jeu (loto…), des dépressions.

Si la sexologie s’apparente aux sciences humaines en général autant qu’à la seule médecine c’est qu’elle se situe au point de rencontre de la médecine, de la psychologie, de la philosophie, de la sociologie.

Là seulement réside la complexité de notre travail et c’est aussi ce qui le rend passionnant. Winnicott, et bien d’autres, ont dit que c’est en écoutant nos patients que nous apprenons notre métier : je ne sais pas si c’est très conforme au fameux décret…

En tout cas le débat reste ouvert…

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Dr Claude ESTURGIE
Président de l’Académie des Sciences Sexologiques

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