Mai    2011

 

Sexologos   #  01


QUAND LE SYMPTOME SEXUEL
VIENT DIRE LE CONFLIT
 

On trouve généralement à l’origine de toute consultation une symptomatologie ou du tout moins une plainte pour laquelle le sujet et/ou son entourage viennent demander aide et soulagement.
La lecture que le praticien fera du symptôme le conduira à mettre en œuvre un type de prise en charge en cohérence avec son interprétation.
Il est donc fondamental qu’il soit pleinement conscient des hypothèses qui guident sa pratique afin de pouvoir les modifier si celles-ci ne s’avéraient pas fonctionnelles et opératoires.

Le titre même de cet exposé, «quand le symptôme sexuel vient dire le conflit», traduit à l’évidence une conception étio-pathogénique qu’il nous faut expliciter afin de ne pas nous laisser porter par un courant idéologique implicite qui limiterait notre façon de penser et par là même risquerait d’être une source de blocage et d’impasse dans notre activité thérapeutique.

Même si le terme de conflit mériterait à lui seul un long débat je m’attacherais essentiellement à l’analyse du concept de symptôme, aux différentes acceptions qu’il sous-entend et à l’usage qu’il peut donc en être fait en pratique.

En première analyse, le terme de symptôme en lui-même renvoie à une problématique plus profonde et cachée dont le patient s’attend à ce que le praticien l’identifie afin de lui apporter un remède efficace. Il existe bien des traitements dits «symptomatiques», mais ceux-ci ont souvent mauvaise presse. En effet, même si le plus souvent la demande initiale du patient est d’être débarrassé de ses symptômes, quelle que soit la méthode employée pour cela, le traitement symptomatique s’il peut apporter au sujet en souffrance un certain apaisement, est censé laisser entier le problème à l’origine du symptôme qui de ce fait sera toujours susceptible de se manifester à nouveau.

Etroitement associé donc à la notion de symptôme se trouve la question de la causalité qu’il nous faudra examiner tant du point de vue de sa direction que du point de vue de son origine.
Pour ce qui concerne sa direction nous avons été habitués à penser que la cause précède l’effet et donc à nous poser la question du « pourquoi ? ».
L’idée sous-jacente est que pour faire disparaître l’effet il faut en supprimer la cause. Outre le fait que la connaissance des causes n’est pas toujours nécessaire et encore moins suffisante à la prise en charge efficace des problèmes et difficultés auxquels nous sommes confrontés (il vaut mieux savoir comment éteindre un incendie que de savoir ce qui la déclenché) le raisonnement causaliste dans cette perspective peut conduire à une régression infinie dans la recherche de la cause de la cause, puis de la cause de la cause de la cause, et ainsi de suite.

Par exemple, si je propose que tel ou tel symptôme sexuel est lié à l’attachement irrésolu du sujet à sa mère je peux (je dois ?) me demander quelle est l’origine de cet attachement. Je vais alors découvrir que celui-ci vient de ce que sa mère a éprouvé dans son enfance un sentiment d’abandon de la part de sa propre mère qui elle-même s’est comportée ainsi parce qu’elle avait souffert de l’emprise que sa mère (l’arrière-grand-mère donc de notre patient) avait exercé vis à vis de son autonomie psychique, etc. Il est fort peu probable que ce cheminement, pour intéressant qu’il soit, puisse aider le sujet à venir à bout de son symptôme.
Pourquoi arrêterions-nous notre analyse à l’arrière- grand-mère du patient ? Et même si nous le décidions, comment pourrions-nous intervenir pour modifier la conduite de celle-ci ?

Par ailleurs, si cette notion de causalité efficiente (pour reprendre la classification Aristotélicienne des causes) ou de cause antécédente (dans une acception plus moderne) est très certainement utile pour la prédiction des résultats attendus de nos actions, elle néglige par son aspect mécanique et déterministe ce qui fondamentalement constitue l’essence de l’être humain, à savoir sa capacité à développer des projets qui repose sur des intentions.

En d’autres termes, en matière de comportement humain, il convient de redonner une place à ce qu’Aristote nommait la cause finale, c’est à dire au but conduisant à la mise en œuvre de l’acte. En complète opposition donc avec ce que nous pensions n’être pas possible l’effet (recherché) précède la cause. Il s’agira alors d’envisager le symptôme en tant que praxis dont le sujet est l’acteur et non plus en tant que processus auquel il serait soumis.

Ainsi, par exemple, il apparaîtra que tel ou tel symptôme sexuel allégué, que dans ma précédente analyse je pensais pouvoir attribuer à tel ou tel désordre psychologique ou psychopathologique que j’étais persuadé d’avoir identifié, a en fait pour fonction de frustrer le ou la partenaire du sujet qui en était porteur. Je vais alors être conduit à me demander d’une part si cela est – ou non volontaire, contrôlé par le sujet et d’autre part quelle peut bien être la raison de ce comportement.
Ne cherche-t-il pas par exemple, par ce procédé à se venger d’un préjudice dont il juge son conjoint responsable ? On voit ici apparaître l’idée du symptôme en tant qu’arme dans un conflit conjugal. La question sera alors : comment vais-je pouvoir utiliser cette hypothèse pour aboutir à un résultat thérapeutique satisfaisant pour les deux membres du couple ? En toute logique je devrais chercher le mobile du comportement symptomatique afin de vérifier mon hypothèse. Mais, dans toute histoire conjugale des raisons d’être mécontent existent obligatoirement, chacun étant loin d’être parfait et de satisfaire pleinement l’autre. Le mobile mis ainsi à jour sera-t-il suffisant pour expliquer la situation ? Sa «découverte» permettra-t-elle en elle-même une évolution positive ? On peut en douter.
En effet, s’il est fort probable que le conjoint frustré accepte volontiers l’idée de la malignité portée par le symptôme de son partenaire que ma redéfinition propose, il est tout autant probable que l’autre membre du couple rejette cette idée et s’en offusque en mettant en avant sa souffrance et ses difficultés. Mais, même si tous deux acceptent cette vision du symptôme comme moyen de communiquer à l’autre son mécontentement, cela sera-t-il suffisant pour résoudre le problème ? Le thérapeute ne se retrouvera-t-il pas ainsi invité et impliqué comme tiers dans un conflit sans issue, chargé d’arbitrer le différent et d’être l’allié de l’un ou de l’autre, chacun restant convaincu de son bon droit et campant sur ses positions.
 
  Même si tous deux acceptent cette vision du symptôme comme moyen de communiquer à l’autre son mécontentement, cela sera-t-il suffisant pour résoudre le problème ?
Un changement radical de point de vue sera possible en intégrant à notre raisonnement les mécanismes de rétroaction nous conduisant à une modélisation circulaire des processus interactifs dans laquelle les notions de cause et d’effet perdent la pertinence et l’utilité indispensables à nos conceptions précédentes.

Cette perspective nous conduits à abandonner l’usage des concepts de cause et d’effet en vertu du fait que les individus sont à la fois agissant et réagissant. C’est la raison pour laquelle chercher à déterminer ce qui est cause et ce qui est effet revient à ponctuer arbitrairement l’interaction pour attribuer à l’un ou à l’autre (selon la façon dont nous ouvrirons la boucle d’interaction) la responsabilité de la problématique. En fin de compte il ne s’agira plus de se demander, «qui fait quoi à quoi» mais, «qu’est-ce qu’ils font ensemble», de quel jeu sont-ils prisonniers ?

Ainsi, en présence d’un symptôme sexuel le praticien ne sera intéressé ni par son origine, ni par son but, mais par la façon dont il se pérennise. Il s’enquierera donc de la manière dont le partenaire y réagit et des effets que cette réaction a sur celui qui porte le symptôme. Il évitera ainsi les pièges de la culpabilité et des accusations réciproques e malveillance.

Quant au lieu de la causalité nous en avons habituellement – ainsi que nos patients – une compréhension individuelle qui nous conduit à une prise en charge physiologique ou psychopathologique centrée sur le sujet. Si la question du conflit surgit celui-ci sera alors, ainsi que nous l’a enseigné entre autre la psychanalyse, intrapsychique, entre les différences instances de la psyché, entre le moi et le surmoi, entre les désirs et leurs interdits.
 
  La célèbre phrase de Simone de Beauvoir : «on ne naît pas femme : on le devient» peut tout aussi bien s’appliquer aux hommes.
 
L’un des apports majeurs des thérapies familiales systémiques a été de nous apprendre que le patient n’est pas l’unique propriétaire de ses symptômes dont le sens et la fonction doivent être recherchés dans le contexte où ils sont apparus. Le « choix » d’un symptôme sexuel n’est certainement pas sans rapport avec la structure, la dynamique et l’histoire du couple où il se manifeste et cela peut être exploré au cours de l’entretien. Il sera cependant surtout important de saisir son utilité pour le maintien de ce couple. En effet, on considère dans une perspective systémique que tout symptôme est au service de l’homéostasie familiale et participe au non changement d’une situation qui nécessiterait pourtant le passage à une étape suivante.

Un conflit conjugal, pour peu qu’il soit de degré suffisant, devrait trouver sa résolution dans la séparation si la réconciliation n’est pas possible.
La focalisation sur le symptôme sexuel peut être envisagée comme le moyen d’occulter le conflit et la séparation qui menace. Dans la perspective de Mara Selvini Palazzoli, le problème est une solution à un autre problème plus grave. Il est donc important de ne pas changer. Et, ce sera ce que l’on pourra constater en interrogeant les membres du couple sur chronologie des évènements dans lesquels le symptôme sexuel est venu prendre place. Une tension existait en général bien avant son installation, tension qui a laissé la place à la recherche de l’origine du symptôme ; tension qui est devenue secondaire et mise en relation avec le symptôme : s’il disparaît, l’harmonie renaîtra.

La théorie du constructionnisme social, enfin, associé à la critique féministe des thérapies familiales nous a conduits à remettre en question les idées développées jusque là et qui ne tenaient pas compte des implications de la différence des sexes quant aux rôles joués tant au niveau familial que du couple, et quant aux attentes qui en découlent. L’identité sexuée n’existe pas en dehors du contexte qui la détermine en grande partie : elle n’est pas donnée à priori, mais construite dans la relation en référence aux idées ayant cours dans une société particulière. La célèbre phrase de Simone de Beauvoir : «on ne naît pas femme : on le devient» peut tout aussi bien s’appliquer aux hommes.

L’identité sexuée repose sur des schémas sociaux dont il est préférable d’avoir connaissance et qu’il conviendra d’expliciter quand il s’agira d’aborder un symptôme sexuel : qu’est-ce qui pour le patient – et son conjoint – constitue le fait d’être un homme ou une femme, et quelles attentes en découlent ?



La valeur des femmes est souvent associée au fait de donner aux autres et d’être responsable de leur bien être émotionnel, ce qui les conduit souvent à mettre leurs propres besoins au second plan et à inhiber leur colère. C’est sans doute pourquoi le conflit chez ces dernières fait le lit de la dépression qui tombe à point pour justifier la baisse ou l’absence de libido.
 
Ainsi que l’exprime fort bien Peggy Papp : «les identités masculines et féminines ne sont jamais aussi vulnérables que dans la chambre à coucher dans laquelle la signification de ce qu’est «un vrai homme» ou «une vraie femme» est mise en relief de façon pointue et jouée en termes à la fois symboliques et réels. Les besoins sexuels, les fantasmes, les désirs et les attentes des hommes et des femmes s’entrecroisent dans une danse complexe qui peut déboucher tout autant sur une fusion bienheureuse que sur l’aliénation, la frustration et le désappointement».
 
Les hommes restent largement dépendant dans la construction de leur identité masculine de l’idée que l’on attend d’eux la réalisation de performances (professionnelles, sportives mais également sexuelles). La simple idée de se sentir faible ou impuissant leur est généralement insupportable. Combien de fois n’ai je pas entendu des hommes frappés de difficultés ou d’absence d’érection se préoccuper surtout de ce que risque d’en penser leur épouse, plutôt que de s’en inquiéter pour eux-mêmes. Là encore, la dépression sera l’élément indépendant de la volonté propre du sujet qui permettra, à elle seule ou en association aux effets indésirables des antidépresseurs, d’expliquer le désintérêt pour la sexualité et d’éviter le conflit.

Savoir retrouver en arrière plan du symptôme l’image idéalisée de l’homme ou de la femme que chacun des membres du couple a intériorisé pour mettre à jour les problématiques souvent conflictuelles qui en découlent s’impose donc comme une priorité pour le thérapeute. C’est à partir de là qu’il pourra avec eux construire une histoire différente dans laquelle le symptôme sexuel n’aura plus sa place.

En conclusion, considérer que le symptôme sexuel vient dire le conflit reste essentiellement une hypothèse du thérapeute. Si l’on veut bien admettre que le conflit existe toujours (au moins potentiellement) à partir du moment où deux personnes sont dans une relation suffisamment durable, puisqu’il est impossible que leurs intérêts coïncident de façon permanente, la question sera alors pour le thérapeute de savoir comment il va utiliser cette hypothèse afin d’élaborer une stratégie efficace pour résoudre le problème. Différentes pistes s’offrent à lui que nous n’avons fait qu’esquisser au cours de cet exposé.

 


Dr Jean-Michel HAVET
Service de Psychiatrie des Adultes
C.H.U. – Hôpital Robert Debré
51092 Reims Cedex
 

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