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Les violences sexuelles sont devenues une des hantises de nos sociétés
pour lesquelles elles deviennent l’une des principales figures de
l’intolérable, tout particulièrement lorsque des mineurs en sont les
victimes. Dans ce contexte, justice et psychiatrie se trouvent
convoquées l’une et l’autre pour éradiquer le phénomène, c'est-à-dire
prévenir la survenue de ces violences ou du moins leur récidive. Dans l’idée de beaucoup, l’atteinte d’un tel objectif passe par la détection précoce des premières manifestations évocatrices d’une «perversion sexuelle», c'est-à-dire par un dépistage in statu nascendi, sinon dans la toute première enfance (encore que certains n’hésitent pas à prétendre, à partir d’arguments contestables, que «l’on nait et meure pédophile»), du moins à l’adolescence, autre figure des hantises du moment. Il est vrai qu’en tant que deuxième (et dernier) temps du développement de la sexualité humaine, cette période de la vie est tout particulièrement concernée par le sexuel dans ses manifestations les plus génitalisées. L’intérêt porté dans ce contexte aux Mineurs Auteurs d’Infractions à Caractère Sexuel (MAICS) n’est sans doute pas sans lien avec ce souci «préventif». Toutefois une première observation s’impose alors : l’importance que prend cet intérêt pour les MAICS dans les représentations collectives contraste avec la pauvreté des données objectives disponibles, en France notamment. Ce constat a conduit la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (DPJJ) à susciter des travaux centrés sur cette question. | |||||
Dans cet article, nous nous proposons de présenter les apports de ces
premières enquêtes en les discutant à partir d’hypothèses relatives à la
psychopathologie de la violence sexuelle à l’adolescence.
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A) Approches quantitatives. | |||||
1/
Un recueil de données statistiques issues de l’activité judiciaire
concernant les MAICS réalisé par la DPJJ [1]. | |||||
Il montre que les condamnations de mineurs pour des violences sexuelles
ont augmenté de 104 % en 10 ans entre 1996 et 2006, alors que durant la
même période la progression a été de 148 % pour les condamnations pour
atteintes aux personnes (homicides et violences volontaires), 163 % pour
les condamnations pour destructions et dégradations et 41 % pour les
condamnations pour vols et recels. L’examen des condamnations de mineurs prononcées en 2007 pour les atteintes aux moeurs montre qu’elles concernent d’avantage la catégorie des 13-16 ans, à la fois pour les délits (60,4%) et les crimes sexuels (67%). Dans la catégorie des délits, les mineurs sont principalement condamnés pour des faits d’exhibition sexuelle et d’agression sexuelle avec circonstances aggravantes. On trouve en 2007 une seule condamnation pour proxénétisme pour un mineur de 13 à 16 ans au moment des faits et également une seule condamnation pour agression sexuelle avec la circonstance aggravante de l’ascendance ou de l’autorité de l’auteur, toujours pour un mineur aux mêmes âges au moment des faits. Pour les crimes, il s’agit principalement de faits commis sur des mineurs de moins de 15 ans. Dans cette catégorie d’infraction, la population des 13-16 ans est deux fois plus représentée que celle des 16-18 ans (318 contre 127). Considérés parmi l’ensemble des condamnations de 2007, les viols représentent 1,34 % des condamnations pour cette classe d’âge (1, 37 % pour les moins de 13 ans et 0,38 % pour les 16-18 ans). Concernant la nature des condamnations, il faut noter que le suivi socio judiciaire est très peu prononcé à l’encontre de ces mineurs : il représente en réalité 2,7 % des condamnations prononcées à l’encontre des mineurs en matière d’infractions sexuelles ; son prononcé reste limité même lorsque l’infraction principale est un crime puisque le recours au suivi socio judiciaire passe alors à 10 %, alors qu’il est de 42 % pour les majeurs pour des faits analogues. Une étude de mai 2007 de la sous direction de la statistique du ministère de la justice montre que, pour les mineurs, c’est une autre solution qui est préférée : une peine d’emprisonnement avec sursis probatoire, partiel (33%) ou total (32%), comme si les juges d’enfant répugnaient à utiliser une réponse judiciaire qui, comme le suivi socio-judiciaire, renverrait trop directement à l’image fixée du «pervers sexuel» adulte. La part de ceux qui sont condamnés à une peine d’emprisonnement au moins partiellement ferme, sans suivi socio judiciaire ni sursis probatoire est quant à elle de 10 %. | |||||
En 2007, près de six sur dix des criminels de
13 à 15 ans (57,3%) ont été condamnés plus
de 4 ans après les faits, 13,5 % après plus de
10 ans. Le légitime souci d’instruire convenablement
ces crimes peut ici s’opposer
aux impératifs éducatifs ou thérapeutiques,
l’expérience montrant que, dans ce type
de faits, la reconnaissance judiciaire de la
transgression est fréquemment un élément
important pour permettre la mise
en place d’un abord spécialisé du problème.
Dans certains cas, le strict respect de
la présomption d’innocence avant jugement
peut ainsi conduire l’adolescent à
continuer à méconnaitre le caractère transgressif
des faits ou à dénier leur existence
même et amener son entourage familial
et éducatif à sursoir à la mise en place d’un
travail éducatif ou thérapeutique spécifique
sur ses actes. Les données montrent cependant que les mineurs condamnés initialement pour atteinte aux mœurs réitèrent peu à l’identique. Parmi les 1 194 condamnés en 1999 pour atteinte aux mœurs, seuls 18 ont réitéré à l’identique sur 5 ans (0,5%) alors que c’est le cas de 6,4 % des violences volontaires et 86,6 % des vols-recels. La proportion des infractions à caractère sexuel sanctionnées durant la minorité décroit suivant le rang de la condamnation. Autrement dit ces infractions surviennent plutôt d’emblée que dans le cadre d’une réitération. Ainsi 1,4%, 0,9%, 0,6% et 0,3% des infractions sanctionnées dans la minorité pour l’ensemble des condamnés de 1999 sont des condamnations de rang 2, 3, 4 et 5. Parmi les mineurs réitérant condamnés initialement pour atteinte aux mœurs : 6,2% sont de nouveau condamnés pour atteinte aux mœurs lors de leur première réitération ; parmi les mineurs réitérants condamnés initialement pour d’autres infractions : 0,7% sont condamnés pour atteinte aux mœurs lors de leur première réitération. La distribution des modalités de ce type d’infraction est relativement stable de 1999 à 2008 en matière délictuelle comme criminelle, à l’exception des viols commis par plusieurs personnes dont la part a doublé entre 2006 et 2008 pour tendre à revenir au niveau de l’année 2000. | |||||
2/
Une étude réalisée par le CESDIP [2]
pour la DPJJ et portant sur les faits de
violence et les auteurs mineurs dans la
juridiction de Versailles (1993-2005),
ainsi que l’ouvrage qui en a été tiré [3]
montrent : | |||||
![]() ![]() ![]() ![]() Mais il pourrait également être lié à la réticence des juges d’enfant à reconnaitre comme délits sexuels des comportements que la justice n’hésiterait pas à reconnaitre comme tels chez des adultes. Ce serait notamment le cas lorsque d’autres transgressions (et notamment des violences non sexuelles) permettent de justifier ’intervention judiciaire et la mise en place d’une action éducative sur d’autres chefs. Dans ces conditions, seuls seraient reconnus comme délinquants sexuels ceux qui ne sont pas inscrits dans un «habitus» délinquentiel ou ceux qui paraissent poser une difficulté particulière du point de vue de leur fonctionnement psychique. Une telle interprétation permettrait d’expliquer également les caractéristiques «géographiques» évoquées plus haut en différenciant artificiellement un sous groupe de transgresseurs sexuels du fait du caractère isolé de leur acte ou du profil psychologique particulier de leurs auteurs. Cette hypothèse conduit à rappeler à quel point, dans le domaine de la délinquance des mineurs, et plus encore lorsqu’il s’agit de transgression à caractère sexuel, les données quantitatives recueillies dépendent de l’idée que eux qui contribuent à la constitution de ces données se font de l’enfance et de la justice des mineurs. Dans un domaine aussi controversé que la justice pénale des enfants, ceci doit conduire à insister sur la prudence avec laquelle il convient de considérer ces résultats. Tant le juge, qui reconnait ou non le caractère sexuel de la transgression, que le chercheur qui recueille et interprète les données, ne peuvent le faire sans être peu ou prou influencé par l’idée qu’ils se font de leur objet. C’est tout particulièrement le cas dans ce domaine de la justice des mineurs qui a depuis près d’un siècle revendiqué la primauté du sens sur le fait.
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B) Approches psychopathologiques. | |||||
Face à ces données, la première remarque
qui s’impose est que l’augmentation des
condamnations pour violence sexuelle se
situe exactement entre, d’une part, l’augmentation
des condamnations pour
atteintes aux personnes ou destruction et
dégradations de bien et, d’autre part, l’augmentation
des condamnations pour vols et
recels. Or cette constatation est compatible
avec l’idée théorique selon laquelle les
violences sexuelles recouvrent en réalité, deux types de violence du point de vue
psychopathologique :![]() ![]() On sait que beaucoup de données psychopathologiques conduisent les cliniciens à penser que l’évolution des modalités de contenance sociale et des processus d’élaboration des normes favorise surtout l’émergence de violences «narcissiques», c'est-à-dire destructrices de l’autre, et non des violences acquisitives visant à s’attribuer les biens de l’autre. En favorisant les problématiques narcissiques aux dépens des problématiques névrotiques, les configurations sociales actuelles favoriseraient les violences destructrices aux dépens des violences acquisitives. L’une et l’autre augmentent mais dans des proportions très inégales (4 fois plus pour les violences «destructrices» que pour les violences acquisitives). C’est ce qui expliquerait l’impression partagée par beaucoup que les changements récents touchant la violence adolescente sont plus encore qualitatifs que quantitatifs. Dans ces conditions, notre hypothèse est que l’augmentation moindre des condamnations pour violences sexuelles (par rapport aux condamnations relatives à d’autres types d’atteintes aux personnes), serait liée au fait qu’une partie des infractions sexuelles prises en compte relèveraient, de fait, d’une violence acquisitive et non d’une violence destructrice comme on aurait eu tendance à le penser. Une partie des infractions sexuelles s’inscriraient donc essentiellement dans un fonctionnement de type névrotique (relevant d’un conflit de désir autour des interdits) largement lié à la part la plus « ordinaire » des conflits de l’adolescence, dans la mesure où celle-ci donne une place centrale à l’activation pulsionnelle et donc aux risques de transgression des interdits dans une dynamique acquisitive. Ce double registre fonctionnel confirme l’impression que la qualification violences sexuelles regroupe des situations très différentes dans une perspective psychopathologique : des violences sexuelles narcissiques qui ont probablement augmenté comme les autres violences narcissiques ; des violences sexuelles névrotiques qui ont probablement connu une moindre augmentation, comme les autres violences acquisitives. Cette hypothèse contribue à démontrer l’utilité qu’il y a à ne pas considérer ces phénomènes de façon générique, d’autant que tout laisse penser que le pronostic des violences sexuelles névrotiques (et donc les réponses à leur donner) est très différent de celui des violences sexuelles narcissiques. Quant à la surreprésentation de la classe d’âge des 13-16 ans, elle pourrait également se justifier par cette hypothèse en s’appuyant sur l’idée que les mineurs de ces âges sont ceux qui sont les plus exposés à la «surprise» que représente l’activation pulsionnelle de la puberté et qui, parallèlement, disposent le moins de la maturité nécessaire pour résister à son impact, dans le cadre d’un classique conflit de désir inscrit dans un fonctionnement de type «névrotique». Si bien que l’on pourrait faire l’hypothèse que, sur fond d’adolescence et de puberté conçue comme un événement essentiellement sexuel, les fonctionnements psychiques qui sous tendent les comportements sexuels transgressifs s’ordonneraient autour de 3 pôles plus ou moins intriqués : | |||||
![]() ![]() ![]() le coup du pubertaire, et de la sexualisation des liens qui en résulte, provoque un déséquilibre narcissico objectal chez l’adolescent ce qui peut le conduire à rejeter tout ce qui vient de l’autre (y compris le désir qu’il suscite chez le sujet), pour ne pas risquer de se perdre dans cet autre et pour éviter ce faisant l’installation d’une dépendance à son égard. Cette inversion est d’autant plus à craindre que ce besoin de l’autre réactive chez l’adolescent des déceptions traumatiques antérieures, notamment dans les temps précoces de son développement. La transgression sexuelle apparait alors comme l’une des modalités disponibles pour résoudre ce paradoxe en réifiant l’autre dans le mouvement même qui vise à aller vers lui. C’est évidemment dans cette catégorie qu’il est le lus à craindre de se trouver confronté à des conduites inscrites dans la répétition, mais la place cruciale qu’occupe ici le processus adolescent, et la problématique narcissico objectale qu’il déclenche, devrait conduire à sursoir à tout diagnostic définitif. En effet, les exemples ne manquent pas de reprise d’un fonctionnement névrotique normal, une fois réduite la pression du pubertaire et l’intégration du corps sexué. Tout autant que la nature des faits, et plus que cette dernière dans les cas les plus «ordinaires», ce qui parait compter dans le cas qui nous occupe est, en conséquence, le fonctionnement psychique sous jacent à ces faits, leur motif pourrait-on dire en utilisant toute la polysémie du terme. C’est pourquoi une «hantise salutaire» devrait être prioritaire chez les intervenants : le souci d’éviter de prendre (et de faire prendre) la folie d’un moment pour la folie d’une existence, comme le disait Henri Ey dans un autre contexte.
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1 - Sources statistiques : MINJUS/SG/SDSE ; MINJUS/DACG. | |||||
2 - Le CESDIP est à la fois un laboratoire de recherches du CNRS, un
service d’études du
ministère de la Justice et, depuis le 1er janvier 2006, un laboratoire
de l’Université de
Versailles-Saint-Quentin. | |||||
3 -Véronique Le Goaziou, Laurent Mucchielli, Sophie Névanen, Faits de
violence et auteurs
mineurs dans la juridiction de Versailles (1993-2005), CESDIP, Janvier
2009 ; Véronique Le
Goaziou, Laurent Mucchielli, La violence des jeunes en question, Champ
Social Editions. | |||||