Sexologos  n° 35

Novembre     2009 

Arnaud  SEVENE

Publications


Le congrès de l’ICSM 2009 à Paris !


 

La qualité majeure des communications faites à l’ICSM qui s’est tenu à Paris en 2009 est liée à la volonté de l’équipe scientifique de présenter le résultat de ses travaux en s’appuyant sur un niveau de preuve. Il s’agit bien sûr de l’Evidencebased Medicine. Ainsi bon nombre de conclusions sont associées à une classification par grade (grade A, B, C).
L’Evidence-based Medecine consiste à baser les décisions cliniques, non seulement sur les connaissances théoriques, le jugement et l’expérience qui sont les principales composantes de la médecine traditionnelle, mais également sur des «preuves» scientifiques.
Il s’agit là de sensibiliser les cliniciens au fait que toutes les informations scientifiques publiées ne sont pas de la même qualité et qu’il existe des niveaux de preuves dans ces informations. Les cliniciens et les décideurs ne devraient se fonder que sur des données qui ne peuvent pas être contestées (en particuliers sur des essais cliniques randomisés).
 
Cette ambition reste le point essentiel de ce rassemblement des plus grands experts mondiaux en médecine sexuelle. Tous les grands noms étaient présents pour présenter le résultat de leurs Comités chargés de travailler d’un Congrès à l’autre, un thème particulier de médecine sexuelle.

Néanmoins il est possible de faire un certain nombre de commentaires :
Les efforts de l’ICSM ne portent plus cette année sur les définitions diagnostiques qui restent celles fixées en 2003 lors du congrès de l’ISSM à Paris.

Un certain nombre d’études ou de résultats qui nous ont été proposés me laissent un goût d’insatisfaction. Par exemple, lors des études sur les causes endocriniennes des dysfonctions sexuelles, alors que l’hyperprolactinémie nous semble être une cause habituelle de la baisse du désir sexuel, les études que l’on trouve dans la littérature ne sont pas claires : en effet, elles mettent surtout en évidence que les troubles sexuels peuvent résulter des autres effets secondaires liés à l’HPL (aménorrhée…). On arrive donc au paradoxe que l’on en vient à douter du rôle de l’hyperprolactinémie dans les troubles sexuels… ce qui est possible mais apporter des preuves au fait que les effets secondaires liés à l’HPL peuvent donner des troubles sexuels n’invalide pas le fait que l’HPL puisse avoir une action directe sur la sexualité… !
L’erreur serait de croire que ce qui n’est pas prouvé est faux. D’ailleurs dans un autre domaine, les études sur l’EP démontrent maintenant ce que l’on savait depuis des dizaines d’années sur l’effet des antidépresseurs sans l’avoir jamais démontré.

Car évidemment l’EP (ÉJACULATION RAPIDE) est à l’honneur, toujours soutenue par les présentations sur la dapoxetine (symposium satellite), non actuellement commercialisée en France. Il est maintenant habituel d’évoquer le rôle de la sérotonine dans la physiologie de l’éjaculation, voire dans l’étiologie de l’EP en suggérant la possibilité de niveaux anormalement bas de 5–HT dans les synapses du système nerveux central ou des variations dans la sensibilité des récepteurs 5-HT. Cela n’en fait pas la preuve… Par ailleurs, il est difficile de savoir si nous parlons de troubles de l’excitation sexuelle ou d’éjaculation. Les liens entre EP et DE restent complexes : en effet si beaucoup d’hommes rapportent une excitation sexuelle rapide (et intense) aboutissant à une éjaculation, un certain nombre d’entre eux peuvent décrire la survenue d’une éjaculation alors que l’excitation sexuelle est médiocre voire absente. Enfin il n’est pas inutile de rappeler que, contrairement à la DE, la prévalence de l’EP est identique à tout âge et qu’il faut tordre le coup définitivement à cette ancienne idée qu’elle diminuerait avec l’âge. A contrario, elle n’augmente pas avec l’âge alors que la DE augmente… En ce qui concerne l’efficacité de la dapoxetine (30mg et 60mg) calculée sur l’IELT (Intravaginal Ejaculatory Latency Time), l’IELT est significativement augmentée de 0.9 mn à 3.1 mn pour 30mg et 3.5 mn pour 60mg comparé à 1.9 mn sous placebo. La perception d’un meilleur contrôle comme la baisse de la souffrance liée à l’EP sont significativement améliorées par le traitement. Le problème principal sera probablement de savoir quelle sera l’adhésion à long terme des patients à ces traitements dans l’EP, l’expérience clinique nous ayant montré qu’ils étaient très souvent abandonnés. Enfin, en tant que sexologue, je reste toujours contrarié par une définition de l’EP basée sur le temps (1 mn) même si j’en comprends l’intérêt expérimental.

La question de la difficulté des interrogatoires en médecine (concernant la sexologie), notamment en raison du fait que cela était consommateur de temps, a été abordée au cours de ce congrès. Les échelles sont généralement peu utilisables en pratique clinique standard. Si l’IIEF récolte un grade A à l’ISCM, il faut reconnaître qu’elle s’avère en réalité totalement inutilisable en dehors de la recherche. D’autre part les échelles sont dépendantes de la nosologie contemporaine. A été souligné aussi le fait qu’il existait peu d’échelles concernant les homosexuels. Mais un participant a évoqué la difficulté à interroger les patients sur leurs préférences sexuelles. Une idée qui m’a semblé très intéressante a été celle de proposer et de mettre au point des «check lists» permettant d’explorer rapidement les troubles sexuels en consultation de médecine classique dont la BSSC (Brief Sexual Symtom Checklist). Une première question demande simplement si la personne est satisfaite de sa sexualité.
En cas de réponse positive, le questionnaire est arrêté. En cas de réponse négative, la question suivante évalue depuis combien de temps puis suivent 6 à 7 questions (selon le questionnaire homme ou femme) spécifiant si le problème porte sur telle ou telle dysfonction sexuelle. Une question supplémentaire est ouverte.
 
Enfin il est demandé de classer les problèmes par ordre d’importance (gêne). Le questionnaire se termine en demandant au patient s’il désire en parler avec son médecin. Ce questionnaire mérite absolument qu’on ne l’oublie pas !
Un certain nombre de recommandations applicables pour les études ou la clinique nous ont été proposées au cours de ce congrès. En voici quelques unes qui ont retenues mon attention :
- la place différente du désir dans la sexualité en fonction de la culture a été évoquée. En effet nous abordons le cycle sexuel «comme si» le désir était une composante indissociable de la fonction sexuelle sans tenir compte de la représentation culturelle de la sexualité ;
- la notion de plainte dans les études est souvent oubliée : non seulement elle est importante mais elle doit être considérée sur une durée au moins égale à 3 mois ;
- le manque de satisfaction sexuelle doit être relevé même en l’absence de symptôme sexuel ;
- Il faudrait s’accorder sur une définition de la satisfaction sexuelle.
- l’intervention des deux partenaires est requise, individuellement et ensemble.

Cette dernière proposition (recevoir les couples) a soulevé la discussion avec la salle la plus longue du congrès ! En effet la perspective de recevoir les couples induit une durée de consultation que bon nombre de praticien considèrent comme incompatible avec leur exercice. N’est pas sexologue qui veut !


Et en vrac :
- la transmission de l’herpès est de 5% en cas … d’abstinence ;
- l’intérêt des examens complémentaires en cas de dysfonction
érectile est remis à l’honneur puisqu’un grade B est accordé à plusieurs d’entre eux ;
- la sécurité des oestrogènes locaux est remise en question par la FDA ;
- compte-tenu des troubles sexuels liés au traitement des cancers de la prostate, une discussion sur le choix du traitement (hormonothérapie, type de chirurgie…) est indispensable ;
- il est recommandé de proposer une prothèse testiculaire en cas de cancer de testicule opéré, (cela se fait déjà couramment en France…) ;
- la circoncision réduit le risque de transmission HIV (grade A) mais il n’y a pas eu de discussion éthique sur une telle décision…;
- les études actuelles sont insuffisantes pour recommander l’utilisation de la testostérone chez la femme en pré ou post ménopause (grade A) ;
- un examen gynécologique de la femme vaginique ou dyspareunique, conduit correctement, en discutant avec la patiente du moment de l’examen, de qui est présent pendant l’examen, et de l’étendue de l’examen est hautement thérapeutique.


Si les résultats de l’ICSM en 2009 sont remarquables par l’effort de validation scientifique des thèmes abordés, il me semble que nous arrivons parfois à la limite de ce que le concept d’EBM peut nous apporter. Parfois certaines conclusions ont été surprenantes : ainsi la vestibulectomie figure encore en grade B aux recommandations pour le traitement des femmes avec vaginisme ou vestibulodynies… en totale contradiction d’ailleurs avec les propos de Julia
HEIMAN au Congrès de la WAS rapportés par Nicole ARNAUDBEAUCHAMPS (voir sexologos n°34). Finalement les études de la bibliographie démontrent bien plus des «non evidences» que des évidences. Certainement le manque d’études réalisées selon les standards recommandés est à l’origine de ce constat : combien d’erreurs dans les études, comme il l’a été souligné, sont liées aux facteurs associés qui ont été négligés? Ou même combien d’études sont orientées… ? D’ailleurs nombres de recommandations soulignent la nécessité d’études complémentaires.
Probablement faut-il accepter cette remise en chantier avant d’aboutir à quelques nouvelles certitudes… avant qu’elles soient de nouveau bousculées ! Néanmoins, ces conférences de consensus et recommandations, actualisées aux dernières données de la science, s’imposent comme des références incontournables. Nul doute que nous serons présent pour le prochain congrès de l’ICSM qui aura lieu, comme toujours à Paris, en 2012.
 

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