Publications

Assises Françaises 
de Sexologie
et de Santé Sexuelle
Lille 2009 

Présentation de deux personnalités historiques de la sexologie : Jacques Waynberg et Georges Abraham

 
Introduction de Mireille Bonnierbale qui présente deux personnalités historiques de la sexologie.

Jacques Waynberg qui est l’un des membres fondateurs de la sexologie française. Président de l’institut de sexologie, il a été directeur d’enseignement universitaire de sexologie en sexologie publique et il est également écrivain.

Georges Abraham, psychanalyste, il fut le premier Président de l’AIHUS, fondateur de la sexologie européenne, celui qui nous a aidé à démarrer tous les enseignements universitaires de sexologie, avec Willy Pasini, en France.
 
Mireille Bonierbale :
On leur a demandé d’être là parce qu’au fond il y avait une controverse importante à faire en sexologie c’est entre «sexe et amour». Qu’est ce qui fonde un couple ? L’un va défendre : le sexe, et l’autre : l’amour.
 
Jacques Waynberg :
Il était une fois la vie à deux. Et cette vie à deux c’est l’amour à deux, c’est le destin à deux, durable ou non, nous allons en évoquer les aléas.
Mais la vie à deux pourquoi faire ? C’est-à-dire au fond que ce matin nous ferions le lien entre tout ce qui peut se dire sur le plan de la thérapie pour donner du sens à nos actions et nos soins, et ce qui est peut-être intéressant c’est de savoir pourquoi il y a préméditation à vivre à deux.
Et qu’est ce qui est en jeu dans cette décision de mettre en commun du verbe et de la chair ?
Et au fond la question sur laquelle nous pourrions dialoguer : savoir pourquoi et en quel honneur on va se mettre à deux pour le faire ce parcours ?
Qu’est ce qui motive le choix inconscient de l’élection d’un ou d’une partenaire, du même sexe ou non, et qu’est ce qui, du point de vue de l’érotologue et du sexologue, va motiver le fait de se partager.
Voila un peu l’objectif, c’est-à-dire au fond de survoler les questions d’ordre clinique et pharmaceutique pour s’interroger sur le «pourquoi» de cette entreprise qui est donc le couple.
 
Georges Abraham :
Je ne sais pas si c’est un hasard ou une autre entreprise spatiale qui a envoyé récemment une sonde qui va être arrivée bientôt autour du soleil pour chercher désespérément à savoir si nous sommes seuls dans cet univers où les galaxies se multiplient parce qu’il y a quelque chose d’effrayant à être seul.
Donc il faut, pense-t-on, lutter, se protéger contre la solitude.
En réduisant la chose à l’échelle individuelle, on se dit avec les premières disputes, incompréhensions – quand on en a eu déjà dans sa famille d’origine, qu’il valait mieux être seul dans la vie, on aurait une autonomie…
Mais alors est ce qu’on peut vraiment être seul ? Quand on est seul avec soi-même on voit que ce n’est pas si bien que ça, mais peut-être qu’être à deux ça va compliquer les choses. Mais c’est mieux d’être malheureux à deux que d’être heureux seul.
Puisque le plaisir engendre la solitude….
 
J W :
être malheureux à deux…
Mais avant de savoir si on va être malheureux à deux, se quitter, rompre le contrat, je placerai la discussion, moi effectivement, sur le plan psychologique de cet isolement.
Mais la vraie question c’est de savoir au fond, dépassant le stade de l’adolescence, si cela est plus utile de jouir à deux que tout seul.
Et en réalité poussons plus loin encore l’audace verbale : c’est-à-dire, est ce que l’on se fait mieux jouir à deux que dans la masturbation ?
 
G A :
tu n’y vas pas par quatre chemins !
Tout de suite qu’il s’agisse de masturbation (il existe aussi la masturbation à deux) mais qu’il s’agisse de pénétration avec tout cet attirail de techniques, de mécanique…
Ce qui est en jeu c’est justement le plaisir, la gestion du plaisir !
La gestion du plaisir est beaucoup plus difficile qu’on ne le pense parce que le plaisir est fugace, tu penses que tu l’as atteint tu penses l’avoir pris dans tes mains, retenu et puis bon : déjà il a disparu !
Une phrase de Jacques Prévert qui me plait beaucoup : «Je me suis aperçu de la présence du plaisir par le petit bruit qu’il a fait en s’en allant.»
Donc à un moment donné, imaginons que les deux jouissent avec toutes les techniques, les positions, et à moment il y a l’un des deux qui peut être se sent traité d’une façon injuste: l’un dira à l’autre «Je m’aperçois que tu as plus de plaisir que moi.»
Et ce plaisir qui devait unir, sépare.
Parce que effectivement le plaisir est quelque de chose de tellement personnel, pour finir, qu’il engendre la solitude, nous y sommes de nouveau, il engendre la solitude.
Donc qu’est que j’en fais d’un plaisir tout seul ? Puisque c’est le plaisir lui-même qui me rend seul, qui m’isole.
Donc c’est mieux que je fasse un compromis avec l’autre pour partager ce plaisir qui sera amoindri de toute façon mais qui sera plus supportable.
 
J W :
Oui ! C’est-à-dire qu’en réalité on se trouve dans une théâtralisation utopique.
L’utopie étant d’espérer à deux faire mieux que tout seul. Et en même temps d’en être réduit à une certaine solitude dans l’exercice de la jouissance au sens de l’orgasme.
Ce qui est important peut-être ici c’est peut-être de donner plus de repères sur l’espérance de vie d’un couple, donc en effet de savoir si sur le plan de l’inconscient quelque chose agit au niveau du verbe et au niveau de l’inconscient dans le choix du partenaire, pour qu’il dure puisque nous parlons du couple, donc d’une rencontre qui n’est pas ponctuelle seulement, qui est une rencontre vouée à une certaine durée.
Donc quels sont, du point de vue du psychanalyste, les repères qui permettraient de penser qu’un couple s’est bien choisi et quel seraient du point de vue de l’érotologue, ces mêmes repères ?
 
G A :
Je vais essayer de répondre à cette question. Est-ce qu’un inconscient de
couple est concevable ?
Je pense que oui.
Je faisais allusion à la sonde spatiale mais maintenant je vais faire allusion aux arts martiaux orientaux.
Au karaté pourquoi je ferais cet effort chaque semaine, entrainement etc.?
C’est parce que j’utilise une sorte d’adversaire magique et mystérieux, contre lequel un jour je devrais me mesurer. C’est lui qui me donne la force.
Mais le couple va tout de suite se confronter dans son inconscient de couple à un personnage très semblable qui est «le couple idéal».
Et tout en sachant qu’on ne pourra pas atteindre ce couple idéal –comme l’adversaire de karaté rencontré dans la réalité- il s’avère que nous somme tous décevants.
On tient ce couple idéal à distance en se disant qu’on devrait pouvoir l’atteindre mais que de toute façon on ne pourra pas l’atteindre.
Et donc voila que ce personnage mystérieux -le couple idéal- est en même temps l’ami n°1 et l’ennemi n°1.
 
J W :
Alors c’est exactement la même chose sur le plan du vécu et de la chair puisque la représentation que peut avoir un couple qui s’entend bien –c’est la formule en français pour dire qu’il y a une demi-mesure tout de même à supporter, avec ses risques- s’établit en effet par rapport aussi au couple idéal qui, lui, peut être d’ailleurs formaté par la pornographie aujourd’hui ou formaté aussi par la volonté de guérir.
Un couple idéal c’est donc un couple en bonne santé et qui fonctionne bien sur le plan de sa génitalité mais surtout qui permet d’accéder à un degré de jouissance exemplaire ; il y a là aussi une bagarre permanente et cette bagarre peut être perdue et on expliquera tout à l’heure pourquoi
on rompt le contrat.
Ce qui ferait, sur le plan plus du vécu, office de plus grand risque –en tout cas dans l’exercice quotidien de cette théâtralisation– (c’est un thème que je développe depuis longtemps) – c’est le thème du dégout.
C’est-à-dire qu’au fond l’ennemi n°1 n’est pas seulement du point de vue de la chair, ce couple idéal auquel nous nous sommes habitués à rêver dès le plus jeune âge du reste, un ennemi qu’il faudrait que tu développes
maintenant est celui du couple parental qui sert au fond de modèle quand
même et qui va structurer l’inconscient des jeunes gens et des jeunes filles.
Et puis il y a cette notion sur laquelle je reviens dans un instant qui est la question du dégout.
Donc qu’en est-il du point de vue de l’inconscient du couple ? De la représentation du couple parental ?
 
G A :
Oui, de toute manière je placerai cet inconscient du couple à plusieurs étages.
Pour essayer un peu d’entrer dans les entrailles de la chose –parce que la notion de couple idéal c’est quand même une notion– donc c’est assez mentalisé, culturalisé, puis dans les modèles parentaux qu’en même temps on doit imiter et dépasser, ou que l’on doit combattre.
Mais il y a un étage de cet inconscient, une strate, une couche de cet inconscient du couple, qui est très proche de celle de l’amour –(amour que je devrais défendre enfin que je défendrai jusqu'au bout d’un certain point), parce que les émotions– dont l’amour – sont soumises à toute une
série de vicissitudes et où il y a un certain «caméléontisme» si on peut dire, puisqu’il y a des émotions qui subissent des commutations – par exemple j’ai peur que mon couple soit en danger, et tout d’un coup cette peur disparait et est remplacée par de la colère, donc de l’agressivité.
Alors on se dit : mais qu’est qu’ils font ? Ils veulent rester ensemble et puis ils commencent à se disputer. Cela ne va pas !
Alors arrivent les conseillers en sexologie, ils disent : «Ecoutez ! Même dans la boxe il y a des règles, des combats !!! »
Commutations : la peur se transforme en colère – parce qu’on se souvient que la colère était le seul moyen pour effacer la peur, ou bien la honte, de manière similaire, qui engendre la culpabilité qui se transforme soudainement en angoisse.
Mais il y a une chose encore plus subtile et malicieuse, si on peut dire car par principe l’inconscient est aussi malicieux.
En tout cas on trouve une sorte d’équilibre et de déséquilibre vertical qui concerne l’intensité de l’émotion , par exemple : on s’aime beaucoup et on le démontre par les gestes et tout à coup on peut se dire que la haine est plus forte que l’amour –alors à ce moment on commence à se haïr– c’est là que se trouve le gros malentendu contre lesquels il faut protéger les jeunes sexologues –on pense que c’est «foutu»– l’amour disparu est remplacé par la haine.
Non, il n’a pas disparu ! Ils se sont aperçu spontanément que l‘amour n’était pas assez fort dans l’expression. C’était trop en douceur, trop romantique. La haine c’est quelque chose de musclé et alors là il faudrait de nouveau aider ces gens à reconvertir la haine en amour, sous condition que l’amour devienne plus fort, qu’il progresse.
 
J W :
Ce qui pose la question de la définition de l’amour, en tout cas de son rôle
fonctionnel, pas une définition littéraire et esthétique, seulement qu’est ce qu’aimer l’autre ?
La seule expression en langue française que je trouve utile en sexologie – c’est le « faire l’amour ». C’est plus intéressant que de sauver son érection s’il n’y a pas preneur en face. Donc faire l’amour quel en serait la définition ? Les enjeux et les risques ? Faire l’amour c’est mettre ensemble de la chair – comme on l’a dit tout au début pour essayer de mieux faire quand étant seul pour accéder à ce niveau de conscience transformé qu’est la jouissance.
Pour mettre en jeu cette saynète il faut tolérer de l’autre un certain nombre de fluide, de lieu d’exercice des sphincters et cela implique que l’on annule le dégoût que cela inspire lorsqu’il s’agit d’un étranger.
Autrement dit la définition que l’on donnerait de l’amour c’est : « e vaccin du dégoût». Pour faire grandir l’amour il faut faire diminuer le dégout et là alors ce n’est pas très simple cette affaire.
 
G A :
En parlant de dégoût proprement dit, je crois qu’on va partir ensemble dans une couche sous-jacente à celle des émotions où on rencontre tout d’abord la couche sensorielle, des 5 sens. La couche sensorielle a aussi des possibilités de commutations fonctionnelles de type horizontal, puisque à un moment on dit «on va faire l’amour la lumière éteinte» ce qui va favoriser l’ouïe et le toucher par rapport à la vue ou alors en pleine lumière et alors peu importe ce qu’on se dit mais on se regarde s’il y a assez de sécrétion, d’érection, de contrôler les dimensions du pénis, des seins, enfin la cellulite (qui peut-être aussi excitante puisqu’elle est personnalisante), mais il y a aussi une perspective verticale.
Et au point sensoriel on le voit très bien quand on s’endort, le jour et la nuit.
Dans les saynètes de vendredi quelque chose m’a manqué – c’était toujours la prise en charge de personnages diurnes, avec leur langage, leur gestualité, enrobage culturel et jamais on ne parlait de ces couples de la nuit parce qu’il y a les couples du jour et ceux de la nuit qui sont très différents.
Tous les sens que sont les pont-levis sensoriels sont tous levés, chacun part pour un voyage «Oh chéri je t’aime tellement !» on va dormir et c’est terrible si on s’endort avant l’autre ! Et donc avant d’avoir les lits séparés il y a le sommeil séparé. Chacun va s’endormir à des heures différentes avec des rituels différents.
Mais alors qu’en est-il des sens de cette couche sensorielle quand les deux dorment ?
Il y a le rêve, une visualisation particulière. Je me tourne vers les organisateurs des Assises pour dire que l’année prochaine on devrait parler de rêve dans le couple. C’est une problématique que je suis depuis longtemps. Quand j’enseignais à l’université de Turin j’avais beaucoup d’aveugles de naissance alors je leur demandais s’ils faisaient des rêves ; leurs rêves sont exprimés d’une façon sonore, ils ne voient pas d’image mais c’est l’ouïe.
Mais après il y a tout une série de perspectives, c’est le toucher aussi qui est très présent dans l’état onirique, le goût et l’odorat sont moins présents.
Et pourtant pour l’homme diurne, l’odorat est très important parce ce que c’est un sens difficile qui peut engendrer le dégoût.
Par exemple : une personne âgée m’a dit un jour que sa fille avait quitté son ami parce qu’elle ne supportait plus son odeur. Personne ne le voyait ou le mesurait et pourtant elle ressentait du dégout.
 
J W :
C’est tout à fait sympathique de tomber ensemble de sommeil !
Un conseil des plus naïfs en pratique quotidienne c’est de demander (d’abord une question puis un conseil) à nos interlocuteurs s’ils dorment nus ? Et nous avons pratiquement toujours la même réponse : qu’ils ne dorment pas nus lorsqu’ils sont en conflit. Cela veut dire quand ils dorment nus, il y a un véritable vécu sensoriel, au niveau du toucher et sans doute de l’odorat dans le sommeil.
C’est là que pourrait débuter une vraie relation corps à corps dans le sommeil et dans le même lit.
Ce qui peut quand même compter dans cette volonté de réfléchir à ce qui lie et qui va délier les couples c’est l’empreinte infantile toujours dans cette perspective du dégout. C’est à dire qu’au fond, quelles seraient les empreintes de l’ordre de l’enfance au niveau sensoriel mais aussi au niveau de l’inconscient qui conditionnent le choix du partenaire, la stabilité du lien et éventuellement sa rupture ?
Donc du point de vue de l’inconscient de l’enfant qui se construit.
 
G A :
Bien évidement on a toujours la possibilité d’avoir recourt à l’horoscope, mais disons qu’au delà de l’horoscope, il y a toute la question de la génétique, épigénétique.
Dilemme éternel, parce que cela n’a jamais été résolu, on dit c’est déjà inscrit dans les gènes. Avant on disait que c’était inscrit dans les astres. C’est donc une sorte de «destinée».
Mais on sait que les gènes ne s’expriment pas toujours et peuvent rester silencieux ou se «silencier» comme on dit en biologie.
Par contre les évènements : il y a toujours cette lutte très présente en médecine, c’est disons la dialectique ou le combat, la confrontation entre la structure qui, en médecine amène au diagnostic ; en médecine sexologique, on peut dire que le diagnostic est basé sur un symptôme, on dit déficience érectile, déficience éjaculatoire, anorgasmie.
Je pensais aussi à « ysonirie» – c’est-à-dire un terme pour introduire que si on pense au rêve fonction ce n’est pas dit que l’on rêve toujours comme il faudrait que l’on rêve, parce que l’on peut se demander si nous n’influençons pas ce rêve ou si ce rêve ne nous influence pas, donc peut-être qu’il peut y avoir une pathologie de rêve qui pourrait être appelée «dysonirie».
Mais en tout cas, ce sont toujours des éléments symptomatiques et dans l’histoire de l’individu qui est faite de ces évènements, en partie imprévisibles, comment ces évènements sont-ils intégrés ?
Alors parce que tu parlais de l’enfance, on y vient.
Parlons du foetus – parce qu’on le dérange beaucoup avec l’échographie, on veut voir son sexe, comment il se présente et peut-être même que dans la vie fœtale on prépare le choix de son partenaire et c’est un aspect dommageable ! C’est parce qu’on y pense trop, on le prépare de manière constante, charnelle, et cela prépare à la déception parce que ce choix du couple est très imbibé du passé, très conditionné par la manière –oui je dois choisir quelqu’un– et on perd de vue le présent. Le présent c’est précieux, vivre le présent, voila il faudrait enseigner aux couples à vivre le présent.
 
J W :
Vivre le présent pour durer, ou vivre le présent pour inaugurer une relation de cette qualité là implique non seulement un savoir mais aussi des moyens d’ailleurs, du temps libre, et implique du talent et c’est là ou peut-être une sexologie plus humaniste qui tiendrait plus compte de ce que l’on se dit ici, pourrait en réalité ou est déjà en contradiction on avec la sexologie clinique, car nous faisons trop rapidement l’impasse sur deux
qualités humaines, manifestement mal distribuées, que sont l’intelligence et le talent esthétique.
Si bien que le risque que nous courrons, nous thérapeutes de la voie moyenne, de la voie statistique, qui fait penser que tout le monde a droit à un minimum de jouissance possible, fait, trop vite à mon sens, l’impasse sur ce qui nous différencie les uns des autres, mais qui fait aussi courir le risque qu’il y a des couples inaccessibles à un certain nombre de conseils au quotidien.
Je vais prendre un exemple un peu trivial qui est celui de la danse de salon, il y a des hommes et des femmes qui ne peuvent pas danser le tango et c’est définitif.
Le vrai problème du présent c’est le talent, car cet érotisme qui a pour vocation de contourner le dégoût et d’améliorer l’accès à la jouissance, il faut aussi que cet accès à la jouissance y soit composé comme une œuvre d’art et non pas simplement comme une preuve de bonne santé génitale.
Et c’est là où s’inscrit un autre domaine de la sexologie qui est une sexologie vouée à l’esthétique des corps même avec la cellulite.
 
G A :
Bon là tu vois, je te réponds un peu à ma manière. Il y a la confrontation entre la technique et la spontanéité.
Et la spontanéité implique aussi une certaine naïveté. Peu importe si la naïveté est artificielle ou vraiment naturelle car la technique a un passé. Pour construire une technique érotique il faut avoir toute une série d’expériences, d’entrainements. La technique vise peut-être à être perfectionnée et être transmise, mais le présent c’est la surprise. La femme est beaucoup plus sensible, plus disponible que l’homme : «ah je ne m’attendais pas à ça, magnifique !». L’amour surprise, ça relance un couple, tandis que l’homme devient un peu trop technicien.
 
J W :
Quel programme ! La spontanéité de la rencontre, tout d’un coup le miracle, un chef d’œuvre, pourquoi pas un samedi soir après la télé pendant sept minutes !!!
Oui, il faut que ça soit spontané, il faut que ça soit écrit quelque part, c’est un peu comme la musique, l’écriture automatique ou la musique contemporaine qui déstructure, qui dés-écrit si l’on peut dire.
Les handicaps incontournables sont les invariantes biologiques, c’est-à-dire que la surprise dans une rencontre, dans un coup de foutre formidablement structuré d’un point de vue de l’inconscient, des prémonitions esthétiques, etc., tout d’un coup cette rencontre, cette spontanéité va s’effondrer lorsque dans le premier coït encadré par un cadre ludique formidable, va se terminer par une éjaculation en quatre secondes. Donc on sent bien que cette spontanéité c’est un risque, parce qu’il faut lutter contre le corps. En réalité on évoque une lutte contre l’inconscient qui peut laisser des traces pénibles, on va évoquer la lutte contre le dégoût qui nous est naturelle et qu’il n’est pas question d’effacer et puis on va avoir une troisième lutte, la dernière (importante) qui est contre ses propres organes, parce que c’est avec ses organes que l’on va faire de l’extase. La distance est énorme. Et on ne peut pas se permettre de laisser les organes vivre leurs fonctions physiologiques en l’état, sinon les filles ne jouissent plus puisque le vagin ne sert à rien d’autre. Lors de la procréation, l’érection ne sert plus qu’à la semence.
Donc il faut lutter contre les organes.
 
G A :
Alors on arrive peut-être à la dernière couche de l’inconscient du couple, qui est la couche sensitive, pas sensorielle mais sensitive, là on se trouve devant des sensations qui correspondent presqu’à des bits dans le système informatif ou à des cellules, des gènes dans le système génétique. Ces unités subatomiques, qui viennent de notre corps, de notre organisme, et qui sont malgré tout assez personnalisées, parce que même avec la résonance magnétique, le nucléaire, on pensait voir la conscience, la pensée ; mais on y voit la différence individuelle, parce que l’on veut être comme les autres (on a un couple idéal en tête), mais en même temps on veut être différent. Il se pourrait même que harcelé par ce maudit couple idéal, tout à coup un couple peut décider de faire tout à fait différemment.
La transgression pour la transgression, pour être le couple anti-idéal par exemple. Mais tout ça c’est peut-être déjà inscrit quelque part, c’est là l’inconscient sensitif et on n’en arrive à ce que l’on pourrait appeler la mémoire corporelle.
C’est-à-dire qu’il y a eu des enregistrements, des engrammes, des fixations et, va savoir pourquoi, par moment le corps choisit de fixer surtout des engrammes de plaisir, de jouissance immédiate, par exemple dans l’éjaculation précoce on a l’impression que le corps n’a enregistré que ça, donc il explose.
Tandis que parfois c’est l’enregistrement opposé, de quelque chose de négatif, par exemple l’éjaculateur difficile, en augmentation du point de vue clinique, on dirait que lui, dans la relation sexuelle, n’a enregistré surtout que ce contrôle sur lui-même, sur sa jouissance et sur la partenaire de manière telle que pour lui l’explosion de la jouissance devient difficile.
Parce qu’il y a tout un mécanisme cellulaire, on discutait de l’orgasme, on faisait remarquer alors que l’orgasme masculin est de quelque façon obligatoire, l’orgasme féminin c’est un choix, donc entre en scène la liberté.
On pourrait évoquer Jean-Paul Sartre : «On est condamné à être libre». Donc on doit choisir tout le temps ! La femme serait un être humain plus avancé que l’homme parce qu’ «elle doit choisir tout le temps».
Mais ces choix, à quel niveau ont-ils lieu ?
C’est vraiment un truc mental, réfléchi, non moi je crois que l’on doit préconiser une liberté cellulaire, c’est-à-dire que les cellules ont déjà choisi de fixer certains engrammes, d’en refuser d’autres, ça pourrait valoir pour des maladies physiques importantes, parce que voila tout à coup les cellules ont décidé d’organiser cette pathologie plutôt qu’une santé qui est peut-être trop monotone, trop normative. !!
 
J W :
Je crois que nous arrivons à la dernière phase de notre soi-disant polémique, qui semblait très proche dans nos conceptions, sur le mot formidable, il faut que nous nous quittions sur ce terme là, qui est charnière et qui est oublié totalement et qui est le mot de « liberté ».
Puisque c’est tout de même autour de ce concept de liberté que nous devons parfois avoir l’honnêteté de nous désister devant des projets de soins. Autour de ce mot de liberté que nous devons aborder différemment
la question du choix homosexuel.
Autour de cette question de liberté que nous devons accompagner des couples qui ont besoin de se séparer.
La liberté de jouir ou de ne pas jouir, et peut-être de jouir en quatre secondes si on lui donne du sens. C’est autour de ce mot fort que doit se constituer la prise en charge thérapeutique et non pas autour d’une notion parfaitement abstraite et qui d’une certaine façon n’est pas démocratique, contrairement à son apparence, qui est la question de la santé.
Car la santé implique un certain nombre d’attendus en amont en particulier d’ordre politique, d’ordre religieux, d’ordre financier.
Pardon pour ici et dans ce cénacle l’évoquer, mais lorsque j’animais une consultation gratuite à Saint Louis, il m’était impossible de préconiser un certain nombre de drogues, tout simplement à des immigrés, des personnes très socialement défavorisées à qui je ne pouvais pas préconiser l’achat d’une boite de médicaments miracles à 100 €.
Donc le concept de santé est un piège manifeste, il faut le dire ici et nous avons peu de temps encore à vivre pour l’affirmer, profitons en !
Mais c’est un piège terrible sur le plan philosophique et sur le plan humain. La santé a trop d’implications d’ordre politique et financier pour être «la solution».
La solution c’est une réflexion éthique sur la notion de liberté et y compris la liberté de ne pas guérir.
 
G A :
Tu as évoqué l’homosexualité et j’ai lu, il n’y a pas longtemps dans un journal italien, l’interview que l’on faisait d’ un homme de Turin qui était connu pour être une sorte d’étendard de la liberté homosexuelle, disons un lutteur. Et on y disait dans cette interview assez récente : «vous avez obtenu beaucoup de la société, il y une certaine tolérance ce qui n’existait pas avant, la compréhension, vous pouvez vous pacser, vous marier en Espagne par exemple.
Vous pouvez même adopter, bon il y a encore des réticences. Qu’est que vous voulez donc de plus ?».
Sa réponse était, je trouve, formidable. Il a dit : «Nous voudrions, nous homosexuels, le droit de pouvoir être dans le ménage aussi malheureux que les hétérosexuels !».
Donc voila la liberté d’être malheureux !
 
J W :
Pour finir, est ce que nous avons sur le plan donc en effet du travail verbal et du travail de l’inconscient des repères à identifier qui vont présider à la rupture du couple. Et ensuite, je terminerai sur les repères d’ordre charnel qui, bien évidement, nous sont plus familiers.
Que dit l’inconscient dans la rupture ?
Qu’est qu’il résout comme conflits ? Et quelles sont les récompenses qui suivent la question de la rupture ?
 
G A :
Tu sais, parfois je me suis dit comme psychiatre que c’était plus difficile de soigner un couple en difficulté que de soigner un psychotique. Parce que justement le psychotique tu as quand même des points de repères beaucoup plus consistants, il y a la possibilité de toucher à des limites, à des frontières, donc à une norme.
Tandis que là justement, le couple idéal on s’en moque pour finir. C’est donc même un danger !! Et pourtant on assiste à des ruptures, et même on assiste à des ruptures après avoir eu l’illusion qu’on pourrait recoller les pots cassés.
Par moment on s’est séparé parce qu’on avait trop peur de la dépendance que l’on avait envers le partenaire. On subissait une telle influence de lui, de l’autre, que c’était mieux de couper avant que ça soit trop tard, avant qu’on soit phagocyté.
 
J W :
 Evidemment, le motif qui nous préoccupe plus en clinique sexologique, c’est cette notion de sexothérapie comme s’il fallait soigner à la fois la paresse des organes, leur fantaisie, ce qui est confronté dans les séparations qui nous sont confiées, ou dans les risques de séparation, c’est une trop grande distance qui est prise entre les partenaires par rapport à cet idéal de jouissance qui a été la promesse initiale par rapport à ce couple érotique idéal.
Nous découvrons donc qu’il y a deux types de couples dans cet idéal de la rencontre : - couple sentimental qui s’appuie sur des repères liés à l’enfance et à l’exemple parental, familial, religieux (religieux pourquoi nous n’en parlons pas ici nous devrions évoquer cette dimension, pas le temps !) ; - mais ce qui est notre lot quotidien c’est la distorsion sur le plan de la réussite de la jouissance. Et notre rôle est effectivement de rappeler cette liberté de ne pas mettre en jeu le couple mais en même temps de l’accompagner si la distorsion est grande, parce que c’est de la jouissance malgré tout et non pas simplement de l’exercice de la génitalité dont il va être question dans la rupture.
- Et puis la longévité dont il faut bien que nous parlions un peu, fait que l’usure des rituels va aussi faire son effet néfaste et produire au fond cette peur de l’immersion que tu évoquais. Il y a donc une immersion au niveau du moi qui ne se développe plus et qui a peur d’être enfermé, et puis une immersion dans un rituel de jouissance qui s’épuise.
 
G A :
la rupture d’un couple c’est assez souvent en vue de la reconstruction d’un autre couple, les fameuses familles recomposées.
Je me souviens avoir été consulté pour ça récemment : une femme, plus âgée que l’homme dont elle est tombée follement amoureuse, est mariée depuis pas mal d’années, avec des enfants déjà pratiquement adultes. Elle tombe donc follement amoureuse d’un collègue qui a une dizaine d’année de moins qu’elle, il est lui aussi marié avec deux jeunes enfants. Alors le gros problème, parce que lui aussi est follement amoureux, c’est qu’il sollicite de cette femme qu’elle quitte son mari. Elle hésite un peu pour se mettre ensemble parce que c’est l’apothéose de l’amour, il y a un peu d’hésitation de sa part à elle, non seulement parce qu’elle se sentait coupable vis-à-vis de ses enfants, mais aussi à cause des jeunes enfants de son amoureux, qu’il allait quitter pour elle.
Cette femme venait, un peu désespérée, mais en même temps très convaincue d’aimer cet homme à la folie, d’ailleurs elle est venue une fois avec lui.
Il lui a dit : «Ecoutes, il faut que tu décides, tu le sais, on s’aime beaucoup» c’était donc la reconstruction d’un couple presque idéal.
Les deux autres couples étaient condamnés de cette manière. Alors un jour je dis à cette femme : « je vous ai vu quelque fois, pas beaucoup, mais écoutez vraiment on dirait que vous avez atteint dans votre passion
amoureuse le mieux que l’on puisse obtenir, parce qu’il y a beaucoup de sentiments, beaucoup de sexe, etc ». Oui elle a admis que vraiment c’était paradisiaque, ou presque.
Alors je dis : « vous avez parlé aussi de vos fantasmes ? ». Elle répond : « On parle de techniques, de changer de positions, toutes les possibilités admises, bien sûr qu’on a parlé de fantasmes, on les a tous évoqués, on est très libres ». Alors je lui dis : «Est-ce que vous pouvez me faire une hiérarchie de ces fantasmes? ».
Il y a un petit moment d’hésitation puis elle répond : «Ecoutez, je dois vous avouer que mon fantasme le plus excitant serait de faire l’amour avec plusieurs hommes à la fois mais il ne doit absolument pas y avoir d’autres femmes.». Etant plus âgée que lui, si beaucoup d’hommes la désirent, ça complète l’apothéose, mais s’il y a une autre femme concurrente, une rivale plus jeune c’est fini !
« Et lui votre chéri, quelle est sa hiérarchie ? »
puisque c’est exactement pareil ? Elle est un peu tristounette et dit «malheureusement c’est l’opposé ! Parce que lui voudrait que l’on fasse l’amour avec au moins deux femmes, ce que je ne peux pas accepter.».
« Oui, mais lui est ce qu’il accepterait que vous fassiez l’amour avec plusieurs hommes ? »
« Ah non lui n’est pas d’accord, non pas d’autres hommes. ».
Pas d’autres hommes, pas d’autres femmes, alors que c’est le fantasme numéro 1. Donc je lui dis : «Mais alors c’est « fichu » ! ». Parce que si à un moment donné vous devez donner plus de force au fantasme vous allez vous cogner avec deux fantasmes complètement opposés.
Figurez vous que ce fut une prise de conscience, ils ont renoncé tous les deux à rompre et à construire le château de carte.
 
J W :
Nous devons conclure. Au fond le récit de tous nos cas cliniques vont déboucher à la fois sur le thème de la liberté qu’il faudrait conserver en tête et puis tout simplement de manière plus pragmatique encore, dans tous les interrogatoires qui nous sont rendus utiles, quelque soit la position professionnelle qui est la nôtre, il s’agit à ce moment de s’interroger sur la fonction de cette sexualité dont on parle.
A quoi cela sert-il ? A quoi cela sert-il à la fois pour exprimer la liberté de l’individu et son développement et sa noblesse.
 
On vous remercie.
 
 

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