Ne
voyez pas dans la formulation
du titre la seule injonction
qu’elle suppose. Ce n’est pas
mon propos, et dans ce domaine : l’érotisme
ou l’érotique, si injonction il y a,
elle ne peut être que paradoxale.
L’érotisme ne se décrète pas ; il est ou il
n’est pas, c’est bien là le problème. Il
est des rendez-vous manqués.
L’érotisme n’est pas tant dans la
posture que dans la suggestion.
BARTHES disait que «l’érotisme
c’est lorsque le vêtement baille». Coin de
peau entre aperçu qui en dit plus que ce
qu’on en voit. Vous savez bien que «le
meilleur moment de l’amour, c’est
quand on monte l’escalier», comme le
disait CLEMENCEAU. Si l’érotisme
peut se mettre en scène, il lui faut un
théâtre. Le lieu de l’érotique est d’abord
dans l’imaginaire, préalable nécessaire
qui, au filtre de nos cultures, habille le
désir et le tend vers cette «communauté
charnelle» dont parle LEVINAS, cette
«communauté du sentant et du senti».
Il est le lieu où se formule l’espérance
d’une rencontre, d’une coïncidence, que
Paul RIQUEUR définit comme merveille,
errance et énigme, espace où chacun
de nous est confronté à sa capacité
créatrice vers une assomption festive.
Comme le rire, l’érotisme serait le
propre de l’homme ; les deux ont leur
éclat.
L’érotisme donc, dérivé du nom
d’Eros, dieu de l’amour, englobe
tout ce qui est propre à rappeler
l’amour physique. Ça émoustille les
sens, ça excite, ça laisse présager, ça autorise
à envisager, ça permet le «plus si
affinité». Très simplement le Petit
Larousse en donne la définition suivante
: «recherche variée de l’excitation
sexuelle». Les vecteurs en sont multiples
et à côté des nombreuses expressions
artistiques, qu’elles soient écrites ou
visuelles, il y a d’abord ceux de notre
éprouvé quotidien: une situation, un
objet, une parure, une attitude, un parfum,
un regard. L’érotisme s’inscrit
d’abord dans l’implicite, mais ne nous
parle que d’une chose: notre sexualité.
Et sur cette partition, il en sera la clé et
le rythme, bref un dynamique signe de
bonne santé.
Là est notre objet: la santé sexuelle
et notre préoccupation, en tant
que professionnels, auprès de nos
patients. Je souhaiterai rappeler ce qu’en
disait notre président, Marc GANEM,
dans la séance inaugurale du Congrès
Mondial de Sexologie à Montréal :
«La Santé Sexuelle est un état de bienêtre
physique, émotionnel, mental et
social associé à la sexualité. Elle ne
consiste pas uniquement en l’absence de
maladie, de dysfonction ou d’infirmité.
La Santé Sexuelle a besoin d’une
approche positive et respectueuse de la
sexualité et des relations sexuelles, et
est la possibilité d’avoir des expériences
sexuelles qui apportent du plaisir en
toute sécurité et sans contrainte, discrimination
ou violence.»
L’OMS définit, en 1975, la santé
sexuelle comme: «l’intégration des
aspects somatiques, affectifs, intellectuels
et sociaux de l’être sexué de façon
à parvenir à un enrichissement et un
épanouissement de la personnalité
humaine, de la communication et de
l’amour.». En 2000, l’OMS précise:
«La santé sexuelle résulte naturellement
de l’expression libre et responsable
des capacités sexuelles, encourageant
le bien être personnel et
enrichissant la vie individuelle et
sociale…. ».
«Capacités sexuelles», «expression libre»,
qui parle de santé sexuelle sait son
contraire : l’incapacité, l’impossibilité, la
défaillance toute chose qui entraîne la
plainte et suppose le soin, le remède.
Ces dernières décennies, nous ont
permis une connaissance de plus
en plus précise de la fonction
sexuelle dans ses dimensions anatomique,
biologique, physiologique, neurobiochimique,
ce qui nous permet
d’avoir à notre disposition de nouveaux
moyens dans la prise en charge du dysfonctionnement
sexuel; et notre
connaissance ira plus avant encore.
Certains auteurs ont pu parler de
«Sexualités Médicalement Assistées»
(Armand LEQUEUX), alors que
d’autres s’interrogent sur le rôle de cette
médicalisation dans la diffusion auprès
du public d’un schéma de bon fonctionnement
sexuel (Michel BOZON).
Nouvelles balises dans une époque qui
promeut la «logique sociale de la performance»
telle qu’a pu la décrire le sociologue
Alain EHRENBERG, époque où la principale
performance serait celle de réussir sur les plans
de l’épanouissement personnel, sexuel et
conjugal, professionnel et social, époque où le
droit légitime à la santé flirte avec le devoir de
santé, de jeunesse, de longévité et de vigueur
sexuelle. Fantasme de puissance et de jouissance,
le paradigme de la performance que
sous-tend l’idéologie individualiste, transformerait
alors le désir en besoin et la conflictualité
propre à l’humain en «fatigue d’être soi» à force d’obligations d’efficacité voire d’excellence
avec le revers de l’échec toujours possible
et le questionnement obsédant d’être ou
ne pas être à la hauteur.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la
sexologie moderne, son objet: la
sexualité et son but: la santé sexuelle.
Comme toute science, elle explore et construit
son objet plus qu’elle ne le découvre. Et dans
le même temps le problématise créant ainsi un
modèle de solution. Aucune société n’a laissé
la sexualité sans discours, sans repère, sans
contrainte, sans prescription. Ce qui pourrait
être, aujourd’hui sur le sujet, la caractéristique
de nos sociétés occidentales, est la nature
même de ce discours: discours avant tout
médical d’une sexologie qui se voudrait fonctionnelle,
privilégiant une pragmatique de
l’efficacité au détriment d’un ordre symbolique
qui pourtant, nous institue comme sujet.
Il ne faudrait pas qu’autour de la sexualité,
de nos jours, les prescriptions ne se fassent
plus que sur ordonnance. L’émergence de cette
«nouvelle médecine»: la médecine sexuelle,
ne doit pas faire de la sexualité humaine
qu’elle objective, une «activité» qui ne soit
qu’hormonale, neuro-transmise et vaso-active
au risque alors d’être effectivement pourvoyeuse
d’une normativité qui ne serait qu’une
déclinaison de plus de préceptes hygiénistes.
Michel FOUCAULT avait-il raison
quand il décrivait une «scientia
sexualis» supplantant un «ars érotica» ?
Mais quand le temps du trouble advient,
alors nous accueillons la plainte.
Chacun d’entre nous ici, a rencontré cet
homme qui n’y arrive plus comme avant ou
qui va trop vite, le laissant dans l’amertume
d’un goût de trop peu et dans l’abandon d’une
partenaire qui s’en retourne.
Chacun d’entre nous ici, a rencontré cette
femme infranchissable qui n’y arrive pas ou
cette autre pour qui ça fait toujours mal et puis
celle qui n’y sent jamais rien, pour la plupart
confrontées aux sollicitations pressantes d’un
partenaire impatient. Avant que ne s’installe le
temps de l’indifférence.
Ce jour là il/elle sera peut être seul devant
vous mais, dans bien des cas, il/elle viendra
pour l’autre. Même si ensemble ils franchissent
les portes de votre cabinet, ils ne manqueront
pas de vous dire alors, ce sentiment de différence
voire d’anormalité. Ils vous expliqueront
ce temps de l’impossibilité et de
l’incapacité, ce temps qui souvent laisse dans
la honte et l’humiliation. Ce temps où l’excuse
n’est qu’une redite de la défaite. Et la perte du
désir, l’occurrence de la défaillance.
Car un jour, il y a de fortes probabilités que
tous vous disent: «ça ne me dit plus rien».
Pourtant, il faut croire qu’ils s’en disent encore
quelque chose puisqu’ils sont là à vous consulter.
Alors quel est le sens de ce constat de
mutité ? ; qu’est-ce qui ne dit plus rien ?
Qu’est-ce qui ne parle plus ? Qu’ont-ils du
mal à entendre ?
Le trouble sexuel, quelque soit son étiologie,
a une qualité particulière, celle de
son incidence psychologique ; il est blessure
narcissique, porte en lui la perte de l’estime
de soi et le doute, autant d’incidence
qui par «feed-back» renforce la défaillance et
capte l’attention dans une interaction morbide.
L’homme, la femme défaillants et leur partenaire,
sont en alerte, obsédés par un scénario
qu’ils connaissent trop bien et qu’ils savent
répétitif, quitte à le reconduire. Les esprits
sont envahis, les corps ne vibrent plus, tendus
qu’ils sont, vers cette logique de l’échec. Ca
n’excite plus, ça n’émoustille plus, c’est silencieux,
ça ne parle plus. La dysfonction sexuelle
aura dés-érotisé la rencontre. L’érotisme perdu
laisse les corps nus et muets.
Or, les différents moyens thérapeutiques
actuels à notre disposition, s’ils restituent, la
plupart du temps, la fonction, n’en demeurent
pas moins les échos des manques passés. Parce
qu’ils sont les objets métonymiques du
trouble, leur maniement nécessite l’accompagnement
et la prise en compte de la spécificité
de la sexualité humaine qui ne se résume
pas à une fonction : la fonction sexuelle, pas
plus qu’elle ne se résout à un agir : l’acte sexuel
; je rappellerai qu’elle est d’abord un éprouvé
qui nous porte dans le sensible, et nous met
face à l’inobservable et au difficilement quantifiable.
Ce maniement nécessite aussi la prise en compte de
l’idiosyncrasie particulière qui surligne la dysfonction
sexuelle. Nous avons tous noté, dans nos pratiques, cet
écart entre le symptôme objectivé et la dimension subjective
mise en œuvre dans les réponses ou les nonréponses
propres à chacun de nos patients. C’est exactement,
à mon sens, à l’endroit de cet écart là que se
fonde notre rôle de sexologue car il est ce lieu où l’on
pourra conjuguer notre savoir biologique de la sexualité
humaine à une écoute attentive, neutre et bienveillante
de l’impact psychologique de la défaillance. Il est ce lieu
où l’on permettra, favorisera et autorisera la parole, seul
vecteur qui redonnera sens à la rencontre sexuelle. Ce sens
du symbolique qui mettra les peurs dans la perspective
de chaque histoire singulière. Mais aussi, ce sens de l’implicite
dont je parlais plus au haut pour que la sexualité
parle à nouveau. En pratique, je privilégie pour ma part,
la prise en charge du symptôme sexuel dans le couple.
Cette démarche permet de poser d’emblée l’échange,
de permettre aux regards de se croiser à nouveau dans un
discours qui parlera, bien sûr, de souffrance mais dans le
champ d’un intime à nouveau partagé. D’autres préfèreront
les approches individuelles comportementales ou
psychocorporelles ; aucune n’est exclusive l’une de l’autre,
pour lever l’empêchement à la libre expression dont il est
question dans la définition de l’OMS pour une bonne
santé sexuelle.
En tant que professionnels, nous avons donc le
devoir de ne pas évacuer ce sensible et ce subtil qui
placent la sexualité humaine dans cet indissociable
du corps et de l’esprit et le rapport sexuel dans l’énigme
de cette rencontre érotique de l’autre. Nous devons exercer
notre savoir, notre écoute et notre agir thérapeutique
dans cette perspective de réassignation érotique
d’un acte où la défaillance conduit l’émotion sur des
rives moins festives.
Mais dans notre désir de guérir, notre pratique thérapeutique
doit dans tous les cas s’arrêter à la
porte de l’intime de l’autre. Nos interventions
ne peuvent faire l’économie d’une éthique incontournable
et infaillible. Je rappellerai le Code d’Ethique de la
SFSC qui érige en règle absolue «l’abstinence sexuelle bilatérale» et précise que le thérapeute «ne se prête à aucun
ébat sexuel en colloque singulier comme en collectif thérapeutique» et qu’il «ne recherche jamais l’état d’excitation
sexuelle chez ses patients par des manœuvres corporelles
quelles qu’elles soient». Je rappellerai ce que
disait Marc GANEM à Montréal et qui va dans le même
sens: «Afin d’atteindre et de maintenir la Santé Sexuelle,
les droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés,
protégés et assurés». Enfin, je rappellerai le serment
que bons nombres d’entre nous ont prêté un jour, le serment
d’HIPPOCRATE : «Je ne tromperai jamais leur
confiance et n'exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances
pour forcer les consciences (….) Reçu(e) à l'intérieur
des maisons, je respecterai les secrets des foyers et
ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs».
Au-delà de sa nécessité même, l’éthique est constitutive
du soin. Ce qui valide nos prises en charges,
ce ne sont pas seulement les éléments d’un savoir,
mais l’absolu respect de l’autre comme sujet, et au bout
du compte, l’indispensable respect de soi-même.
Oui, nous avons aussi le devoir de ne pas oublier qu’Eros
est fils de Chaos.
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