Sexologos  n° 27

NMars   2007 

Pierre FOLDES

Publications
 

Chirurgie plastique reconstructrice de l’excision et des mutilations sexuelles.

 

 POINT D’ÉTAPE


A la fin de l’année 2006, 2100 femmes excisées ont été opérées selon la technique du double lambeau cutané, selon une technique reproductible depuis huit ans et publiée en 2004 et en 2006. L’expérience a débuté il y a 25 ans, au retour de missions d’évaluation en Afrique sub-saharienne pour le compte de l’organisation mondiale de la santé.
On estime à 135 millions le nombre de femmes qui ont été victimes d’une mutilation sexuelle rituelle.
Bien qu’interdite par un nombre croissant de pays, cette pratique perdure, source de séquelles psychologiques, anatomiques et fonctionnelles.
Autant les complications urologiques, gynécologiques ou obstétricales de l’excision ont été étudiées et peuvent faire l’objet d’une prise en charge chirurgicale maintenant bien décrite, autant la perte de la fonction clitoridienne a été jusque-là peu investie.
Nous avons mis au point une technique de réparation chirurgicale du clitoris, réparation pour laquelle nous rencontrons une demande croissante.
De plus en plus de chirurgiens vont devoir s’impliquer dans cette prise en charge et il nous paraît indispensable de présenter les résultats obtenus, tant anatomiques que fonctionnels.
Une série de 453 cas complètement évalués avec un recul de plus de six mois a fait l’objet d’une publication récente avec Christine Louis Sylvestre.
Toutes les patientes opérées entre 1992 et 2005 ont été incluses dans cette étude prospective. Elles avaient toutes eu des mutilations de type II (excision du capuchon
et du gland avec une partie plus ou moins grande des petites lèvres) ou III (infibulation : excision d’une partie plus ou moins grande des organes génitaux externes avec suture plus ou moins étendue des deux côtés entre eux) de la classification de l’OMS.
Lors de la consultation préopératoire, l’intervention a été expliquée avec des photographies du résultat final.
La gêne fonctionnelle préopératoire a été évaluée selon deux axes : douleur dans la région clitoridienne et retentissement de la mutilation sur le plaisir pendant l’acte sexuel.

Évaluation préopératoire du retentissement de la mutilation chez 453 patientes
Douleur
Pas de douleur 220 (49 %)
Gêne légère pendant RS 97 (21 %)
Douleur modérée pendant RS 78 (17 %)
Douleur forte à intolérable pendant RS 38 (8 %)
Douleur en dehors des RS 17 (4 %)

Plaisir clitoridien
Jamais 173 (38 %)
Sensation discrète 94 (21 %)
Plaisant sans orgasme 171 (38 %)
Orgasme restreint par la mutilation 8 (2 %)
Orgasme sans restriction 2

Les douleurs sont de deux types : douleurs observées lors de toute mobilisation (à la marche par exemple), liées à la fixité du moignon clitoridien, et douleurs pendant les rapports.
Celles-ci sont liées d’une part au contact sur la zone cicatricielle et d’autre part à la mise sous tension de la région lors de certaines positions (comme la position du missionnaire avec cuisses en hyper flexion).
En ce qui concerne le retentissement sur le plaisir, nous avons distingué les patientes qui avaient des sensations clitoridiennes discrètes, celles qui ressentaient des sensations plaisantes sans orgasme, celles qui bien qu’obtenant un orgasme le pensaient inférieur à ce qu’il aurait pu être, et celles qui pensaient avoir un orgasme clitoridien normal.


TECHNIQUE

Nous avons déjà décrit l’intervention lors d’un article préliminaire :
Brièvement, la peau couvrant le moignon clitoridien est réséquée, le moignon est saisi, puis le ligament suspenseur du clitoris est progressivement sectionné de manière à ce que l’extrémité du clitoris soit largement mobilisable. (Images 1, 2,3) Cela sépare le moignon de
son adhérence pubienne, le ramenant en bas et en avant. L’extrémité est progressivement libérée du tissu cicatriciel en réséquant les couches scléreuses jusqu’à mettre à nu le tissu sain. (Image 4) Le néo gland ainsi dégagé est fixé en position physiologique par un hémi
surjet inférieur prenant largement la sclérose et la souspeau de l’extrémité inférieure de l’incision cutanée initiale.
(Image 5) Un surjet prenant le périoste et interposant les deux muscles bulbo caverneux au-dessus du gland prévient sa réascension. La partie supérieure de l’incision cutanée est ensuite suturée en deux plans. (Image 6) Les patientes ont été revues à j15, j45, puis quatre à six mois après l’intervention et, pour certaines seulement, encore plus à distance. Le résultat anatomique postopératoire a été jugé par le chirurgien à l’aide d’une échelle allant de 0 à 5, chaque note correspondant à une description anatomique.


RÉSULTATS

Évaluation des 453 patientes, six mois après l’intervention

Anatomie du néo clitoris

Pas ou peu de changement 3
Palpable mais non visible 50 (11 %)
Saillie clitoridienne visible 135 (30 %)
Gland exposé sans capuchon 168 (37 %)
Proche de la normale 97 (21 %)

Le résultat fonctionnel a été évalué par l’interrogatoire en six catégories.

Douleur, pas de plaisir 1
Gêne légère 13 (3 %)
Petite amélioration, pas de douleur 84 (19 %)
Réelle amélioration sans orgasme 146 (32 %)
Orgasme clitoridien parfois 130 (29 %)
Orgasme clitoridien parfois 130 (29 %)
Sexualité clitoridienne normale 65 (14 %)

Une couverture cutanée excessive survenant progressivement à distance est déplorée par 7 % des patientes alors que l’aspect postopératoire initial les satisfaisait.
Cela a concerné surtout des patientes obèses et semble favorisé par un excès d’activité physique précoce.
L’âge moyen au moment de l’excision était de 5,4 ± 4,15 ans (extrêmes trois mois à 20 ans). L’âge moyen au moment de l’intervention réparatrice était de 29,65 ± 7,6 ans (extrêmes 18 à 63 ans Dans tous les cas, l’hospitalisation a été de 24 heures. L’intervention a toujours duré moins de 45 minutes, et toutes les patientes sont sorties le lendemain de l’intervention. Les complications précoces (dix premiers jours) comportent 21 hématomes,
32 lâchages de suture, 49 pertes sales ou purulentes, 5 cas fortement douloureux. Les lâchages de suture requièrent uniquement des soins locaux lorsque seule la peau est concernée. Sur les huit cas repris, six l’ont été dans un hôpital proche du domicile, où la patiente avait consulté en urgence et où le chirurgien n’était pas familier de ce type d’intervention et de ses suites. En ce qui nous concerne nous n’avons effectué que deux reprises qui ont consisté à rapprocher les muscles bulbo caverneux dont l’adossement avait lâché, provoquant une réascension du clitoris. Deux des huit reprises ont nécessité une hospitalisation, les autres ont pu être réalisées en ambulatoire sous anesthésie locale. Dans aucun cas le résultat esthétique final n’a été altéré.

 

Image 1 incision cutanée

 

 

Image 2 Abord Moignon
 

 

Image 3 Libération du moignon

 

Image 4 Résection cicatricielle

 

 

 

Image 5 Réimplantation

 

Image 6 Aspect post opératoire

 

Image 7 Plastie de reconstruction labiale

 


Les hématomes se résorbent spontanément le plus souvent, et nécessitent une évacuation chirurgicale dans moins de la moitié des cas. Seuls deux cas ont nécessité un réel geste d’hémostase, les autres ont simplement été évacués, sans drainage. Certaines patientes signalent des pertes sales qui nécessitent des soins locaux. Une antibiothérapie est prescrite uniquement en présence de signes généraux (fébricule dans 60 % des cas). Nous n’avons relevé aucune complication tardive hormis, dans quatre cas, des cicatrices
sensibles à quatre mois. Ce symptôme disparaît dans tous les cas à un an.


DISCUSSION

Notre expérience sur 453 patientes maintenant complètement évaluées avec un recul d’au moins six mois, montre que la réparation du clitoris telle que nous l’avons mise au point est une technique facile, pratiquement sans complication, et donnant d’excellents résultats. Les
complications sont mineures (hématome, lâchage de suture, fièvre modérée) et nécessitent rarement une réhospitalisation et encore moins souvent une reprise  chirurgicale. De manière surprenante il y a très peu de douleurs prolongées postopératoires (quatre cas sur
453) alors que nous nous enquérions systématiquement et spécifiquement en postopératoire de L’existence de cette complication tardive. Cela est peut-être dû à la
bénignité relative de cette douleur par rapport à celle ressentie pendant l’excision ou à celle séquellaire de la mutilation. Avant toute analyse des résultats, il est important de rappeler quelles sont les motivations de ces femmes. Lors d’une précédente étude (nous avions
montré que les raisons pour lesquelles elles souhaitaient l’intervention étaient principalement la recherche de l’identité féminine rattachée au clitoris (100 % des
patientes évoquaient ce motif et estimaient avoir perdu cette identité), ainsi que les dysfonctionnements sexuels (signalés par 90 % d’entre elles). La douleur pendant les
rapports, voire en dehors, était un motif moins évoqué, présente cependant à l’interrogatoire chez environ la moitié d’entre elles. Les résultats anatomiques sont très
satisfaisants avec une restauration du massif clitoridien (au minimum de son volume) dans 87 % des cas. Il y a à cela deux raisons : Tout d’abord, bien que nous leur ayons systématiquement montré des photographies de vulve non mutilée, elles ont nécessairement une idée moins précise que le chirurgien du vaste éventail des différents
aspects normaux du clitoris et de son capuchon.
Par ailleurs, nous nous sommes rapidement aperçus au début de notre expérience que ce que ces femmes recherchaient n’était pas tant un aspect normal, qu’un clitoris proéminent et très visible. À ce titre, il faut signaler que les phénomènes de cicatrisation et d’épithélialisation spontanée durant les premières semaines tendent à enfouir le néo gland clitoridien. Il faut en tenir compte lors de l’intervention de manière à ne pas obtenir
à distance un résultat trop discret qui, bien qu’anatomiquement satisfaisant pour le chirurgien, pourrait être décevant pour la patiente (7% des cas). Si le fait de laisser
en fin d’intervention un néo gland très exposé ne suffit pas à prévenir cette évolution, il faut, dès le début du phénomène de cicatrisation excessive, appliquer des
dermocorticoïdes pendant quelques jours. En ce qui concerne les résultats fonctionnels, on sait depuis les études sur les clitoridoplasties des ambiguïtés sexuelles ou sur la chirurgie du transsexualisme que la sensibilité clitoridienne est récupérée dans les six semaines pour
peu que l’on respecte le pédicule vasculo-nerveux sagittal dorsal. C’est la raison pour laquelle nous recommandons, lors de la section du ligament suspenseur, de rester
toujours très près de l’os et donc à distance de ce pédicule. La résection du tissu cicatriciel scléreux, qui permet d’exposer un tissu sain, est aussi un élément fondamental
de la restauration de la sensibilité clitoridienne.
Chaque fois que l’analyse histologique des tissus réséqués a été demandée, l’anatomopathologiste a pu constater que le tissu clitoridien sain situé au contact de
la partie scléreuse du moignon (partie que nous réséquons) contenait des neurones sains, susceptibles de restaurer la sensibilité du néo gland. Moyennant ces deux précautions (section du ligament à distance du clitoris et résection de la sclérose), nous avons pu constater à l’interrogatoire une restauration de la sensibilité en quelques semaines. Nous avons pu remarquer dans notre population l’attachement à l’idée de restauration de l’organe perdu, cet organe étant lui-même lié au sentiment d’identité féminine. Il s’agit de la motivation la plus évoquée chez les femmes les plus âgées de notre série (jusqu’à 63 ans). Cela souligne bien la dimension psychologique de l’intervention, en dehors même de
toute récupération de la fonction clitoridienne. Le retentissement psychologique de la mutilation peut en effet être majeur.


EVOLUTIONS RÉCENTES

Depuis deux ans, nous avons systématisé et appliqué une stratégie de prise en charge et de reconstruction - De toutes les mutilations associées - Des complications post-excision
C’est ainsi que la chirurgie reconstructrice des petites lèvres est systématiquement effectuée dans le même temps, il s’agit - D’une désinfibulation vraie dans près de 20% des cas - D’une reconstruction de l’amarrage labial supérieur dans 30% des cas Ces cas sont très fréquents et font l’objet d’une forte demande. Dans les cas graves, il y a disparitions pure et simple des nymphes. Une méthode de reconstruction d’un volume plastique sur injection d’acide hyaluronique est en cours d’expérimentation depuis 18 mois et semble très prometteur. (Image 7 )

Sont bien sûr effectuées dans le temps préalable à la reconstruction clitoridienne, le traitement des complications de l’étage antérieur :
- Ablation des kystes skèniques
- Traitement des formes pseudo-tumorales
- Cicatrices chéloïdes
- Abcès et corps étrangers

Enfin, le périnée postérieur est très souvent atteint et il faut
- Reconstruire les fourchettes éclatées
- Traiter les béances vulvaires.
- Reprendre des cicatrices douloureuses

Sur le plan de l’amélioration du pronostic fonctionnel, nous avons débuté un protocole d’évaluation de la sexualité pré et postopératoire utilisant le questionnaire FSFI.
La surcharge méthodologique est considérable, mais c’est la seule voie menant à une relecture crédible et à la progression de la technique.
En conclusion, cette technique simple donne de bons résultats et répond à une demande fondamentale de ces femmes mutilées. Il faut insister sur la nécessité d’apporter
une information très précise concernant le résultat esthétique qui va être obtenu et le délai nécessaire à la récupération fonctionnelle.

 



Docteur Pierre FOLDES
Paris.

 

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