L’éjaculateur précoce, dont le processus de fonctionnement est basé sur la rapidité, met pourtant 6 mois à 20 ans avant de décider d’aller se remettre en cause.
Certes souvent, il en a parlé une fois à un médecin, mais ne prend que rarement le temps de se traiter. Il attend fréquemment d’être au pied du mur (menace de rupture, lettre d’avocat pour demande de divorce, relation extérieure de sa compagne) pour faire une démarche.
L’homme atteint d’une dysérection consulte dans un délai de 1 mois à 10 ans, avec une moyenne de 3 années. Les hommes qui ont bénéficié d’une prostatectomie consultent entre le premier mois et la quatrième année. Nous faisons actuellement une information large auprès des médecins généralistes ainsi que des urologues afin de les informer de l’importance que revêt le fait de commencer une prise en charge sexologique du couple en pré opératoire et dés le premier mois qui suit l’intervention chirurgicale. Ensuite seront prescrites des injections intra caverneuses (IIC) à raison de 2 à 8 par mois selon la vie amoureuse du couple. Dès les manifestations positives de reprise érectile spontanée, l’alternance des inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 (IPDE5) et des IIC sont conseillées pendant 3 à 6 mois selon le cas, sachant que certains patients récupèreront une érection
satisfaisante et n’auront plus besoin
d’aide médicamenteuse, alors que d’autres
patients auront la nécessité d’ avoir
recours à un traitement durant plusieurs
années, voire à vie.
L’anéjaculateur ne fait une démarche qu’au bout de longues années de vie en couple, plus généralement lorsque le désir de procréer devient impératif.
L’homme présentant un syndrome du petit pénis
consulte le plus souvent dans les 6 mois qui suivent une séparation.
Dans les mariages non consommés, la démarche est entreprise entre 1 an et 30 ans, essentiellement lorsque le besoin de procréer est profondément ressenti.
Quant aux autres difficultés sexuelles, telles que les troubles de l’identité, les paraphilies, le temps qui s’écoule entre les premiers symptômes et une demande de prise en charge effective varie de 5 à 20 ans. |
Enquêtes épidémiologiques : |
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Qu’il s’agisse:
- De la Massachusset’s Male Aging Study (MMAS)
qui évalue 1290 hommes de plus de 40 ans,
- De la National Health and Social Life Survey
(NHSLS) qui étudie 1410 hommes de 18 à 59 ans,
- Des études françaises de l’ACSF (1992) qui porte sur 1339 hommes, et celle de la SOFRES (1994) sur 1000 hommes,
- De l’International Society for Impotence Research, enquête Mori de 1998, menée dans 10 pays du monde dont la France,
- De l’enquête menée auprès de diabétiques espagnols en 1997 par Sandoïca et coll.,
- Ou encore de l’étude faite entre le 12 avril et le 21 mai 2002 portant sur 10.000 hommes appartenant à la Base Access Panel Exclusif NFO Infratest qui comporte
25.000 foyers français (63.000 individus),
échantillon représentatif de la population âgée de 18 à 70 ans,
Toutes ces enquêtes portent uniquement sur la dysérection (DE) et concluent que, malgré la souffrance réelle, une diminution de la qualité de vie de l’homme et du couple, ainsi qu’un retentissement sur le travail et la santé, seulement 5 à 30% de ces hommes consultent et 30% se traitent.
Il est particulièrement intéressant de noter que 95% des hommes manifestent le désir d’en parler si cela arrivait, mais quand l’heure sonne, le mutisme et l’inertie sont les seules réponses.
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Que disent les patients lorsqu’ils nous consultent ? |
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Ils évoquent une série d’arguments dont voici les principaux :
Le temps :
- pas le temps pour s’occuper de ce problème
- Le temps arrangera les choses.
La fatalité :
- on est doué ou pas pour le sexe ;
- On est comme le père, le frère, l’oncle…
Ce facteur pèse lourd dans le devenir des patients.
La faculté d’adaptation :
- ce n’est pas grave,
- Ce n’est pas l’essentiel de notre vie ;
La partenaire :
- elle ne se plaint pas, malgré les questions
du partenaire,
- Elle ne dit rien sur ce sujet, et lui n’ose pas aborder le problème,
- Elle n’a aucune exigence, est
satisfaite ainsi,
- Le problème sexuel l’arrange, soit
parce qu’elle n’a aucun désir, soit
parce que sa jalousie lui fait préférer
un homme en difficulté sexuelle à un
homme fonctionnel ;
La honte de parler de «ça», la mauvaise
estime de soi, l’anxiété, la peur
du jugement (de la part du médecin vécu
comme puissant) ;
Un désir faible, une absence d’intérêt
vis-à-vis de la sexualité, voire une
paresse réelle ; L’ignorance, même si à
notre époque nous pensons que la
majorité des gens savent que les problèmes
sexuels se traitent ;
L’amour : beaucoup de couple sont convaincus que
l’amour (ou le désamour) est seul en cause, ou bien que l’amour peut tout guérir ;
La peur du changement :
- l’homme craint soit de ne pas pouvoir
assumer une sexualité autre, soit que sa
partenaire ne l’aime plus fonctionnant autrement ;
L’image du corps :
- Face à un idéal : certains hommes pensent que seuls les hommes beaux et carrés sont de bons amants ;
- D’autres ont de fausses croyances quant aux dimensions du sexe et sont convaincus que seuls les sexes surdimensionnés sont fonctionnels.
L’absence de prise de conscience du problème :
- Le déni de l’homme ou de sa partenaire ;
- Pas de lien de cause à effet entre les échecs répétés et l’existence d’un dysfonctionnement ;
- Les difficultés à justifier une démarche se voient dans 3 cas : soit l’homme a un certain âge et pense indécent de demander de l’aide, soit il a une partenaire dont l’état de santé ne lui permet plus l’accès à la sexualité, soit elle refuse tout acte par désamour ou désintérêt : la demande du patient équivaut alors pour lui, à dire ouvertement qu’il a des relations extra conjugales ;
Certains patients pensent que cela ne se soigne pas si ce n’est pas organique (refus de ce qui est psy) ;
Les réponses faites par le médecin, vu une fois, sont des arguments mis en avant par de nombreux patients pour justifier le retard apporté à une demande de prise en charge :
- Il n’y a rien à faire !
- À votre âge !
- Ça passera avec le temps !
- Changez de partenaire ! Cette dernière phrase
semble perturber de nombreux hommes soucieux de rester fidèles ou très amoureux de leur compagne ;
Les autos traitements sur Internet :
certains patients ont essayé, seuls,
sans prendre conscience qu’il n’y a pas
de recette stéréotypée ; d’autres interprètent
des articles, n’en retenant que ce
qui les intéresse ou est facile à mettre
en application.
Enfin, le traitement miracle est
recherché, c'est-à-dire la solution en
une séance, le reste semble trop long ou
trop compliqué. |
Qu’en est–il ? |
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Trois citations vont nous permettre
d’étayer notre propos quant à une
meilleure appréhension des raisons
expliquant les retards à consulter de
nos patients :
« L’ambivalence de l’anxieux lui fait à la fois subir mais aussi rechercher son état » (1), qui produit l’indécision. Or tous nos patients qui présentent des dysfonctionnements sexuels sont des anxieux.
De plus, l’activation du système noradrénergique central lié à l’anxiété, renforce l’inhibition.
« Une croyance peut être tout aussi efficace qu’une médication chimique » (2).
« Confronter croyance et réalité est donc un processus vital » (3) pour tout médecin sexologue.
Nous pouvons regrouper dans un simple schéma les
différents facteurs mis en jeu dans ce processus
d’indécision. |
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Croyances |
Indécision |
Adaptation |
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L’anxiété : si l’acte sexuel représente un danger, crée du stress, et fait courir le risque de l’échec, elle est
au centre des comportements du patient;
La dysfonction : l’interprétation, l’ignorance, la sous estimation des difficultés, interpellent le patient sans qu’il en comprenne le sens ;
L’adaptation crée une ambivalence car en s’ajustant à ses difficultés, le patient perçoit d’autres possibilités
;
La culpabilité : renforcée par l’ignorance,
l’incompréhension, l’échec du couple, est
souvent présente ;
L’estime de soi : la dysfonction crée une blessure
narcissique ou plaisir-déplaisir renforcent l’image négative ;
L’inhibition : faite de honte, de réticence, mais aussi de tolérance, est accentuée par les évènements de vie, et la réalité des échecs ;
Les croyances sont conditionnées par la culture, l’hérédité, l’éducation, le conditionnement, les modèles, l’identité, la filiation ; les médias colportent des
clichés auxquels les plus fragiles
adhèrent confondant utopie et réalité.
Les fantasmes : de nombreux patients les bloquent les identifiants comme des pensées malsaines ou cherchent à les mettre en pratique, télévisions et magazines les érigeant en norme.
Le problème sexuel, même s’il n’est pas totalement admis, crée de l’anxiété qui est à l’origine de trois
altérations:
Troubles affectifs :
insécurité
Troubles intellectuels :
incertitude
Troubles de la volonté :
indécision
Face à un problème, certains individus répondent par une fuite ou un repli, car «faire face» est impossible.
Quand une situation échappe à la compréhension, la désadaptation qui en résulte se traduit par des troubles comportementaux, tels que des troubles sexuels, du stress, de l’anxiété, une inertie.
Nous sommes surpris par cette capacité d’adaptation qu’ont nos patients vis-à-vis de situations
insatisfaisantes.
Se réadapter à un nouveau statut suppose de se
confronter au problème, donc de l’admettre, puis de mettre en place des processus adéquats.
Les capacités d’ajustement d’un individu dépendent de la prise de conscience de la situation, de ses
expériences antérieures, de ses
croyances.
L’adaptation résulte également « de la mise en jeu du système nerveux, de mécanismes endocriniens et immunologiques »(M. Le Moal)
Elle est liée aux composantes émotionnelles et motivationnelles.
Le couple adaptation - désadaptation doit donc intégrer secondairement une troisième donnée : la
réadaptation, afin d’admettre un processus de changement. |
CONCLUSION |
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Les sociétés modernes, délétères, sollicitent les organismes au-delà du possible, réduisent les supports affectifs et créent des pathologies notamment en laissant croire que les perversions sont des comportements
normaux et synonymes de liberté.
Une information précise, en parlant de santé sexuelle, auprès d’une part des patients, d’autre part du corps médical, mais également des médias, devrait apporter un réel gain dans ce domaine.
Mais n’oublions pas qu’un sujet est apte à se mobiliser quand son cerveau et son affect sont « mûrs » pour se remettre en cause. La difficulté est d’autant plus grande que nous nous adressons à des couples. |
(1) Henri EY -
(2) Michel Le Moal -
(3) Nicole Arnaud Beauchamp, Sexologies n° 25, Juillet 2006
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Bibliographie |
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Costa P, Avances C, Wagner L :
Dysfonction érectile : connaissances, souhaits et attitudes.
Résultats d’une enquête française réalisée auprès de 5004 hommes âgés de 18 à 70 ans ; Progrès en Urologie 2003, 13,
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Feldman HA, Goldstein I. and coll. I
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Pritzer MR. :The penile stress test:
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Sandoïca EA, Sanchez MD and all.:
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Docteur Nadine Grafeille
Directeur de l’enseignement Universitaire de sexologie de
Bordeaux.
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