Conférence magistrale
du Professeur Daniel WIDLOCHER
vendredi 18 juin 2004

XXIXe Congrès
de la Société Française de Sexologie Clinique

 


PSYCHANALYSE ET SEXUALITÉ : 
Une question contemporaine.

 

Je suis très content d’être ici ce matin et très honoré de participer ainsi à ce qui est, si j’ai bien compris, un 29ème congrès mais aussi un trentième anniversaire.

Je remercie votre Président, le Docteur Ganem, de m’avoir invité et je remercie chaleureusement Michel Faruch d’avoir tenu ces propos qui sont ceux de l’amitié.

C’est toujours un vif plaisir, il faut le reconnaître, et un brin de satisfaction et de vanité pour un enseignant d’avoir des messages de fidélité de gens qu’il a eus comme élèves. Parmi les points forts de ce que j’ai cherché toujours à dire, vous l’avez souligné, c’est l’interdisciplinarité d’abord au sein de la médecine elle-même, au sein de nos disciplines de soins. Je pense que la psychanalyse ne peut vivre et survivre que si elle reste une discipline théorique et clinique présente dans le domaine du soin et dans le rapport avec les différentes disciplines de soins. Je suis très heureux d’avoir été invité ce matin à en témoigner.

La question que j’ai souhaité traiter m’intéresse particulièrement depuis de nombreuses années : la sexualité infantile – qui est une des deux grandes découvertes de Freud avec l’inconscient. Quelle place prend-elle aujourd’hui ? Je pense que cela vous intéresse de savoir comment les psychanalystes se situent par rapport à cette question, et bien entendu par rapport au champ de la sexologie.

Je partirai d’une anecdote, que beaucoup connaissent sans doute, qui est celle que Freud rapportait à propos de son séjour à Paris. Un soir, à une réception chez Charcot, dans l’hôtel particulier du boulevard Saint Germain, il se trouve à proximité du maître vénéré et l’entend parler d’un cas avec son collègue Brouardel, le médecin légiste. Le récit capte son attention et Charcot de conclure avec vivacité :

« … mais dans des cas pareils c’est toujours la chose génitale toujours… toujours… toujours … »

« Sur quoi, » – ajoute Freud – « Charcot croisa les mains sur son ventre et sautilla plusieurs fois avec la vivacité qui le caractérisait. »

Freud, lui, tombe dans une surprise presque paralysante et se dit mais s’il le sait, pourquoi ne le dit-il jamais ?

Qu’est-il en fait advenu de ce rôle de la chose génitale pour reprendre la formule de Charcot après plus d’un siècle de psychanalyse ? Tout au long de son œuvre Freud est revenu sans cesse sur ce qu’il tenait pour une découverte maîtresse. Tout au long de son œuvre, également, il a rappelé que cette découverte était une des sources majeures de la résistance à la psychanalyse. Dès 1905 il note que la sexualité reste le point aveugle du développement culturel humain. Et ceci ne tient pas seulement à une résistance des milieux médicaux, ou plus largement du milieu scientifique, mais du rejet par la société, en général, de données qui mobilisent des résistances autres que purement intellectuelles.

En 1925 il écrit

« … la culture humaine repose sur deux fondements, l’un est la domination des forces de la nature, l’autre la limitation de nos pulsions. Des esclaves enchaînés portent le trône de la souveraine. Parmi les composantes pulsionnelles ainsi assujetties, celles des pulsions sexuelles au sens étroit prévalent par la force et la sauvagerie. Malheur si elles étaient libérées, le trône serait renversé, la maîtresse foulée aux pieds. La société le sait et ne veut pas qu’on en parle. »

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Il y a longtemps que notre société a relégué ces résistances aux oubliettes. La libération des mœurs sexuelles a mis un terme aux attaques puritaines. L’idée que la sexualité joue un rôle déterminant dans les névroses et la vie psychique inconsciente n’est plus une nouveauté. Il y a longtemps que la société contemporaine a fait la part des choses. Le sexe partout, pourquoi pas, mais que voulait dire Freud au juste ? L’anecdote rapportée du salon de Charcot fait sourire aujourd’hui. La culture contemporaine nous le montre, la sexualité est partout. Elle se montre sans réserves. Qu’avait donc de si original la théorie de Freud ?

Il est vrai que les propos de Freud donnaient matière à une certaine critique. D’une part, invoquer comme cause de résistance le caractère répressif de la morale sexuelle c’est un fait social que l’histoire a fait évoluer. Mais il y a une deuxième fragilité de la théorie de Freud, c’est le fait que pour légitimer l’existence de la sexualité infantile il a plaidé pour l’unité de la sexualité infantile et de la sexualité adulte. La sexualité infantile ne serait que la phase primaire d’un instinct qui, loin de se développer au moment de la puberté, trouverait son origine dans le patrimoine génétique de l’enfant, au même titre que les besoins somatiques et les besoins de conservation. Cette sexualité primaire, venant avec la naissance, constituerait une première sexualité, une sexualité présexuelle.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? La sexualité infantile elle-même, la société l’a très bien intégrée. On s’amuse, on s’ingénie, on regarde les dessins, on voit toute cette sexualité infantile à l’œil nu si je puis dire. Quant à la triangulation œdipienne, ce fameux complexe d’Œdipe, elle a depuis longtemps rejoint l’image d’un mythe, d’une comédie sinon d’une tragédie mettant en scène l’enfant et ses deux parents. L’enfant jouerait dans ses fantasmes, ses jeux, sa relation aux parents, un scénario de rivalité amoureuse que sanctionnerait la répression venue de l’interdit parental. Ce mythe social a pris la place du vécu individuel.

En fait la fantasmatique infantile que l’on développe maintenant si facilement dans la société, on l’a construite en analogie avec celle de l’adulte en parlant de ce scénario interpersonnel. Ce n’est plus la sexualité infantile qui éclaire d’un jour nouveau celle des adultes mais c’est cette dernière qui en quelque sorte illustrerait a posteriori la sexualité infantile. C’est de là que je vais partir pour développer des vues critiques envers l’idée, non pas que la sexualité infantile existe, mais qu’elle n’est en somme qu’une sexualité prématurée. Je pense qu’il y a une différence de nature, radicale, entre la sexualité infantile et la sexualité adulte, ce qui ne veut pas dire que la sexualité adulte ne va pas être profondément imprégnée par ce que je vais appeler cet hédonisme infantile imaginaire.

Je reviens un instant sur la thèse canonique de Freud. Un instinct sexuel inné comme les autres instincts biologiques de conservation va s’appuyer sur des zones corporelles prégénitales. Ce n’est pas la génitalité qui en est le support mais des zones qui vont évoluer avec le développement du bébé et de l’enfant : on parlera de stade oral, anal, etc. Et puis un attachement à la mère qui va culminer en un conflit à partir du triangle parental (le conflit œdipien) et, en fin de compte, la latence qui crée un interdit sur ce développement précoce de la sexualité qui ne pourra revenir qu’au moment de la puberté sous la forme de sa sexualité génitale. Cette thèse repose sur l’idée que le bébé avait en lui un instinct sexuel qui allait trouver dans des zones corporelles sa source physique d’excitation et qu’il allait se satisfaire de gratifications étayées – le mot est important – sur d’autres besoins physiques. Le modèle en esr la nourriture. L’enfant tête le sein, il tête le sein parce qu’il a faim, parce qu’il a soif, mais en même temps il érotise cet acte de succion et cela donne la phase orale de la sexualité infantile, et ainsi de suite. On va retrouver dans les jeux sexuels de l’âge adulte ces phases ; toute un ensemble des comportements et de fantasmes qui accompagnent la sexualité adulte sont le reflet, les traces, de ces liens précoces étayés sur des besoins corporels auxquels la mère répond.

Cette théorie a toujours été critiquée au sein même de la pensée psychanalytique. Elle a été critiquée dès l’origine en raison d’un fait majeur qui est que le bébé n’est pas seulement un être uniquement occupé à soigner sa faim et sa soif et qui découvre le sein parce que la maman le lui propose… Il a besoin de la mère comme « autre » et dès l’origine le regard et l’oreille de l’enfant vont être attirés par la vue et la voix parentales. Il y a un besoin de l’autre qui dépasse un étayage sur les besoins corporels. Ce n’et pas parce que l’enfant trouve le sein de la mère qu’il va aimer la mère. Il existe un amour primaire. L’amour serait un besoin fondamental de l’enfant, la source de la sexualité. Ce ne seraient pas les gratifications physiques étayées sur des besoins corporels qui seraient à l’origine de cette sexualité mais tout simplement l’amour maternel. Ces critiques ne portaient pas sur l’existence de la sexualité infantile mais sur les sources de cette sexualité infantile.

La critique s’est trouvée très renforcée depuis une trentaine d’années. Des auteurs ont mis l’accent sur la relation précoce de l’enfant à la mère, ne reposant plus sur l’étayage de l’instinct sexuel sur les besoins corporels. La théorie de l’attachement repose sur l’idée que l’enfant a dans son patrimoine génétique des programmes de comportement qui sont des programmes de lien social, et en particulier de lien primaire avec la mère. Ces programmes innés de comportement ne sont pas des programmes à proprement parler sexuels (le programme sexuel trouvera un développement beaucoup plus tardif) mais des programmes d’attachement social et en particulier d’attachement à la mère. Ceci a été développé par le psychanalyste anglais John Bowlby. Dans son ouvrage  L’attachement, il a montré que l’attachement de l’enfant à la mère était fondamental pour la sécurité de l’enfant et que la qualité même de cet attachement à la mère allait être la base des sentiments de sécurité – et évidemment négativement des sentiments d’insécurité – que le sujet humain allait connaître dans son développement.

Cette théorie est basée sur l’étude des carences affectives précoces. C’était un des sujets majeurs après la guerre dans la psychologie du jeune enfant et celle des carences de soins maternels que la guerre avait évidemment amplifiées. Bowlby avait travaillé à Londres, au même titre que Madame Jenny Roudinesco à Paris, sur ces enfants privés de soins maternels, montrant que cette privation entraîne des troubles du développement considérables. Cette recherche s’est développée ensuite avec l’éthologie qui a montré que l’individu humain ne diffère pas de nos congénères animaux et qu’on a pu faire dans beaucoup d’autres espèces des expériences de privations de soin parental. Il s’agit bien là d’un programme génétique et même phylogénétique : l’attachement social à l’autre est primaire.

Est-ce que cela voudrait dire que la sexualité infantile n’existe pas ? On se trouvait devant un conflit entre des constatations cliniques qui  montraient bien l’existence de jeux sexuels chez les enfants, la transition entre ces jeux et le sexuel, ses traces dans les perversions, dans les rêves, et dans la phantasmatique qui accompagne la sexualité normale de l’adulte. Alors, fallait-il renoncer à cette idée d’une sexualité infantile ?

Ce questionnement s’est développé au cours de ces vingt dernières années et on a vu des auteurs dire « nous n’avons plus besoin de la théorie de la sexualité infantile ». Il ne s’agissait pas de la nier, il s’agissait d’en trouver une autre origine. La sexualité infantile ce serait tout simplement des expressions sexuelles de l’attachement aux parents. L’auteur souligne à ce propos combien on peut interpréter les comportements du jeune enfant en termes d’attachement non sexuel et en somme il en venait à cette idée que la sexualité est une métaphore. Ce serait une manière de rendre compte de satisfactions qui ne sont pas de nature sexuelle.

L’intérêt c’est de jeter un pont entre l’attachement et la sexualité infantile. L’inconvénient c’est d’enlever une dimension fondamentale que j’ai évoquée tout à l’heure et sur laquelle je reviendrai qui est la dimension hédonique de la sexualité infantile Si la sexualité infantile n’est qu’une manière métaphorique de parler des rapports du bébé avec son entourage sur un plan comportemental et social, quel rôle cela joue-t-il dans la vie humaine ? Pourquoi l’être humain va-t-il continuer à rêver avec des traces de la sexualité infantile ? Comment les fantasmes infantiles peuvent-ils revenir dans les rêves et surtout dans la psychologie sexuelle de l’adulte, dans toutes les conduites de cour, comme le piment fantasmatique qui accompagne la sexualité génitale ? C’est au fond à cette question que nous sommes aujourd’hui confrontés ; la question contemporaine de la sexualité infantile. Que reste-t-il du modèle de la sexualité infantile si l’on se détache de l’idée qu’il s’agirait d’une première sexualité et qu’il y aurait un continuum entre elle et celle de l’adulte ? Que devient la sexualité infantile si on ne retient plus cette unicité de nature entre elle et la sexualité adulte ?

C’est ici que j’avancerai la thèse suivante : Freud considérait la sexualité infantile comme une composante innée, instinctuelle, la sexualité, qui avait ses caractéristiques propres en s’étayant sur les besoins corporels de l’enfant : le besoin de téter le sein entraîne la succion du pouce, le besoin de se faire materner, bercer, et le besoin de la voix de la mère. Tout ce qui donne des gratifications en quelque sorte biologiques permet d’étayer la sexualité. Je considère que l’on peut maintenant dire que l’amour de l’enfant pour son entourage est primaire. Il est programmé génétiquement, il n’est pas de nature identique à la sexualité proprement dite, mais il y a chez l’enfant une manière hédonique, imaginaire, d’utiliser ces gratifications premières avec son entourage. La sexualité infantile n’est pas la première étape de l’instinct sexuel. Aucun argument biologique n’est jamais venu étayer cette hypothèse freudienne. Si l’attachement est une donnée comportementale biologique phylogénétique et pas seulement propre à l’homme, il n’y a pas de traces de la sexualité infantile dans les espèces animales fût-ce chez les primates. Je sais bien qu’on cite des actes masturbatoires chez les petits singes, mais rien ne montre qu’il s’agit là de quelque chose de comparable à ce qu’on appelle la sexualité infantile chez l’homme. Par contre, l’attachement du petit primate à sa mère est absolument caractéristique et les auteurs ont montré que l’agrippement que l’on voit chez les petits singes est un comportement fondamental du rapport à la mère. Il existe également chez le petit humain. Il y a un agrippement primaire chez le bébé qui va se manifester par toute une série de comportements qui montrent bien une parenté phylogénétique. La sexualité infantile ne serait pas un instinct primaire contrairement à l’attachement.

D’où vient la sexualité infantile fantasmatique si elle ne vient pas d’un attachement primaire ? L’hypothèse que j’ai avancée est que c’est la greffe sur des attachements à la mère qui va transformer ce qui est au départ un attachement social en une jouissance autoérotique que l’enfant va cultiver. L’enfant tête le sein de la mère pour se nourrir, mais il tête aussi le sein parce qu’il est dans un comportement, un pattern d’agrippement et que ce pattern d’agrippement au sein est un pattern phylogénétique. Là où l’enfant va jouir d’une autre manière c’est lorsque tout seul, en l’absence du sein, il va mettre le pouce dans la bouche et le sucer, c’est-à-dire lorsqu’il va mimer un acte comportemental et qu’il va lui trouver une satisfaction propre. Autrement dit, les sources corporelles de la pulsion ne sont pas les fonctions biologiques elles-mêmes, c’est le comportement inné, naturel à l’enfant de l’attachement.

Cette théorie n’aboutit pas à une désexualisation. On ne dit pas que la sexualité infantile n’est qu’une métaphore, ou une construction de l’imaginaire, ou un rapport social à l’autre. La sexualité infantile est bien une réalité psychique du petit bébé et du jeune enfant, mais c’est une réalité psychique qui se greffe de manière fantasmatique et autoérotique sur l’attachement primaire à la mère.

Un des points importants c’est le mode de satisfaction. L’enfant ne connaît pas l’orgasme. Il crée des satisfactions imaginaires fantasmatiques, qu’il va mettre en acte sur son corps, produisant un autoérotisme corporel, dont on peut penser que la succion du pouce est la première phase, mais dont il y aura d’autres expressions comme les jeux autour de l’analité, les plaisirs au niveau de l’acte d’uriner, etc. Il y a aussi des satisfactions qui ne sont plus proprement physiques mais qui vont être des satisfactions relationnelles : l’enfant qui sourit à la mère, qui regarde le sourire de la mère, l’enfant qui s’exhibe plus tard, etc. Tous ces comportements, qui sont ceux de la sexualité infantile et que la psychanalyse a contribué à voir, sont des expressions d’activités fantasmatiques hédoniques que l’enfant développe parce qu’il a une capacité de jouir en imagination.

De quelle nature peut être un plaisir que l’on prend en imagination ? C’est le plaisir ludique, celui du jeu, de l’imaginaire. C’est le plaisir du rêve. Le plaisir que prend l’enfant, quand il est excité dans un jeu ou dans une manipulation très érotique de la relation avec l’entourage, est au début de l’acte. Le plaisir en quelque sorte est à l’acmé quand l’enfant met le pouce dans la bouche, c’est l’instant suprême, les yeux se ferment, le suçotement commence, « c’est le pied » dirait-on maintenant… Et petit à petit il se fatigue et il lâche le pouce. « L’orgasme » est initial et la fatigue vient ensuite. Ce qui est la source de plaisir c’est l’émergence du fantasme, c’est le moment où il y a une idée : une petite fille dessine un bonhomme et tout d’un coup elle y ajoute un petit truc entre les jambes, et elle dit : c’est par là qu’il fait pipi… et elle ricane ! C’est l’instant rigolo ! C’est l’instant où elle jouit, après le dessin elle va le montrer bien entendu, mais le moment crucial c’est la créativité érotique en quelque sorte : le petit garçon qui s’exhibe devant sa maman en sortant du bain, il regarde la mère un peu étonné et c’est là l’instant… après quand il continue de jouer si la mère ne s’occupe pas de lui, cela ne dure pas. Autrement dit cet hédonisme infantile aurait une particularité par rapport précisément à la sexualité génitale proprement dite c’est que la jouissance, le plaisir, est au niveau de l’émergence de l’acte.

Vous voyez comment j’ai mis l’accent sur des actes qui peuvent être des actes relationnels avec la mère ou entre enfants, etc. Ce sont des actes de créativité ludique dont l’enfant va pouvoir se servir. La sexualité infantile est un hédonisme « après-coup ». Après-coup pourquoi ? Parce que l’enfant va étayer ses jouissances sur des comportements socialement et biologiquement programmés que sont la prise d’aliments, l’accrochage à la mère, l’échange de paroles etc. Toutes les modalités de l’attachement social vont être le prétexte à une érotisation après-coup. Cette érotisation après-coup est celle que l’enfant va construire dans son imaginaire, c’est pour cela que j’ai parlé d’un hédonisme imaginaire et autoérotique. Autoérotique au sens où l’enfant jouit seul bien entendu, ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas besoin de l’adulte comme complice du jeu. C’est une position sur laquelle je reviendrai à propos du contre-transfert. Dans les situations de transgression, l’enfant se sert de l’adulte, non pour satisfaire un besoin sexuel, mais pour avoir un compagnon de jeu, un complice dans le jeu, rien de plus. Quand l’enfant fait un dessin et que ce dessin a une composante sexuelle infantile assez vive, curiosité sexuelle, jeux entre enfants, celui qui regarde le dessin n’est pas l’objet du fantasme, il en est le témoin à côté. Le rôle de la mère devant ce comportement est d’en être le témoin. Ce qui pose d’ailleurs un problème que l’on connaît très bien et que les mères connaissent très bien, c’est que la mère n’a ni à alimenter le fantasme de l’enfant, ni à le condamner, elle a à en être le témoin. Quand le petit garçon exhibe son pénis devant la mère, ou devant une petite fille, le plaisir est autoérotique pour autant que de l’autre il n’attend que d’être simplement le témoin de son fantasme, Dans l’exhibitionnisme pervers des adultes, on retrouve bien là ce mécanisme. Il y a une coïncidence temporelle chez l’enfant entre l’émergence du fantasme et le comportement qu’il adopte comme source de plaisir, qu’il s’agisse d’un comportement sur le corps lui-même, sur le corps de la mère, ou qu’il s’agisse d’un comportement social avec la mère ou avec toute autre personne de son entourage.

En conclusion, la sexualité infantile se greffe sur des comportements d’attachement qui sont des comportements biologiques, innés. Elle témoigne chez l’enfant humain d’une capacité imaginative, d’une capacité de représenter des scènes. Il dégage de scènes qu’il a vécues et il érotise secondairement.

Je voudrais maintenant aborder quelques développements :

Ø      Le domaine de l’abus sexuel entre personnes de générations différentes.

Ø      Le problème du transfert et du contre-transfert qui est un problème que nous partageons nous et vous, cliniciens.

Ø      Enfin, pour conclure, la notion de secret.

-                     L’abus sexuel entre personnes de générations différentes

Je citerai un article déjà ancien concernant les rapports sexuels entre adultes et enfants, écrit en 1932 par le psychanalyste hongrois Ferenczi, qui s’intitule « Confusion de langues entre adultes et enfants ».

Ferenczi oppose le langage de la tendresse de l’enfant à celui de la passion de l’adulte. Ce serait cette méconnaissance qui au-delà de toute violence physique imprime une dimension traumatique à la provocation sexuelle de l’adulte. L’enfant ne peut pas donner sens au langage sexuel de l’adulte. Mais, si la passion implique une connotation de violence, le sentiment de l’enfant de quoi est-il fait ?

Le traumatisme c’est l’irruption de quelque chose qui est impensable pour lui, qui vient le bouleverser et que l’adulte lui impose par ses fantasmes et ses gestes.

« Un adulte et un enfant s’aiment… L’enfant a des fantasmes ludiques à savoir celui de jouer un rôle maternel à l’égard de l’adulte. Ce jeu peut assumer une forme érotique mais il reste cependant toujours au niveau de la tendresse. »

Nous dirions maintenant que l’enfant a des fantasmes ludiques quand l’adulte commence à jouer avec lui. Mais pour lui, de quoi ces jeux sexuels infantiles, ces jeux hédoniques, autoérotiques ont-ils seulement besoin ? D’un adulte qui en est complice. Cet autoérotisme chez l’enfant a ceci de particulier que cela se conjugue avec une tendresse. L’enfant aime sa mère et en même temps il se plaît à lui montrer son « zizi ». Il n’y a pas pour lui de difficultés à la fois à exhiber son pénis et aimer sa mère. Nul rapport chez l’enfant entre le jeu érotique et l’amour tendre. Voilà que l’enfant se trouve devant un adulte qui lui propose quoi ? Ca ? Non justement, pas ça.

L’enfant va donc être trompé et en même temps c’est aussi ce qui fait que l’enfant peut être un séducteur vis-à-vis de l’adulte qui cherche à l’agresser. L’enfant croit voir un retour de sa sexualité infantile innocente avec la mère, c’est-à-dire un autoérotisme toléré par l’autre, un autoérotisme que la mère laisse faire, décemment, mais qu’elle laisse faire. Or ici, l’enfant n’en voit pas l’incompatibilité avec l’amour tendre. Il va devenir un petit séducteur du fait de ce lien entre sa tendresse et une certaine sexualité infantile. Bien entendu, l’adulte va se laisser exciter par ce comportement. C’est cela que Ferenczi appelle la confusion des langues ; ce que l’enfant veut dire, l’adulte ne le comprend pas parce qu’il s’imagine que c’est un jeu séducteur. Bien entendu, cela l’excite et il va alors imposer sa sexualité d’adulte qui va être horriblement traumatique pour un enfant qui ne l’a pas intégrée et qui pensait qu’il y avait un jeu.

Ferenczi le souligne bien : la sexualité infantile est compatible avec la tendresse la plus pure de l’enfant, il n’y a pas d’incompatibilité ce qui est important et dont il faut se souvenir. Il y a cette phrase que je cite encore :

« C’est ainsi – il fait allusion à autre chose qui est l’Œdipe – que presque tous les enfants rêvent d’usurper la place du parent du sexe opposé. C’est notons-le bien seulement en tant qu’imagination. Au niveau de la réalité ils ne voudraient et ne pourraient se passer de tendresse surtout de la tendresse maternelle. »

Quant aux adultes, je cite Ferenczi : « Ils confondent le jeu clivé de la sexualité infantile avec leur sexualité d’adulte. Ils confondent les jeux des enfants avec les désirs d’une personne ayant atteint une maturité sexuelle et se laissent entraîner à des actes sexuels sans penser aux conséquences. »

-                     Le problème du transfert et du contre-transfert qui est un problème que nous partageons nous et vous, cliniciens.

Voyons maintenant le rapport de d’adulte à l’amour de transfert, c’est-à-dire un rapport d’adulte à adulte. Que faire avec le transfert amoureux de la patiente ou du patient ? Il y a des transferts amoureux dans les deux sexes, nous le savons. Comme c’est probablement une clinique que nous partageons, y compris celle du contre-transfert au transfert amoureux, nous devons y réfléchir.

Freud écrit un article sur l’amour de transfert en 1913. Il rappelle que l’amour de transfert est la reviviscence de la sexualité infantile. A partir du moment où on ne l’entend pas comme un amour adulte, une élaboration génitale mais comme la reviviscence, le retour, la régression à la sexualité infantile, on devient plus fort pour en supporter les effets de séduction. Vous voyez comment l’analogie se fait quand même avec le problème de la sexualité infantile du petit enfant par rapport à l’adulte.

Je cite Freud, 1993 :

« La patiente dont le refoulement sexuel n’est pas encore supprimé mais simplement repoussé à l’arrière-plan se sent alors suffisamment en sécurité pour permettre à toutes ses possibilités amoureuses, à tous les fantasmes de ses désirs sexuels, à tous les caractères particuliers de ses aspirations amoureuses, de venir à jour et à partir de ceci elle va d’elle-même trouver une voie vers les fondements infantiles de son amour ».

-                     La notion de secret

Il me reste à conclure et je voudrais revenir à la première remarque que je faisais : que reste-t-il de secret que la société n’aurait pas intégré puisque toute la sexualité est maintenant dans la culture ? Nous sommes entourés de cette séduction mais il y a une chose que la société n’a pas vulgarisé c’est la jouissance sexuelle infantile proprement dite, ce sont les rêves des enfants, c’est la dimension infantile en nous. Celle-ci c’est encore un secret, c’est le secret de chacun, c’est le secret de notre fantasmatique, c’est le secret de nos rêves, ce sont ces secrets que nous, psychanalystes, essayons d’entendre à travers ce qu’on nous dit, ou avec l’enfant à travers les jeux, et au fond ce sont ces secrets que probablement vous entendez aussi d’une autre manière à travers votre clinique.