Sexologos  n° 24

Mars   2006 

Frédérique HEDON

Publications

 

Visions féminines du désir des hommes. 

 

 

Les représentations féminines du désir masculin évoluent en plusieurs étapes, le plus souvent successives, et sont sous-tendues d’une notion fondamentale, celle de la séduction.
Il est intéressant de constater que ces représentations sont peu décrites, malgré l’importance qu’elles jouent dans la relation entre hommes et femmes, que ce soit dans les articles scientifiques (dont elles sont absentes), la littérature ou le cinéma. C’est en m’appuyant sur des textes, écrits essentiellement par des femmes, que j’ai choisi de traiter ce thème à la fois complexe et intéressant.


Découvrir le pouvoir de séduction
La première étape, dans l’évolution de ces représentations, commence par la découverte du pouvoir de séduction. Séduire, que l’on pourrait résumer par un «J’ai de l’effet sur eux, j’éveille leur attention» semble être ici un besoin. Ce besoin féminin de séduire est, pour Hélène Vecchiali (psychanalyste, auteur de «Ainsi soient-ils» chez Calmann-Lévy), un besoin qui remonte à l’enfance. Il est à la fois lié à la condition de fille pour qui la mère éprouve une tendresse moins sous-tendue de désir que celle qu’elle partage avec un fils et à la moindre focalisation sur l’organe sexuel chez la fillette. C’est lui, ce besoin de séduction, qui est le moteur principal, chez la plupart
des femmes, des efforts déployés pour le développer, l’affirmer, le tester. Devenues adultes, elles cherchent sans cesse à vérifier leur capacité à susciter le désir, sans même parfois se préoccuper de leur propre désir.


Désir de séduire, ou l’éternel féminin…
Comme il est précisé dans l’introduction, mon propos s’appuie sur des citations (en italique dans le texte) et je citerai donc pour illustrer mon propos : - Pauline Réage (auteur d’Histoire d’O), dans «O m’a dit» : J’étais capable de me raconter des histoires, de m’avancer un peu (sur les Champs Élysées), je draguais parfois mais ça n’allait jamais plus loin qu’une proposition refusée, et je n’étais pas capable de passer aux actes. Sans doute parce que ce que je désirais, au fond, était cette espèce de preuve qu’on me donnait en s’intéressant à moi au premier regard et que je n’en voulais pas davantage. J’étais de ce seul fait suffisamment rassurée. Et peut-être aussi que je n’avais pas de tempérament, ni de vrais désirs, physiques s’entend, tout se passant dans ma tête.
- Francesco Alberoni, dans «L’érotisme» : Le regard du séducteur permet à la femme de se sentir comme devant son miroir, lorsqu’elle s’admire, lorsqu’elle se découvre, lorsqu’elle se rêve.
- Ninon de Lenclos, dans «Correspondance» : Le désir de plaire naît chez les femmes avant le besoin d’aimer .
- La Marquise de Lambert, dans «Réflexions sur la vieillesse»: Malheur à la femme qui a cessé de plaire . 


Dépasser les craintes
Si les femmes aiment plaire, il leur faut bien souvent surmonter les craintes que la force, et parfois l’urgence, du désir masculin, dont elles ressentent la connotation sexuelle évidente, peuvent soulever en elles.
- Alberoni, dans « L’érotisme » : La femme craint particulièrement la violence de l’homme .
- Eliette Abécassis, dans «La répudiée» : Il ne m’a pas fait violence.
- Anaïs Nin, dans «Cahiers secrets, octobre 1931-octobre 1932» : J’aime sa brutalité, je suis consciente de son désir, j’aime sa bouche et la force calculée de ses bras, mais son désir m’effraie, m’écœure. Je me dis : c’est parce que je ne l’aime pas. Dès que j’ai analysé cela, son désir tendu vers moi est comme une épée entre nous, je me délivre et je m’en vais .
- Jean Christophe Florentin, dans le «Guide de la parfaite salope» (cité dans le «Dictionnaire de la misogynie» : Harcèlement sexuel : permet d’ envoyer à peu près n’ importe qui en prison pour peu qu’il soit de sexe masculin et ait un jour proféré à l’encontre de sa victime supposée un quelconque geste d’amitié : d’un clin d’œil à une invitation à dîner en passant par la poursuite sauvage, pantalon baissé, dans les toilettes de l’entreprise.
- Macha Méril dans «Biographie d’un sexe ordinaire » : La découverte du désir brut des hommes crevait un mystère et donnait à mon petit sexe une existence officielle, une vie propre, un destin dont j’aurais la charge toute ma vie.
- Pauline Réage, dans «O m’a dit» (entretien avec Régine Desforges) : J’ai trouvé assez effrayant ce membre dressé dont il était si fier- et à vrai dire cette fierté était un peu comique…. Il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que j’ avoue que je n’ai guère changé de sentiments là-dessus.


Rechercher l’amour plutôt que le sexe
Les femmes, dans l’expression du désir masculin, recherchent avant tout des preuves d’amour et se refusent au désir purement sexuel qu’elles ressentent chez les hommes.
- Anaïs Nin, dans «Cahiers secrets, octobre31-octobre 1932»: Tout cela, Hugo et moi, nous le savions. La nuit dernière, alors que nous parlions, il m’a juré qu’il ne désirait personne d’autre que moi. Je suis amoureuse de lui, moi aussi.
- Magazine «Isa», septembre 2005, courrier des lecteurs : Mon mari et moi ne faisons plus l’amour, notre sexualité se limite à des rapports manuels. Je voudrais que tout redevienne comme avant mais je suis dégoûtée et n’ai plus envie d’essayer de le convaincre. Mais j’ai besoin de me sentir aimée.


Ressentir le désir masculin comme anonyme et purement sexuel
Les femmes ont facilement l’ impression que le désir masculin s’ exprime en termes de besoin sexuel purement physique et qu’elles ne sont pas l’objet individualisé et spécifique d’un désir qu’elles aimeraient sentir amoureux et non simplement sexuel.
- Anaïs Nin, dans «Être une femme» : Si j’en crois mes observations, je dirais que la femme n’a pas accompli cette séparation, entre amour et sensualité, que l’on trouve chez l’homme. Les hommes se plaignent de ce que la femme a besoin d’être rassurée et qu’elle exige des preuves d’amour.
Je crois que les femme ont toujours besoin des gestes qui font de l’acte sexuel un acte unique et non anonyme et purement sexuel. 

- Louis Ferdinand Céline : Aucune chance de les séduire en leur disant «vous n’êtes pas mal, il faut aller au moins jusqu’à «Vous êtes unique au monde», minimum qu’elles tolèrent.


Trouver le désir masculin trop rapide et pas assez progressif
La rapidité masculine, éveil d’intérêt sexuel et montée d’excitation sexuelle, ne semble pas correspondre à ce que la plupart des femmes ressentent de leur fonction sexuelle, plus lente, plus progressive.
- Anaïs Nin dans « Être une femme » : Le Kama-Sutra insiste sur la sensibilité, sur le romantisme avec lesquels on doit approcher la femme, sans jamais chercher à la posséder brutalement mais en la préparant par une cour romanesque »/…/« sa sensualité est rarement aussi franche, aussi immédiate que celle de l’homme.»
- Alberoni, dans «L’érotisme» : La femme veut être séduite suivant son propre rythme /…/ le grand séducteur a de la patience, il laisse à la femme le temps de se préparer , de rêver , d’être charmée, de s’exciter. Il sait se retirer , faire un pas en arrière, différer son besoin.


Libérer le désir féminin se fait à travers celui de l’homme…
Comme le Marivaux, dans «Arlequin poli par l’amour» : Femme tentée et femme vaincue, c’est tout un.



à condition de respecter le mode d’emploi…

Séduites et réconfortées, les femmes peuvent ensuite, grâce à l’ homme et à son désir, laisser libre cours à leur(s) désirs à elles.
- Francesco Alberoni, dans «L’ érotisme» : Le grand séducteur, celui qui charme les femmes et libère leur érotisme, leur parle /…/ car la clé réside bien dans les mots et dans la façon dont ils sont dits. La femme craint particulièrement la violence de l’homme. Le grand séducteur peut tout à fait a voir l’ allure puissante et virile, mais sa voix doit être avant tout rassurante et persuasive.
- Eliette Abecassis, dans «La répudiée» :
Mon mari a enlevé ses souliers noirs, fait glisser son pantalon, ôté sa chemise, puis il a éteint la lumière… nous étions dans la pénombre. Et alors ? demande la sœur.  Il a engagé une conversation, charmant mon cœur et apaisant mon âme. Il m’a dit des mots qui m’ont conduite au désir, à l’étreinte et à l’amour. Mon cœur a été attiré par ses paroles de grâce et de séduction. Il ne m’a pas fait violence. Il a caressé mon corps. Puis mon mari m’a connue.

 

Phase de maturité sexuelle
Progressivement, au fil des expériences vécues, les femme comprennent le désir masculin et peuvent alors l’apprécier dans sa vigueur, y compris sexuellement (pénétration). Cette phase survient plus tardivement chez la femme, au fond peu de temps avant que la puissance masculine ne risque de décroître.
Simone de Beauvoir, dans «Le Deuxième sexe» : La femme est vampire, gouge, mangeuse, buveuse, son sexe se nourrit gloutonnement du sexe mâle.


Femmes et désir masculin : une notion variable selon les époques


De façon traditionnelle, la séduction représente un enjeu important de statut social, où le mariage apporte sécurité, fécondité, famille, ou un enjeu de pouvoir, c’est-à-dire de sens de vie.
L’époque moderne a changé la donne…
Les femmes prennent peu à peu les rôles dits masculins : dans le monde professionnel bien sûr, mais aussi dans les fictions policières (femmes commissaires ou colonels de gendarmerie à la télévision) ou dans les films d’action (dans Kill Bill l’héroïne pratique non seulement le kung fu mais aussi le sabre des samouraïs) ou les films sportifs
(comme dans Million dollar baby où l’héroïne est une boxeuse).



On assiste à une survalorisation des valeurs «féminines»
C’est ce que mettent en scène des films comme «Un jour sans fin» ou «Ce que veulent les femmes», où l’acteur principal, Mel Gibson, est l’archétype d’une icône viril. Il y est ouvertement démontré l’influence positive des valeurs féminines sur l’évolution d’un homme puisqu’elles le rendent «meilleur».


L’homme se doit de mobiliser sa part de féminin, tout en restant l’homme viril qu’il était dans le passé
Plus «féminin», ce nouvel homme, version améliorée, doit être «protecteur mais pas macho, élégant mais pas efféminé, PDG mais disponible, bricoleur et ménagère, être à l’écoute mais savoir deviner, être plus fort mais ne pas le montrer, se confier sans se faire materner, être sensible mais décideur»… la liste pourrait être encore plus
longue ! Il est à tout à la fois Léonardo di Caprio et John Wayne …
s’il veut correspondre à l’attente féminine.



Cela met l’homme face à une double contrainte
C’est lui demander d’obéir à deux injonctions contradictoires et le mettre devant un dilemme, avec pour conséquence face à ce dilemme, l’immobilisme ou la fuite.



Et le désir masculin dans tout ça ?
Immobilisés et, il faut bien le dire un peu inquiets et déstabilisés, les hommes jouent les passifs. Alors dans le jeu de la séduction les femmes sont devenues plus actives et on a vu apparaître de nouveaux comportements féminins : «blind dates» ou participation à des dîners de célibataires, elles affichent venir là pour être séduites et trouver un homme, un «vrai». Un psychanalyste, cité par H Vecchiali, le traduit ainsi : «A présent plus besoin de queue au jeu de la séduction, le message est clair pour nous les hommes, mais les femmes devront assumer notre amputation jusque dans leur lit».



Les femmes face aux pannes sexuelles
Panne de désir de l’homme ou panne d’érection, la femme, habituée à la facilité de réponse sexuelle masculine ne fait pas bien la différence. La plupart des femmes confondent désir et érection : ayant constaté très tôt que le désir masculin s’accompagne d’érection, elles considèrent l’érection comme une réaction réflexe et systématique.
Si celle-ci vient à manquer, ou à être insuffisante, elles l’interprètent comme un manque de désir. Je cite en exemple Eliette Abecassis, dans «La répudiée» : Je suis rentrée chez moi. Nathan dormait déjà. Je me suis approchée de lui. Doucement, doucement, je l’ai réveillé. «Je suis allée au mikvé ce soir.» - «Oui» - Je ne suis plus en période d’impureté»- Je suis épuisé a-t-il répondu. J’ai eu une journée difficile. Je veux dormir». Il a éteint la lumière. /…/ j’étais triste, encore plus triste et désemparée.
Si la souffrance psychologique de l’homme présentant une dysfonction érectile ne fait pas de doutes, il ne faut pas oublier la souffrance féminine qui existe en même temps et correspond aux différents niveaux des représentations féminines du désir masculin. D’une part le silence et le malaise de l’homme en cas de DE gênent la plupart des femmes pour qui la communication conjugale est si importante.
D’autre part, les femmes vivent les pannes sexuelles de l’homme comme une baisse ou une perte de pouvoir de séduction, ce qui on l’a vu est fondamental pour elles. Et enfin, ayant atteint la maturité sexuelle (DE secondaire), il n’est pas rare qu’une femme ressente tout simplement une frustration sexuelle si son compagnon n’a plus d’érection.



Quelques données chiffrées
Nous commençons à disposer de données sur le vécu des femmes en matière de DE.


Enquête Pfizer/ Institut Louis Harris novembre 2001 :
«Problèmes d’hommes, regards de femmes» :
- 26% des femmes ayant un partenaire présentant une DE en ont souffert : parmi elles 15% pensent «je ne lui plais plus, il ne m’aime plus», 67% en sont agacées, car se sentent frustrées, 64% estiment que la cause en est un manque de désir (associé à d’autres facteurs tels que surmenage, hyper-émotivité, maladie ou vieillissement).
- Face à la DE, elles pensent à 45% que cela s’arrangera tout seul ( car elles ne devinent pas à quel point l’homme peut mal vivre le dysfonctionnement) et que c’est normal, c’est l’âge (fatalisme).
- Elles ont du mal à supporter : la réaction de l’homme face à son trouble (44%), l’absence de caresses et de sensualité (14%), l’absence de pénétration (6%), le manque de gestes affectueux(6%).
40% de femmes interrogées ne sont pas allées (ou n’iraient pas) chez le médecin qu’il va consulter = l’érection leur semble être une affaire… d’hommes ; c’est un mécanisme simple dont elles ne comprennent pas la fragilité. Mais 60% iraient avec lui s’il leur demandait de le faire. 91% étant mariées ou équivalent à l’homme.


Étude FEMALES * (Female Experience of Men’s Attitudes to Life
Events and Sexuality) : les partenaires d’hommes atteints de DE font état d’une baisse significative de désir sexuel et de satisfaction sexuelle en comparaison avec un échantillon apparié de femmes n’ayant pas été confrontées à la DE (Impact of erectile dysfunction on sexual life of female partners : assessment with the index of sexual life questionnaire (ISL**) . L’étude FEMALES est venue compléter l’étude MALES de 2004 : sur les 808 hommes enrôlés dans l’étude, 430 ont accepté que leur compagne soit contactée et 329 ont accepté de le faire.


En conclusion
Mieux cerner les représentations du désir masculin, en tenant compte de l’évolution des relations homme-femme qui ont beaucoup évolué depuis quelques décennies, peut nous permettre d’améliorer notre écoute sexologique dans le domaine de la dysfonction érectile et de son traitement mais aussi nous aider à mieux prendre en charge tous les couples venant consulter pour «excès» de désir sexuel masculin ou féminin.

 



Dr Frédérique HEDON, Paris.

* Journal of Sexual medicine ; 2 :675-684
** J Sex marital Ther 2004 ;30 :157-172.
 

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