Sexologos  n° 22

Juin - Juillet   2005 

Marc GANEM

Publications

 

ÉRECTIONS ET SOCIÉTÉ

 

 

Auparavant, phénomène physiologique personnel et tabou, l’érection est devenue depuis l’avènement des IPDE5 en 98, un véritable phénomène de société. Il n’est de semaine où les médias n’en parlent,
voire ne glosent sur un sujet qui de ce fait a perdu petit à petit, (mais que ce fut dur !), sa connotation «gauloise».

Cette érection n’interpelle plus maintenant que par son pendant négatif, la Dysfonction Érectile. En effet, l’homme moderne accepte enfin de parler de ses «absences» de ses « pannes », de ses « troubles ». Et encore, le fait il du bout des lèvres. La HONTE et la CULPABILITÉ sont encore trop présentes. 20 % des hommes souffrant réellement de dysfonction érectile en France consultent. C’est dire combien l’homme continue de souffrir en silence, mais est-ce si en silence que cela ? Nous y reviendrons.

Ce qu’ont apporté les IPDE5 c’est d’avoir accru le champ d’une «pathologisation» qui conditionne de ce fait la médicalisation, puisque l’impuissance est passée de la notion de terreur mal vécue à une pathologie dûment reconnue et nommée la dysfonction érectile.
Il s’en est suivi, tout logiquement, un accroissement de la puissance médicale agissant sur le terrain éminemment symbolique de «l’impuissance masculine» et de ce fait une action sur la jouissance des autres.

Cet élément d’amélioration lui permet ainsi d’échapper et d’entrer dans une extra-médicalisation demandée par les couples et qui apparaît dans certaines approches médiatiques.

Ce qui pose un problème aux médecins «puissants», grâce à leur prescription (très efficace) c’est qu’ils oublient que la plainte, certes bien centrée sur une pathologie bien localisée, constitue en réalité un discours où s’exprime la globalité du patient, et par-delà du couple, et ne peut se comprendre réellement qu’en termes de demande. Ce qui explique combien d’hommes disent avoir vécu la prescription d’un IPDE5 comme un échec.

La conséquence majeure est qu’il faut avant tout éviter la confusion, trop souvent faite, entre le pénis et le phallus, ce dernier concernant symboliquement tout le corps investi par le désir et informé par le langage qui véhicule les émotions d’une sexualité dont le cerveau et le lieu privilégié.

Il est parfois trop commode pour le médecin de taire le désir de parole sous une prescription chimique, ne permettant pas au patient de se dépasser et d’accéder à ses propres souffrances, au-delà du culte de la performance, pour lequel il a été formaté.

Mais l’ érection n’est elle pas l’ exemple le plus brillant d’une «non-performance ?».
L’impact symbolique des pilules pour érection n’est pas à négliger, car l’homme rattrape à la fois la femme dans sa médicalisation, mais aussi au niveau d’un impact symbolique de puissance retrouvée. Si la femme a pu acquérir sa liberté de contraception, l’homme accède enfin et depuis peu de temps à une liberté érectile retrouvée, avec cependant une différence majeure, c’est que la sexualité n’est qu’un langage et non une fonction de consommation hédonique et autiste.

Les femmes ont une notion de «fusion» pour leur sexualité, alors que l’homme a bien souvent une notion de «performance».

 

Ces deux approches presque antinomiques se complètent fort heureusement et permettent d’accéder à l’amour en évitant les clichés habituels qu’est l’amour sans le sexe pour les femmes alors que les hommes n’auraient en tête que le sexe sans l’amour.

 

Les hommes ne sont pas comme le chantait James BROWN «like a sex machine» des machines, mais des êtres à appréhender dans leur globalité, ce qui explique les freins à la consultation et à la prise des IPDE5.

Ce qui fait «peur» aux hommes, c’est d’avoir une dépendance par rapport à ce qui devient alors une pilule à la fois recherchée et haïe.

Puis je vous rappeler que «pharmakon» en grec désigne le poison et le remède.

Cette peur de la dépendance et de l’incapacité de retrouver les érections perdues et spontanées est, je pense, un des plus grands freins, tant à la demande d’aide que dans le suivi thérapeutique.
Être rassuré sur une organicité ne résoud pas le problème, car le vrai problème n’est pas l’autre, celle à qui l’érection est censée être destinée, mais soi même, et le danger alors vient de l’intérieur, de cette incapacité d’appréhender l’érection comme un phénomène naturel vidé d’une connotation émotionnelle égocentrique d’autosatisfaction.

Le jour où les hommes comprendront que leur érection n’est pas la légion d’honneur de la sexualité, ce jour-là l’humanité aurait fait un grand pas.


J’ai dit au début que nous reviendrions un plus tard sur le «silence des hommes». Ce silence, il me fait peur, car il est plein de bruits. Ces bruits ont pour nom la violence conjugale, les violences sexuelles dont la pédophilie et l’inceste, les violences sociales avec les addictions à l’alcool, aux drogues, au tabac et à la vitesse au volant.
Ces silences se brisent aussi sur des cassures comme les divorces ou les suicides.
Ces faits de société, il faut oser dire qu’ils peuvent aussi être la conséquence d’une sexualité malheureuse où les troubles d’érection peuvent avoir une responsabilité, certes non primordiale, mais assez prégnante pour être retrouvée dans un nombre non négligeable de cas, quand on essaie de libérer la parole des hommes qui ont été au-delà d’eux-mêmes..

 

ALORS QUE FAIRE ?

 

Il faut avant tout que le long travail des laboratoires se poursuive, car c’est d’eux que la parole a pu se libérer.

Il faut que nous soyons disponibles pour écouter ceux qui souffrent dans leur globalité même si c’est un sexe malade qu’ils déposent sur nos bureaux. Ce n’est pas avec l’oeil qu’il faut le
voir mais avec l’oreille pour entendre la vraie plainte et écouter la détresse, y compris de l’autre, la compagne qui parfois précipite et cristallise le trouble de l’érection.

Il faut savoir parfois attendre pour prescrire et rendre au médicament sa vraie valeur, celle d’une magie qui nous éblouit depuis plus de six ans. Car qu’on le veuille ou non c’est de cela qu’il s’agit, y compris pour nous les thérapeutes. Quand les patients reviennent et nous disent que «cela a marché» cela nous interpelle quoi qu’on en dise et toujours dans «le bon sens».

Il faut aussi et surtout savoir attendre que l’homme et la femme, en demande de retrouvailles, puissent s’exprimer à travers l’érection retrouvée, car celle-ci fait partie d’un dialogue qui s’appelle à travers la sexualité, l’amour et le partage.

Ce n’est qu’à ce prix-là que les hommes «défaillants» retrouveront leurs érections car et souvent cela est tu,
Tous les hypertendus.
Tous les diabétiques.
Tous les déprimés.
Tous les poly-médicamentés.
Tous les obèses.
Tous les dépendants des cigarettes.
Tous les « prostatiques ».
Tous les « post prostatectomie ».
ne sont pas bien heureusement des impuissants.
Vous avez dit Santé Sexuelle, je vous réponds oui, à condition de ne jamais oublier dans nos prescriptions l’autre, c’est-à-dire soi-même.



Dr Marc GANEM 
Président de la SFSC.

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