Sexologos  n° 21

Mars   2005 

SEVENE Arnaud

Publications

 

FACETTES DE LA SEXOLOGIE MÉDICALE EN 2004

 

J'ai l'honneur de débuter ce symposium sur l'acte en sexologie. Mais qui dit acte, dit mise en scène :je vais donc vous en poser le cadre. Le cadre, théorique mais aussi le cadre pratique. J'ai entendu dire, avant hier, qu'il n'était pas de bon ton de parler de la profession du sexologue dans une société savante. Mais c'est alors comme si nous parlions de psychanalyse sans évoquer le divan ou comme si nous voulions cuisiner sans ustensiles. A quoi bon créer une pièce de théâtre si vous n'avez pas de scène pour la jouer ?

 


Vous m'excuserez cependant, étant donné ma place*, d'avoir centré mon discours uniquement sur les sexologues médecins. La sexologie ou la médecine sexuelle pour employer un terme plus à la mode s’inscrit dans une redéfinition du concept de la maladie recouvrant ce qu’on nomme la «santé sexuelle». Les demandes actuelles sont fondées sur une définition élargie de la santé qui dépasse les seuls aspects médicaux, psychologiques et sociaux nécessitant de redéfinir le soin (et son remboursement). Dans les nouveaux concepts relatifs à la maladie, le trouble sexuel se doit d’être considéré comme résultant d’un ensemble de causes.
Ce qui devient important n’est plus tant la maladie en tant qu’événement mais le risque, l’important n’étant plus de connaître la probabilité de survenue d'une maladie, en l'occurrence une dysfonction sexuelle, mais quels sont les facteurs auxquels est lié ce risque.
Dans ce modèle la maladie n'est plus événement elle est risque. Ainsi pour répondre à Gilles qui, hier, interrogeait Buvat pour savoir si nous n'abandonnerions pas la cause endothéliale comme nous avions abandonné celle des fuites veineuses, recherche d'organicité incessante, je lui répondrais, me faisant l'avocat du diable et le mauvais prophète des trente années de sexologie, cette fois ci à venir, que, peut-être il n'y aura plus de la médecine sexuelle que la notion de prévention. A la limite, il sera inutile de connaître la maladie, la seule chose rationnelle à faire étant de la prévenir.
Mais pour ce qui concerne le présent de la médecine sexuelle, nous retrouvons ce lien étroit de notre pratique avec des thèmes d’actualité comme celui sur l’éthique. A titre d'exemple, il est difficile de ne pas s’interroger sur l’ambivalence posée entre le droit à l'intimité et le caractère intrusif de la sexologie. Je vous rappelle par exemple que cette notion d’intimité est un élément qui fait partie des facteurs contrôlés dans les procédures d’accréditation au sein des hôpitaux.
Mais il y a un autre débat, et je l'affirme éthique, soulevé par la pratique de la sexologie : celui des moyens qui sont réellement mis à disposition des patients afin de leur permettre de recevoir des soins de qualité. En effet, si la société se charge de nous rappeler nos devoirs à l’intention des soignés, elle néglige bien souvent de nous en donner les moyens : il devient alors de notre responsabilité et de notre devoir de réclamer les conditions d’exercice qui nous permettent de remplir nos obligations à la fois professionnelles et éthiques.
Cette sexologie médicale se différencie aussi par l'hétérogénéité de ses contenus ce qui est à la fois une faiblesse et une richesse, par ses paradoxes, tout au moins apparent, par exemple le maintien délicat du droit à l'intimité et du secret professionnel dans la prise en charge d'un couple. Tout cela rejoint une fois encore l’éthique, tout comme le problème du consentement au soin, celui de l’inégalité d’accès aux soins, etc.
Enfin se pose la question de la place que doivent occuper les médecins sexologues dont l’activité s’apparente à une véritable spécialité.
Les médecins sexologues risquent d’être à l’avenir dépassés par l’offre et paraître comme de véritables experts, les soins courants finissant par être dévolus à l’ensemble des spécialistes et aux généralistes. Et pour répondre aux peurs compréhensibles des non-médecins, cela conduira aussi, voire nécessairement, à un rôle accru des psychologues, en particulier sexologues.

 

ENQUÊTE DU SNMS
Pour mieux comprendre ce qu’est la sexologie en France en 2004, je vais vous faire part des résultats préliminaires, "en exclusivité", de l’enquête du Syndicat National des Médecins
Sexologies (SNMS)**. Cette enquête ne concerne bien sûr que les médecins interrogés puisqu’il ne s’agit pas d’un échantillonnage.
Si elle ne peut pas être présentée comme représentative de l’ensemble des médecins exerçant la sexologie, elle concerne cependant 227 médecins sur les 720 médecins, environ, pratiquant la sexologie en France.

 

Classe d'âge / sexe
• Les sexologues ont dans 48 % des cas moins de 50 ans. 44% ont entre 50 et 59 ans. Seuls 7% ont moins de 39 ans.
• Les femmes semblent en moyenne un peu plus jeunes que les hommes (57% des femmes ont moins de 50 ans alors qu’ils sont 42% chez les hommes).

 

Activité
• activité libérale : 57 % des médecins ont une
activité libérale exclusivement
• activité salariée : 9 %
• Les deux : 34 % ont à la fois une activité salariée
et libérale.

 

Exercice de la sexologie
• Dans le cadre de l’activité libérale, la part
réservée à la sexologie représente moins d’un
quart de leur activité pour 55 % d’entre eux et
plus de 3/4 pour 21 % d’entre eux.
En moyenne, sur l'année, dans le cadre d'une
activité libérale, les sexologues ont 20 consultations
par semaines de sexologie.
• Dans le cadre de l’activité salariée, la part
réservée à la sexologie représente moins d’un
quart des consultations dans 60% des cas et
plus des 3/4 pour 25 % d’entre eux.
En moyenne, sur l'année, dans le cadre d'une
activité salariée, les médecins exerçant la sexologie
ont 4 consultations par semaine.

 

Lieu d'exercice
• 60 % des médecins sexologues pratiquent en cabinet privé exclusivement
• 10 % exercent à la fois en cabinet et à l’hôpital.
• 4 % exercent la sexologie exclusivement à l’hôpital.

 

Formation

Le nombre de spécialistes exerçant la sexologie s’élève à 33 pour les psychiatres, 25 pour les gynécologues et 9 seulement pour les urologues, ce qui doit nous faire
réfléchir.
Je pourrais également faire cette autre remarque car j'ai entendu dire que les spécialistes prendraient mieux en charge les troubles sexuels : il s'agit au mieux d'un abus de langage car la majorité des médecins exerçant la sexologie sont des généralistes :
il faut donc considérer que l'on parle alors des généralistes non formés à la prise en charge des troubles sexuels par opposition aux dits «spécialistes» des troubles sexuels qui sont le plus souvent... des généralistes.

 

Diplômes en sexologie
• 84 % ont un diplôme en sexologie ou en sexualité humaine
• 75 % ont le DIU de sexologie
• 54 % ont un autre type de formation dans le domaine de la sexualité.

 

Formation continue
• 93 % des médecins sexologues déclarent suivre une FMC
• 95 % dans le cadre des congrès (dans 60% des cas 2 / an ou plus) Internet constitue une source de formation dont il faudra réfléchir sur la validité.

 

Travail "personnel"
• 79% des sexologues ont déclaré avoir déjà réalisé un
travail dont :
Thérapie personnelle + supervision (ou contrôle) + Balint : 16 %
Thérapie personnelle seule : 11 %
Thérapie personnelle + Balint : 9 %
Thérapie perso. + supervision (ou contrôle) + autres type de travail : 7 %
Supervision ou contrôle seul : 7 %
Groupe Balint seul : 6 %
• 52 % des sexologues ont déclaré suivre actuellement un travail dont :
Thérapie personnelle seule : 8 %
Thérapie personnelle + Balint : 1 %
Thérapie perso + supervision (ou contrôle) + autres
type de travail : 2%
Supervision (ou contrôle seul) : 19%
Thérapie perso + supervision (ou contrôle) : 7 %
Supervision (ou contrôle) + Balint : 4 %
Globalement, on observe une nette diminution des thérapies personnelles (55 % dans le passé et 13 % en cours) et du Balint (42 % et 8 %) pour le travail en
supervision ou en contrôle (26 % auparavant et 49 % actuellement).

 

Modes de prise en charge

Si le mode de prise en charge le plus fréquent est bien entendu la thérapie individuelle, les thérapies de couple sont fréquentes (58% des médecins font souvent ou très souvent des thérapies de couple). Les cothérapies de
couple ne sont pas si exceptionnelles car 21% des médecins
disent les utiliser parfois tandis que les thérapies de groupe sont rares, 92% des médecins ne les utilisant jamais.

 

Mode d'exercice

La plupart des médecins sexologues ont recours à des médicaments (94%) mais ils ne semblent pas en faire un usage abusif.
D’ailleurs 49% rapportent ne jamais faire d’injections intra-caverneuses.
Seuls 6% des sexologues médecins font des actes
chirurgicaux.
Les thérapies cognitivo-comportementales sont les plus utilisées, puis les thérapies d'inspiration analytique. L'approche sexo-corporelle est fréquente et la relaxation,
un mode auquel les médecins ont recours souvent ou très
souvent dans 25% des cas. De toute évidence la sexologie a
conduit les médecins à étendre leur domaine, celui du soin médical, pour s’intéresser aux autres dimensions de l’être, dans ses dimensions corporelles et psychiques.

 

Secteur d'exercice

 

Le secteur III (médecins non conventionnés) est nettement
supérieur à la moyenne nationale (10 % des médecins sexologues sont déconventionnés).

 

Durée des consultations

La durée d'une consultation idéale est estimée à environ 40mn pour une consultation individuelle alors que la durée effectivement pratiquée est de 37mn.
Pour les consultations de couple, la durée idéale est un peu au-dessus de 50mn alors que la durée pratiquée est de 46mn.
Nous nous apercevons donc que les différences entre la pratique réalisée et ce que le praticien estime comme l’idéal sont très faibles. Nous pouvons ainsi dire que ces médecins prennent le temps d’exercer tels qu’ils le souhaitent.

 

Honoraires
• Pour une consultation individuelle de 40mn, le tarif moyen
pratiqué est de 43 euros alors que le tarif « idéal » moyen attendu serait de 65 euros :
Soit une revalorisation de 53%
• Pour une consultation de couple de 50mn, le tarif moyen pratiqué est de 62 euros alors que le tarif « idéal » moyen attendu serait de 88 euros :
Soit une revalorisation de 42%

 

Pour ce qui concerne la durée et les honoraires de la consultation, j’aurais envie de dire que la sexologie fait encore figure de bastion d’une forme de médecine où le
médecin s’autorise à maintenir l’espace nécessaire à une prise en charge de qualité mais à ses propres dépends. Ainsi nous nous inscrivons bien dans la démarche actuelle où le droit du patient prime. Mais n’oublions pas que “le droit des patients est fortement lié aux moyens matériels et humains
qui lui sont affectés et que si, on attend des soignants et des soignés qu’ils exercent leurs responsabilités, il sera nécessaire aux soignants de revendiquer leurs droits pour que ces derniers soient reconnus
”(2).

 

CONCLUSION

La question de l’argent pose le problème de son sens. En effet vous n’êtes pas sans savoir que cette question s’inscrit dans le cadre de la reconsidération actuelle du système social en France. Au-delà de permettre à l'homme de vivre, l'argent a pour fonction d’être au service du bien commun et du développement des individus.
Plus que beaucoup d'autres spécialités médicales, la prise en charge sexologique est dévoreuse de temps. Ce questionnaire tendrait à montrer que les consultations
sont de longue durée, soit parce qu'elles sont incompressibles, soit parce que se sont des médecins privilégiant cette forme d'exercice à longue durée qui ont choisi la sexologie.
Pourtant ils estiment que leurs honoraires sont très en dessous de ce qu’ils pensent valoir.
Cela pose encore plus cruellement la nécessité d'évaluer correctement la valeur de l’acte et jusqu’à quel point sommes-nous prêt à payer le prix de notre conscience professionnelle pour le bien commun.
S'il est nécessaire de s’approprier les nouvelles contraintes liées à la pression économique et les nouveaux outils qui en résultent dans le cadre de l'«Evidence Based Medecine», il est tout aussi nécessaire de défendre le cadre permettant un exercice médical humaniste et de défendre la possibilité de considérer la dimension psychique de chaque être.

 

“Une réflexion sur l’éthique passe par une herméneutique des discours proférés, des consciences confessantes et des libertés d’agir des praticiens” (LUDWIG FINELTAIN).

 
REMERCIEMENTS AU SYNDICAT NATIONAL DES MÉDECINS SEXOLOGUES
ET AUX LABORATOIRES LILLY QUI ONT PARTICIPÉS FINANCIÈREMENT CETTE ENQUÊTE.

**CETTE ENQUÊTE EST DISPONIBLE SUR LE SITE DU SNMS : WWW.SNMS.ORG

 

1. L'ARGENT. SEMAINES SOCIALES DE FRANCE. EDITIONS BAYARD, 2004.
2. DROIT D’ÊTRE SOIGNÉ, DROITS DES SOIGNANTS. ED. ERÈS 2003


COMMUNICATION AU XXIX e CONGRÈS DE LA SFSC : JUIN 2004.

 

Syndicat National des Médecins Sexologues
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Tél. 01 45 53 85 17
Fax 01 45 53 11 92
Par Minitel : 3615 SNMS
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