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Santé Sexuelle et
Reproductive et Genre
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Introduction
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Qu'y a t-il de commun entre la pilule contraceptive, le préservatif et les médicaments de
l'impuissance masculine ? La pilule et les médicaments des troubles sexuels sont des
produits de l'industrie pharmaceutique. Le préservatif relève d’une technologie déjà
ancienne produite par l'industrie du caoutchouc. La pilule contraceptive et les traitements
par voie orale de l'impuissance masculine
résultent, pour leur part, de découvertes
scientifiques et d'innovations techniques. Leur
utilisation est fondée, à des degrés divers, sur
la notion de gestion individuelle du risque
(risque de grossesse, risque d'infection, risque
de panne sexuelle), qui suppose l'information
des personnes et leur prise de responsabilité.
Selon une telle conception, ces objets techniques
tendraient à favoriser la gestion rationnelle
de la vie sexuelle. Apparaît également
une dimension éthique, dans la mesure où
l’éventualité du recours à ces objets place les
personnes face à une décision qui les engage
personnellement et qui engage aussi leur partenaire.
Au delà de leur dimension technique et de
leur efficacité, ces objets sont porteurs d'une
symbolique culturelle qui dépasse de loin leur
qualité d'objet technique. La pilule contraceptive
a été le symbole de la "libération
sexuelle" et de la libération des femmes et le Viagra TM, qui vise à rétablir une "fonction
sexuelle naturelle" chez des hommes atteints de
dysfonction érectile, a été considéré comme le
symbole d'une nouvelle "libération sexuelle". Le
préservatif reste, pour sa part, le symbole de la
prévention du sida. Ces trois objets exercent
une efficacité symbolique sur le déroulement
des relations sexuelles, dans la mesure où ils
contribuent, chacun de façon spécifique, à
l'élaboration de scénarios du rapport sexuel et
attribuent aux partenaires (à l'homme et à la
femme) des rôles précis. Les significations
attribuées à ces objets sont fondées sur des
représentations de la sexualité masculine et
féminine, sur une certaine idée de la différence
des sexes en matière de sexualité et de
procréation et sur des conceptions des rapports
entre les sexes.
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La sexualité libérée
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La pilule contraceptive a eu pour effet de
"libérer" efficacement l'activité sexuelle des
contraintes procréatives qui pesaient sur celle-ci.
Mais la principale nouveauté de la pilule a
été de placer durablement la responsabilité et
la pratique de la contraception sous le contrôle
des femmes, à tel point que l'on parle désormais
de l'irresponsabilité des hommes en ce
domaine. La pilule contraceptive a eu comme
effet de dissocier la pratique contraceptive de
la scène et du moment même de l'activité
sexuelle, d'instaurer des périodes prolongées
d'infertilité ainsi qu'une disponibilité permanente
pour des rapports sexuels inféconds. La
majorité des méthodes contraceptives non
médicales, et, notamment, le retrait (coït
interrompu) utilisées précédemment nécessitaient,
au contraire, une préparation et une
organisation des rapports sexuels qui intervenaient
sur le déroulement de son scénario.
L'utilisation de la pilule a bouleversé fondamentalement
le déroulement de l'acte sexuel
et modifié le rôle des hommes et des femmes
dans la gestion de la procréation. La pilule
contraceptive a contribué à renforcer la responsabilité
et surtout l'initiative des femmes
en matière d'utilisation de moyens contraceptifs et d'activité sexuelle. La pilule peut
être utilisée en l'absence de toute négociation
entre les partenaires et parfois à l'insu de
l'homme, ou en l'absence de son consentement.
Inversement, l'abandon de l'utilisation
de la pilule peut aussi relever de la seule décision
ou responsabilité de la femme. La comparaison
entre le Rapport Simon de 1972 et
l'enquête Analyse des Comportements Sexuels
en France (ACSF) de 1993 met par ailleurs en
évidence qu'au cours des vingt années qui ont
suivi l'apparition de la pilule contraceptive, les
femmes ont progressivement pris l'initiative
des rapports sexuels et de certaines pratiques
sexuelles. On n'a pas fini de s'interroger sur le
fait que la pilule a été mise sur le marché à la
même époque où la théorie de l'orgasme naturel
de Masters & Johnson a été diffusée.
Comme si, il avait fallu attendre la pilule pour
l'orgasme devienne une réalité pour l'ensemble
des hommes et des femmes.
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La sexualité protégée
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Le modèle de la "sexualité protégée" ne résulte
pas de découvertes scientifiques, mais de la survenue
d'une épidémie qui a été attribuée initialement
à des "styles de vie" sexuels et notamment
homosexuels. Ce modèle a été
développé à partir de la mise en place des
stratégies de prévention principalement fondées
sur l'utilisation de préservatifs. Cela a
introduit de nouvelles modifications dans les
représentations sociales de la sexualité, la pratique
des actes sexuels et les relations entre
les partenaires. Un nouveau modèle de l'activité
sexuelle s'est alors imposé, accordant une
importance majeure aux pratiques et comportements
à risque et notamment les pratiques
anales, les relations homosexuelles et le
multipartenariat – pratiques et situations peu
impliquées dans la sexualité reproductive et
laissées de côté dans le contexte de la contraception.
L'utilisation du préservatif comme "moyen de
prévention" n'a cessé d'augmenter au cours
des années quatre-vingt-dix, dans les situations
considérées comme potentiellement à
risque, c'est-à-dire lorsque l'interaction se
déroule entre des "nouveaux partenaires" ou
pour les personnes qui ont de multiples partenaires.
Le préservatif s'est imposé comme la seule méthode disponible pour éviter la contamination
par "voie sexuelle". Dans la majorité
des pays industriels, la pratique du safer sex
s'est imposée, avec ou sans l'utilisation du
préservatif. Les pratiques sexuelles ont été
catégorisées et distinguées entre pratiques
sexuelles protégées ou non protégées.
Par rapport à la pilule, l’utilisation du préservatif revient à réintroduire un geste et un objet
technique visibles au moment de l'acte sexuel. Son utilisation – ou sa non-utilisation – ne
peut être dissimulée et doit donc être négociée par les partenaires, explicitement ou implicitement.
Les désaccords que cette situation est susceptible de générer entre les partenaires
peuvent conduire soit au refus de l'un des deux de poursuivre l'interaction, soit à une
modification du scénario "libéré" du rapport sexuel. Il s’agit, par exemple, de l’abandon
des actes sexuels insertifs, potentiellement à risque de contamination, principalement pour
le (la) partenaire réceptif. En cas d'accord entre les partenaires, le scénario du déroulement
de l'acte sexuel est modifié par la pose du préservatif par l'homme ou la femme. Une
multitude de scénarios peuvent être alors ébauchés afin de trouver le meilleur moment
pour mettre le préservatif. Le préservatif est souvent désigné comme "préservatif masculin"
alors que sa fonction est de préserver aussi bien l'homme que la femme des risques liés à
l'activité sexuelle. Cette désignation souligne l'attribution de responsabilité et de contrôle à
l'homme. La protection contre les risques a pris la première place comme préoccupation
majeure de l'activité sexuelle.
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La sexualité fonctionnelle de l'homme
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Au cours du printemps 1998, de nouveaux discours
publics sur la sexualité se font entendre, qui créent une rupture avec le discours devenu
dominant de prévention du sida. Le discours préventif visait d'une certaine façon à restreindre
l'activité sexuelle. La perspective de la mise sur le marché du ViagraTM entraîne un
renouvellement des questionnements publics sur la sexualité et l’on assiste au retour de l'optimisme
sexuel, de la rhétorique de l'épanouissement sexuel, de la "restauration d'une
activité sexuelle normale" et même d'une nouvelle "révolution sexuelle", comparable à celle
qu’aurait généré l'apparition de la pilule contraceptive.
Les discours de la prévention du VIH avaient principalement porté sur l'activité sexuelle des
"jeunes", des multipartenaires, des homosexuels masculins et des pratiques sexuelles à risque
(telle la pénétration anale) et visé à la réduction de ces différentes pratiques. Dans les discours
développés dans le contexte du ViagraTM, il est question des hommes âgés (de plus de quarante
ans), du couple stable hétérosexuel et de la pénétration génitale, et de la stimulation de
cette pratique dans le cadre du couple. La problématique de la prévention du sida visait à
établir des contrôles restrictifs et à réduire sinon à encadrer une activité sexuelle placée sous le
signe de l'excès et de la promiscuité, et se félicitait de la réduction du nombre de partenaires.
Le ViagraTM (entendu comme phénomène culturel et symbolique) génère désormais des
discours qui laissent entrevoir l’augmentation de la fréquence de l’activité sexuelle et la disponibilité
sexuelle retrouvée – de l'homme cette fois-ci. Deux approches de la sexualité qui
s'ignorent mutuellement et qui apparaissent en dernière analyse complémentaires. D'un
côté donc, le couple conjugal hétérosexuel et de l'autre, les activités extra conjugales. Le risque
de l'impuissance guette la sexualité conjugale alors que celui des maladies sexuellement
transmissibles et du sida menace la vie sexuelle récréative et extra conjugale.
Le ViagraTM présente beaucoup plus d'analogies avec la pilule contraceptive. Ces deux
objets sont issus de la recherche scientifique et médicale la plus innovante et leur promotion
est soutenue par l'industrie pharmaceutique. Bien que la "pilule bleue" ait acquis une
immense notoriété, le ViagraTM ne fait cependant l'objet d'aucune propagande institutionnelle
de santé publique, contrairement au préservatif. Les auteurs du premier article
scientifique qui a établi l'efficacité et l'absence de risques de ce produit écrivent que "le sildénafil
améliore la fonction sexuelle des hommes ayant une dysfonction érectile", qu'il
est supposé "restaurer la réponse érectile naturelle à une stimulation sexuelle et ne pas susciter
d'érections en l'absence de telles stimulations". Parmi les qualités que l’on prêtait déjà au
ViagraTM , ces auteurs soulignent en outre qu'il permet une "administration discrète par rapport
à la partenaire". Avec ces médicaments, la disponibilité de "l'homme dysfonctionnant"
devient permanente, à condition qu'il n'oublie pas de prendre un "traitement" qui peut être
absorbé à l'insu de sa partenaire.
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La sexualité fonctionnelle de
la femme
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Il est tout à fait significatif que les premiers
médicaments censés traiter les troubles sexuels et stimuler l'activité sexuelle, ont été élaborés
pour les hommes et non pour les femmes. La conception de ces médicaments, de leur principe
actif, mais surtout de la communication publique dont ils ont fait l'objet, est fondée sur
l'idée selon laquelle la sexualité masculine est principalement déterminée par des processus
biologiques et physiologiques plutôt que par des processus psycho-sociaux ou relationnels.
Cette conception témoigne d'une rupture d'avec les conceptions psychologiques et psychanalytiques
de la sexualité qui ont dominé la deuxième moitié du XXe siècle. Par contre,
le développement de nouvelles conceptions des troubles sexuels féminins (FSD) fondé
sur une approche physiologique de la fonction sexuelle féminine, a suscité de très fortes réticences.
Comme si, il était encore impossible de concevoir que la sexualité féminine est aussi
portée par des forces biologiques, et pas uniquement par les émotions, les sentiments et le
contexte relationnel.
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Alain GIAMI
INSERM - U 569
Equipe : Sexualité, Société, Individu
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Une version plus développée de ce texte est à
paraître dans la "Revue d'Epidémiologie et de
Santé Publique" (Automne 2004)
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