Sexologos  n° 14

Janvier   2003 

VALLES  Gérard

Publications

 

Sexologie : histoires,
doutes et certitudes

 

Une sexualité bien gérée est génératrice de progrès, d’équilibre, de justice et de paix. Une sexualité mal gérée ne génère que régression, déséquilibre, injustice et violence. La noblesse de notre progression réside en ce qu’elle tente de mettre un peu d’ordre dans le chaos, dans l’équilibre difficile et précaire entre les fantasmes, les désirs et les actes, et ce pour l’humanité tout entière.

 

Histoires :
Le véritable apport scientifique à l’étude de la sexualité humaine commence à la fin du XIXe siècle, avec Richard von Kraft-Ebing (1840-1902), Sigmund Freud (1858-1939) et Henry Aveloctk Ellis (1859-1939). C’est également à cette période que l’obstétrique et la gynécologie se médicalisent, prenant ainsi un essor réel. L’endocrinologie, elle, ne naîtra qu’après la Première Guerre mondiale, lorsque les premières hormones sexuelles seront identifiées, isolées puis synthétisées. Le rapport Kinsey (Le comportement sexuel de l’homme, Editions du Pavois) ne sera publié qu’en 1948, et les premières études de William Masters et Virginia Johnson qu’en 1966.

La Société Française de Sexologie Clinique ne sera fondée qu’en 1973. Alors que la première promotion du diplôme Inter-Universitaire de sexologie médicale ne sortira qu’en 2000. En France en particulier, et en Europe en général, il aura fallu plus d’un siècle pour que la sexualité humaine passe du domaine religieux, et donc public, au domaine privé et éthique. Depuis leur fondation, toutes les religions sans exception ont légiféré en matière de sexualité et ont tenté de cette façon de réglementer par des mesures d’ordre public la sphère sexuelle, essentiellement d’ordre privé. Cette laïcisation sexuelle, commencée il y a environ 250 ans, au siècle des Lumières, n’est pas encore terminée.

Aujourd’hui, toutes les religions continuent de tenter de régir la sexualité des humains. Le droit de chacun à disposer de lui-même et de son corps dans les seules limites du respect de la liberté de l’autre est, au bout du compte, un combat politique et éthique. On comprend donc que ce long combat pour une sexualité libre est fort loin d’être terminé. On constate d’ailleurs régulièrement à quel point les problèmes de la délinquance sexuelle restent encore au tout premier plan de l’actualité politique et judiciaire, y compris dans les médias.

 

Doutes :
L’immense population mondiale est constituée à une écrasante majorité par des gens qui, comme vous et moi, sont des « Névrosés Ordinaires ». Cela signifie que cette immense majorité maîtrise plutôt bien sa libido. Dès notre enfance et au cours de notre maturation nos pulsions sexuelles de névrosés (c’est-à-dire vous et moi) sont contre-balancées par des mécanismes psychiques qui les régulent. Ceux-ci nous font interdire progressivement tout ce qui transgresse, d’une part, le respect des générations antérieures et postérieures (tabou transgénérationnel vertical de l’inceste) et d’autre part, tout ce qui ne respecte pas les collatéraux et les semblables (tabou du meurtre et de la violence en général).

Tous ceux qui travaillent à la limite de ce monde de la névrose, aussi bien pour eux-mêmes que pour les patients, le savent : il leur faut être éthiquement et déontologiquement irréprochables s’ils veulent à la fois être thérapeutiquement efficaces et socialement acceptés. Le doute, s’il existe, ne peut être que préjudiciable au soignant et au soigné d’autant que, de surcroît, la science est encore très loin d’appréhender la sexualité humaine de façon globale.

 

Certitudes :
Cependant, on peut quand même déjà avoir des certitudes :
· Certitude éthique d’abord : la Société Française de Sexologie Clinique, dès le départ, a élaboré un code d’éthique très précis et très contraignant. Tous les sexologues qu’elle a formés, se sont engagés par écrit à le respecter.
· Certitude politique ensuite : la sexualité humaine, tant qu’elle respecte l’autre dans tous ses aspects, est du domaine privé. Les partis politiques et les régimes qui ne respectent pas ce principe ne peuvent pas être considérés comme démocratiques.
· Certitude scientifique : Peu à peu, la longue boucle circulaire où se succèdent fantasmes inconscients, désirs inconscients, projets, mises en actions, actes, souvenirs conscients, est décryptée par tronçons de plus en plus crédibles, à tel point qu’une pharmacopée sexologique nouvelle commence même à voir le jour.
· Certitude de recherche enfin : l’immense travail d’enseignement et de formation entrepris depuis vingt-cinq ans environ dans le monde entier, doit être poursuivi. La Société Française de Sexologie Clinique, dont je suis l’un des initiateurs, n’a jamais reculé et ne reculera pas devant l’immensité de la tâche qui n’est pas seulement universitaire. L’efficacité thérapeutique est à ce prix, la sexualité humaine résulte d’un équilibre entre les Pulsions et la Loi.


Le nouveau diplôme de sexologie médicale, finalement arraché aux pouvoirs publics, n’est qu’une étape nécessaire, mais insuffisante. La pierre brute est à peine dégrossie. Nous avons une certitude depuis Freud et Lacan qui ont repéré qu’il y a toujours et inéluctablement quelque chose qui cloche dans notre sexualité, une sorte d’inévitable marge entre nos désirs et nos possibilités de réalisation sexuelle. Lacan l’a démontré et a fait scandale lorsqu’il a annoncé que «LE RAPPORT SEXUEL» n’existe pas, sous-entendant ainsi l’inéluctable ratage partiel de toute tentative.

Les sexologues dignes de ce nom savent que cette marge existe, mais ils savent aussi qu’elle ne doit pas devenir un fossé infranchissable généré par l’angoisse et la culpabilité, sinon c’est la dépression qui guette et finira un jour ou l’autre par limiter, voire supprimer, l’envie de vivre de la patiente ou du patient.

Le moins mauvais compromis possible entre les forces qui nous poussent sexuellement l’un vers l’autre et celles qui nous retiennent de franchir les bornes, voilà l’objectif des sexologues, pour peu que ce compromis soit compatible entre les exigences individuelles de la libido et les exigences sociales de nos sociétés. La sexologie est civilisation par la liberté.

 


 

Gérard VALLES a été médecin accoucheur pendant dix ans. Il s’est « reconverti » ensuite en reprenant des études de psychiatrie, puis de psychiatrie infanto-juvénile.
Nommé attaché d’enseignement au centre hospitalo-universitaire de Saint-Antoine (Paris), il occupera cette fonction pendant dix ans jusqu’à ce qu’il soit nommé chef de service pédopsychiatre.

En 1973, il est membre fondateur de la SFSC. Il deviendra ensuite secrétaire général de la World Association for Sexology (WAS), puis vice-président de cette association mondiale.
Membre du comité directeur du collège enseignant de la SFSC, pendant vingt-trois ans, il aura l’honneur, l’année de sa retraite, d’être diplômé du nouveau diplôme inter-universitaire de sexologie.

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