Sexologos  n° 13

Mai - Juin   2002 

LOPEZ Gérard 

Publications

 

CONSÉQUENCES DU 
TRAUMATISME SEXUEL 



Le viol n’est pas la caricature monstrueuse d’un rapport sexuel, mais l’expression d’une volonté de domination sexiste, un déni d’altérité qui atteint dans sa plus stricte intimité la personne violée.

Sur le plan psychologique le viol constitue un traumatisme entraînant une effraction narcissique, une attaque identitaire et une intrusion intra psychique de la réalité d’autant plus importante que la personne violée aura présenté un état de conscience modifiée (dissociation péri traumatique) faussement protecteur au moment de l’impact traumatique. La répétition des viols, comme on l’observe dans l’inceste par exemple, entraîne davantage de troubles identitaires et narcissiques qu’un viol unique et risque de structurer la personnalité des victimes sur un mode limite (ou borderline). 

La symptomatologie des viols uniques s’exprime plutôt dans le champs des troubles de reviviscence et d’évitement psychotraumatiques (état de stress post traumatique), mais la maltraitance sociale que subissent de nombreuses victimes confrontées à l’incompréhension de leurs proches ou à la malveillance des institutions sociales (police, justice, médecine…) constitue une « survictimation » risquant d’aggraver les effets traumatiques du viol. Les troubles comorbides , les états dépressifs surtout (50 %), sont plus fréquents que les troubles psychotraumatiques spécifiques (30 à 40 %).

Les victimes de viols successifs, généralement subis dans l’enfance, entraînent de graves perturbations de l’estime de soi et de l’identité. Johnson a pu prouver sur une cohorte de 640 enfants maltraités suivis pendant 15 ans, que : 
1) la maltraitance physique et les négligences augmentent les troubles de la personnalité indépendamment de la morbidité psychiatrique parentale et du type d’éducation ; 
2) la maltraitance physique augmente la fréquence des personnalités dépendantes définies selon les critères du DSM ; 
3) les négligences augmentent la fréquence des personnalités narcissiques, borderline et passives dépendantes. Actuellement, certains auteurs anglo-saxons décrivent un Disorder of Extreme Stress (trouble de stress extrême) ou un Complex Post-traumatic Stress Disorder (état de stress post-traumatique complexe) ayant été l'objet d'un petit nombre d'études récentes ., desquelles il ressort que des adultes ayant vécu des maltraitances sévères lors de leur enfance présentent volontiers : 
- des difficultés relationnelles : incapacité à faire confiance aux autres, agressivité, répétition des éléments traumatiques dans des relations actuelles,
- des passages à l'acte hétéroagressifs et sexuels, des comportements automutilatoires, des idéations suicidaires, des prises de risque excessives.
- des troubles dissociatifs,
- Une absence d’estime de soi, une forte culpabilité, de la honte,
- Une tendance à idéaliser l'agresseur.
Ces troubles sont proches des symptômes décrits dans la catégorie diagnostique « borderline » des classifications athéroriques internationales. Les sujets borderline ont tendance à remettre littéralement en actes les traumatismes subis : ainsi un enfant maltraité risquera-t-il de vivre des situations où il pourrait être la victime d’actes de violence répétés dans sa vie d’adulte comme cela est fréquemment le cas des femmes victimes de violences conjugales par exemple, et la victime d’inceste aura-telle souvent tendance à avoir des relations sexuelles avec ses thérapeutes. Certains pensent que la répétition littérale est une tentative de maîtrise de la situation traumatique dans l’espoir toujours avorté de changer le cours des choses... Mais d’une façon générale, les viols que subissent les femmes violées dans leur enfance par leurs thérapeutes , ou même les relations sexuelles apparemment librement consenties, qui constituent, outre des erreurs médicales tragiques, des fautes déontologiques inacceptables. Il est donc nécessaire que chaque médecin pose systématiquement la question des antécédent de maltraitance et d’inceste, liés l’un à l’autre, lors du premier examen ; cette pratique est rare car les réponses positives, fréquentes en pratique sexologique, sont embarrassantes pour le médecin qui bien souvent ne connaît pas la conduite à tenir après ce type de révélation. A ce propos, la reconnaissance du statut de victime est un point fondamental : il passe surtout par la reconnaissance personnelle, médicale, sociale et surtout judiciaire. La prise en charge d’un victime de viol ne peut s’effectuer qu’en mettant en réseau des intervenants formés à l’accompagnement social et judiciaire (associations féministes, service d’aide aux victimes, avocat, experts médicaux).

Les soins spécialisés sont nécessaires dans 40 % des cas environ. Ils ne peuvent faire l’économie de la critique des idéologies sexistes qui sous-tendent le viol, car il est impossible d’intégrer un événement aussi impensable qu’un viol dans sa propre histoire.

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Gérard LOPEZ
Psychiatre
Directeur médical de l’Institut de Victimologie
Http://www.victimo.fr

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