Sexologos  n° 38

Novembre    2011 

Claude ESTURGIÉ 

 

BILLET D’HUMEUR
de Claude ESTURGIÉ.
 

 

« O saisons ô châteaux
Quelle âme est sans défaut ? » 

Arthur Rimbaud

 

 

Où est le bec ?


 

Un vieux dicton affirmait : «Il n’est bon bec que de Paris». Je ne crois pas que l’auteur d’un récent roman qui connaît, comme on dit un gros succès de librairie soit parisien mais au moins a-t-il bon bec ?
Il s’agit en fait de son plus mauvais livre, écrit à la diable, sans style, avec des personnages dénués d’épaisseur, même si des personnalités réelles se mêlent sans nécessité à ces fantoches de fiction comme pour leur donner par ricochet un peu de la consistance qui leur fait défaut. L’humour en est toujours prévisible, aussi facile que le déplorable calembour qui sert de titre à ce billet. Mais il faut reconnaître à Michel Houellebecq une qualité : il est à travers son œuvre littéraire un parfait témoin de la misère sexuelle de notre temps, misère généralisée sous le couvert d’une libération qui a fait long feu : tourisme sexuel de masse sous les tropiques, sexagénaires qui vont chercher au Maghreb ou ailleurs une jeune épouse qu’il faudra satisfaire à grand renfort d’IPDE5, supermarchés des sites de rencontres chacun, chacune, derrière son caddie informatique, trentenaires qui délaissent leur compagne pourtant jolie pour des masturbations quotidiennes sur les sites pornos d’ internet. «La sexualité est une chose fragile, il est difficile d’y entrer, si facile d’en sortir» conclut excellemment notre auteur.

A la suite de mon dernier billet j’ai reçu d’un de nos collègues une lettre qui m’a beaucoup réconforté et dont je le remercie ici vivement. Philippe Touzé m’écrivait entre autres : «A ma consultation je ne vois que des hommes estropiés et obsédés par leur mécanique sexuelle, des angoissés de la performance. Je ne vois que des femmes qui souffrent de vivre avec ces estropiés qui n’ont rien compris à la sexualité féminine. Ils sont aussi des estropiés du cœur». Je voudrais aujourd’hui, cher collègue, illustrer la justesse de votre constat par l’histoire d’un couple que j’ai vu récemment. Lui assez grand, le cheveu rare mais encore blond, l’oeil bleu et vif, elle plus petite, bien en chair, un visage qui dût être charmant et dont le sourire fait oublier l’apparente vulgarité, tous les deux la soixantaine.
Appelons les Jean et Corinne. Jean vit à Paris, il a été opéré il y a un peu plus d’un an d’une prostatectomie totale en raison d’un adénocarcinome. Le chirurgien lui a assuré avoir pu respecter les nerfs érecteurs. Dans les suites il a consulté à Paris un de nos amis qui l’a parfaitement informé d’un inévitable délai de deux à trois ans avant de pouvoir récupérer une érection efficace et de la nécessité d’ici là d’utiliser les IPDE5 et si c’était insuffisant les injections intra-caverneuses de Prostaglandines. Il ne s’en est trouvé que partiellement satisfait et notre ami qui est un excellent sexologue lui a parlé de l’intérêt qu’il y aurait à rencontrer aussi sa compagne. Comme Corinne vit à Bordeaux où ils se retrouvent chaque week-end, ils sont donc venus me consulter samedi dernier. Corinne lui a avoué qu’elle n’a plus tout à fait les mêmes sensations qu’avant, Jean pense qu’il ne peut plus la pénétrer assez profondément, il a tout essayé : s’il augmente la dose de Prostaglandine l’érection devient très douloureuse à la limite du priapisme, l’association à un IPDE5 ne fait que lui entraîner des céphalées et le vacuum est décevant, pour lui tout provient du fait que depuis l’intervention son sexe a raccourci. J’essaie d’argumenter que malgré les intra caverneuses la turgescence du gland n’est peut être pas aussi forte qu’avant, que de toute manière même s’il récupère encore, sa sexualité ne sera jamais plus exactement ce qu’elle était, il n’en démord pas. Corinne est adorable : elle lui explique avec les mots que je pourrais employer moi-même que ce n’est pas grave, que si elle n’a plus les mêmes orgasmes qu’avant elle prend toujours beaucoup de plaisir, qu’il y a bien des manières différentes de faire l’amour et pour elle d’arriver à la jouissance, qu’elle est toujours aussi heureuse dans ses bras et qu’elle l’aime et le désire toujours autant. Son problème à lui c’est qu’il lui manque un ou deux centimètres. Cela n’est pas sans me rappeler cette autre histoire, qui nous a fait beaucoup jaser sur le web, où cette fois le pénis était trop long. L’érotisme, l’amour, le bonheur serait donc une question de CENTIMETRES ?

Déjà en 1991 Philippe Muray de sa plume acerbe stigmatisait la mort du sexe, «l’envie de se passer de sexe (de la volupté, du désir, des fantaisies, de la frivolité et surtout de l’opacité du secret, le divin secret) tourmente la plupart des vivants de la fin de ce siècle». Le nouveau siècle a déjà dix ans -l’âge de raison ?- et rien n’a changé, au contraire, le propos de Muray reste prémonitoire, comme était prémonitoire l’envie du pénal qu’il s’évertuait à dénoncer et dont les princes qui nous gouvernent, illustrent la réalité jusqu’à la caricature, s’empressant de légiférer après le moindre fait divers surtout si celui-ci touche de près ou de loin au sexuel. La frontière est devenue poreuse entre séduction et harcèlement, une nouvelle pathologie, l’addiction sexuelle, nous est venue des U.S.A. «Mon copain a envie de faire l’amour tous les jours, parfois deux fois par jour, est-ce qu’il n’est pas malade ?». L’heure reste à la transparence sauf qu’elle n’existe que dans un seul sens comme une glace sans tain.
Une charmante et très jeune collègue, philosophe de surcroît, fondatrice de l’ASBL Love Génération, vient de publier un livre qui apporte toutes les solutions aux problèmes que pose la sexualité en 2010, il s’intitule : «Pour une libération sexuelle véritable». Elle y propose monogamie, fidélité éternelle, «pouvoir considérer le lien entre sexualité et fécondité comme source d’émerveillement et pas de problèmes» contraception naturelle par la méthode Billings (pour ceux qui l’ont oublié c’est la surveillance de la glaire cervicale) et l’abstinence périodique. Mots d’ordre : famille, population, développement. Féministes de tous les pays, nous en sommes là après tant de combats !
Je ne peux ni ne veux pourtant conclure ce billet d’humeur de façon aussi pessimiste. Ce matin en me rendant à mon cabinet j’ai croisé une sublime jeune femme, elle a compris mon regard et l’a rendu au vieil homme que je suis accompagné d’un éblouissant sourire… tout en passant son chemin. On pourra toujours tout espérer de cette éternelle et secrète alchimie entre l’homme et la femme, entre la femme et l’homme.

 

Dr Claude ESTURGIÉ
Président de l’Académie des Sciences Sexologiques

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