Sexologos  n° 37

Juillet    2010 

Claude ESTURGIE 

 

BILLET D’HUMEUR
de Claude ESTURGIE.
 

 

« Toujours du plaisir n’est pas du plaisir » 

Voltaire


Liberté, que de dérives (sinon de crimes) on se permet en ton nom ! De liberté est venu libéral dont le sens premier était indulgent, généreux, avant que l’économie ne s’en empare ! De liberté est venu libertin, libertinage dont le sens s’est également dégradé.
Pour la majorité des couples être libertin se résume aujourd’hui aux pratiques échangistes et le libertinage ne consiste plus qu’à jouir au pluriel dans des lieux qui en font commerce.

Nous voilà loin du personnage spirituel qu’incarnait le libertin au XVIII° siècle ! Au temps des Lumières, la revendication de la liberté de jouir se conjuguait à celle de la liberté de penser et d’aimer, même si cette liberté ne pouvait concerner que quelques privilégiés (et encore : le jeune Jean Marie Arrouet fut bastonné par les laquais d’un aristocrate et Sade passa en prison les deux tiers de sa vie). Mais la démocratie athénienne était l’apanage de quelques uns, elle est néanmoins l’inspiratrice de nos démocraties modernes. Le XVIII° siècle, grâce à ceux qui avaient la possibilité de s’exprimer, de Diderot à Crébillon fils, de Vivant Denon à Casanova, d’Andréas de Nerciat à Restif de la Bretonne, nous initie à ce que pourrait être la sexualité du XXI° siècle si elle était aussi libérée qu’on veut bien le dire.
Le libertin alors vit, fait l’amour et pense, écrit ce qu’il éprouve autant que ce qu’il pense. Il est audacieux, sensuel, joueur, éclectique et non possessif (Roger Vailland se trompait quand se référant au seul Laclos il évoquait «Le regard froid du vrai libertin», Valmont devient amoureux, même si cela le conduit à sa perte ! Le roi quant à lui trop occupé à ses plaisirs ne se souciait guère de ceux de ses sujets.

Hélas notre société confond liberté avec permissivité ou consumérisme, elle remplace le trou de la serrure par l’objectif des caméras. L’œil de la Providence est devenu celui de l’Etat du même nom, un Etat qui se croit destiné à veiller sur nous, sur notre sécurité, notre santé psychique, physique et sexuelle. Récemment un parti politique a inscrit à son programme la notion de «care», si ce mot dans leur esprit se traduit par soin on peut légitimement le traduire par inquiétude, car grande est la nôtre devant cet excès de sollicitude.
De grâce mesdames et messieurs de la politique laissez nous prendre en connaissance de cause tous les risques que nous avons envie de prendre.

Permissivité, consumérisme, course sans fin vers des plaisirs codifiés par une pornographie de masse, la soi-disant liberté sexuelle de notre société s’exprime surtout à la manière dont Michel Houellebecq la décrit dans ses romans (le seul écrivain actuel libertin digne de ce nom est pour moi le bordelais Philippe Sollers – après tout Bordeaux est une ville purement XVIII - avec son faux-air d’abbé de cour quelque peu licencieux). Je redoute fort pour un avenir que je ne connaîtrai pas une sexualité livrée au scientisme avec désir et jouissance pharmacodépendants : après tout n’est-il pas naturel d’avoir un jour ou l’autre des «pannes» d’érection ou d’orgasme et Georges Brassens avait-il tort de chanter qu’«il y a des jours où Cupidon s’en fout…» ? Est-il vraiment nécessaire de transformer l’homme ce «roseau pensant» en robot bandant ?

Entendons nous bien, je sais que j’exagère et qu’il existe une vraie misère et souffrance sexuelle qu’il nous incombe de soulager au mieux. Je sais qu’une connaissance plus approfondie de la physiologie de la fonction sexuelle fera reculer les interprétations purement psychologiques qui étaient seules en cause il y a quarante ans. Mais il faut raison garder les neurobiologistes eux-mêmes nous y invitent et non des moindres quand comme Damasio aux USA ou Lionel Naccache en France. Ils révèlent la part des processus inconscients dans notre fonctionnement cérébral -même si ceux-ci ne correspondent pas vraiment à l’Inconscient freudien- et reconnaissent l’utilité de fictions théoriques comme la psychanalyse pour nous aider à comprendre et à traiter notre difficulté d’être. A propos de psychanalyse ne devrait-on pas aujourd’hui ajouter le Virtuel au fameux tiercé gagnant de Lacan Imaginaire Symbolique et Réel ?
Je comprends que mes propos puissent choquer, mais après tout ne s’agit-il pas ici d’un simple billet d’humeur et pourquoi pas pour une fois de mauvaise humeur ?


 

Dr Claude ESTURGIE
Président de l’Académie des Sciences Sexologiques

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