Sexologos  n° 12

JMars - Avril 2002

Jacques CHAUMERON  

 

 

Chronique des 
rencontres annoncées
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ELLE EST EN NOIR. Les cheveux aussi. Le visage tranche, pâle et anguleux. Pas l’ombre d’un maquillage. Seule l’expression d’une tristesse, une tristesse sévère. Elle avance grande et longiligne. S’assoit comme au ralenti.

Âgée de 48 ans, elle ne pratique plus son métier de puéricultrice, ayant dû suivre son mari dans ses déplacements professionnels. Depuis 1997 des problèmes dépressifs graves l’ont conduite plusieurs fois à l’hôpital.
Cinq ans auparavant, elle a commencé à ressentir des difficultés. Les enfants grandissants (deux garçons) quittaient la maison pour poursuivre leurs études.

Elle me consulte sur les conseils de son psychiatre. Bien avant le début de sa dépression, elle n’a plus de vie sexuelle, ne ressent aucun désir. Le conflit est aigu avec son mari qui menace de la quitter.

Dans le récit qu’elle fait de son histoire, l’image de ses parents dominent et s’opposent. Un père soumis, usé par le travail, mort prématurément des suites d’une appendicectomie, " de la faute des médecins … ".
Lui venait de perdre sa mère. Quant à sa mère à elle, elle est décrite intransigeante, autoritaire jusqu’à la violence, n’épargnant ni le mari ni la fille, à l’exception du fils, frère cadet.

Dès l’âge de 6 ans, elle présente un psoriasis géant qui marquera son corps jusqu’à l’adolescence. Corps marqué, corps masqué, elle vit dans un repli relationnel jusqu’à ce qu’une UV thérapie efface les lésions "on m’a blanchie …". Dans les suites, à l’âge de 17 ans, elle développe une anorexie mentale : " j’étais obsédée par tout ce qui m’entourait … ".
Blanchir son corps n’avait pas suffit, encore fallait-il le gommer. Elle se marie à 21 ans enceinte. Son mari a 19 ans et pas encore son bac. A ce qu’elle ressent comme de la honte chez ses parents, répond la froideur de la belle famille. " J’étais une putain … ". Corps indécent.


Des années plus tard, dans les suites d’une intervention gynécologique, " on " aurait décidé une ligature des trompes. " Mon mari a signé … ".
Corps bâillonné.
Peut-être ne lui restait-il plus qu’à en finir avec cette vibrance corporel-le et mettre sous silence émois et désirs. Corps éteint.
Comme une énigme posée là, cette phrase me reste en mémoire, qui, je n’en doute pas, n’en a pas fini de livrer ses secrets : " Je ne voudrais plus être la transparence de mon mari … ".

(à suivre ...)

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